L’objet de cet article n’est pas d’examiner sous toutes ses coutures la théorie léniniste du parti et les polémiques qui se déclenchèrent autour d’elle : cela a été fait suffisamment de fois pour qu’il soit inutile d’y revenir [1]. Ni de faire un bilan détaillé des diverses conceptions de l’organisation révolutionnaire qui virent le jour en 1968 ou de traiter en détail des questions actuelles de construction du parti.
Il s’agit plus simplement d’esquisser un premier bilan d’une conjoncture donnée : comment, lors du premier congrès de la Ligue communiste, avons-nous traité du parti révolutionnaire ? à partir de quelle lecture de Lénine, de quelles conceptions théoriques propres ?
Mai 68 fut beaucoup et peu de chose. Beaucoup : la preuve concrète que la révolution était possible dans les pays capitalistes avancés, la remise en marche de l’histoire. Peu de choses aussi : la classe ouvrière n’a finalement pas dépassé une grève générale avec occupation inactive des usines. Une grosse différence avec le Portugal, par exemple, dans la mise en auto-activité des masses. Le débat qui se rouvrit alors dans le mouvement ouvrier, et d’abord chez les gauchistes, s’il était immense et renouait avec des traditions écrasées par l’étouffoir stalinien, prenait racine dans peu de chose du point de vue de l’expérience concrète : l’Italie, le Portugal, l’Espagne viennent après 1968. En quelque sorte un retard dans la pratique de la classe ouvrière par rapport aux questions soulevées, et comme seule référence la « pratique révolutionnaire » du mouvement étudiant et de certaines couches périphériques. Une double détermination qui allait peser lourd. Car si le débat s’amorçait, le développement concret de la lutte de classe avait tranché peu de chose.
Du coup, des théorisations nouvelles se mêlèrent à celles qui avaient vu le jour avant 1968 dans la « nouvelle gauche ». Leur point de convergence : un rejet du léninisme, rejet d’autant plus fort que Mai 68 s’était fait non seulement contre les partis, mais aussi, apparemment, contre « les groupuscules » ou du moins en « les dépassant ».
Derrière cette question visiblement surannée (Mai 68 n’était-il pas le fait radicalement nouveau pour toute une génération qui, un an avant, dans sa masse, ne militait pas ou fourbissait ses premières armes ; le passé, même celui du mouvement ouvrier, n’avait-il pas seulement conduit à des échecs ?) se jouait en fait un débat de fond sur les conditions de lutte du prolétariat contre la bourgeoisie.
Ce qui explique en contrepartie notre retour « aux sources », notre point d’appui sur Que faire ? N’était-ce pas là qu’avait vu le jour ce débat fondamental qui semblait recommencer à zéro ? Non pas, cette fois-ci, sur les rapports entre lutte politique et lutte économique mais plutôt entre lutte politique et lutte idéologique : signe de l’origine de ce débat, de sa marque profonde par les conditions de radicalisation du mouvement étudiant.
Pour se souvenir de quelques débats
Si pour certains ce rejet du léninisme traduisait, nous le verrons, l’incapacité de dépasser leur propre expérience, leur propre horizon social, pour d’autres ce rejet était assumé dans toutes ses conséquences, fondé sur la conviction que les données structurelles de la révolution prolétarienne avaient changé. Ainsi, pour Goldmann qui se voulait, aux côtés de Mallet, Gorz, etc., un représentant du « réformisme révolutionnaire ».
L’élément nouveau, c’était l’apparition d’une « nouvelle classe ouvrière » capable d’occuper durablement des positions de pouvoir économique et social au sein de la société capitaliste, se trouvant du coup « dans une situation analogue à celle de la bourgeoisie d’avant 89 ». Une politique de transformation graduelle de la société devient alors possible : le schéma de la révolution socialiste se rapproche de celui des révolutions bourgeoises ; la prise de pouvoir politique n’est que l’aboutissement « naturel » d’une lente prise de pouvoir économico-culturelle… de la « nouvelle classe ouvrière ».
Les conséquences sur le type d’organisation révolutionnaire deviennent alors claires. Citons un peu longuement : « Je voudrais mentionner que j’ai lu un jour dans un ouvrage de Trotski une remarque qui m’a paru hautement intéressante : l’auteur se demandait pourquoi le prolétariat avait besoin dans sa lutte d’organisations centralisées et disciplinées alors que la bourgeoisie avait réussi sa révolution en France avec l’organisation beaucoup plus lâche et décentralisée des clubs et des sections. Et il répondait – à juste titre me semble-t-il – que la bourgeoisie ayant déjà le pouvoir économique et social avait acquis les cadres mentaux, la conscience de classe qui oriente spontanément son action dans un sens révolutionnaire [2]. » Ce qui fondait le léninisme (la domination complète, économique, idéologique, politique de la classe ouvrière) est alors rejeté au profit d’une perspective d’autogestion graduelle et de mode d’organisation politique et culturelle décentralisée [3] ; la place décisive de la lutte politique pour l’émancipation du prolétariat est alors relativisée au profit des multiples formes d’expression de cette prise de pouvoir progressive. Pour Goldmann, le « mouvement gauchiste » au-delà de « ses exagérations », représentait un des premiers modèles de ces nouvelles formes d’organisation.
Ailleurs, plutôt que cette alternative cohérente au léninisme, on retrouve finalement bien souvent une simple systématisation de l’expérience du mouvement étudiant autour de 1968. D’abord, érigée en modèle de pratique révolutionnaire, la nuit des barricades : l’instant privilégié dont l’efficacité en fait ne provenait pas principalement du rapport de forces matériel instauré face au pouvoir, mais de son impact sur la conscience des travailleurs par la preuve faite qu’il était possible de lutter contre la bourgeoisie à condition d’aller fermement de l’avant. Cette nuit qui fit basculer la France dans la grève générale marqua longtemps, comme pèse une naissance, la pratique de beaucoup de groupes d’extrême gauche, nous inclus. Mais certains allèrent plus loin : négligeant de tenir compte de la conjoncture qui avait permis une telle explosion, ils érigèrent cette pratique en stratégie de lutte, « l’action exemplaire » devint le nec plus ultra de l’action révolutionnaire. Le glissement se fit vite quand cette systématisation s’articula sur une remise en cause progressive des modèles classiques – pour des marxistes – du développement de la conscience de classe au profit d’une extension du mode de radicalisation qu’avaient connu les étudiants en 1968 (où la dimension idéologique était décisive) en modèle de radicalisation de la classe ouvrière.
L’idéologie bourgeoise semblait battue en brèche dans les universités. Beaucoup y voyaient le début d’un processus quasi irréversible qui allait s’étendre à l’ensemble du pays, alors que ce n’était qu’un effet de la crise structurelle de l’institution scolaire et de sa relative autonomie par rapport à l’État bourgeois ; alors que les rapports de forces s’y rétablissaient simplement à des rythmes différents d’ailleurs. Qu’importe. Vincennes et bien d’autres facs fonctionnaient alors comme « bases rouges », simples centres d’initiative politique pour les uns, mais véritables « zones libérés » pour beaucoup de maos, zones d’où l’idéologie prolétarienne pouvait se répandre dans tous les pores de la société. Puisque les facultés avaient été analysées – faussement – comme lieu principal de production de l’idéologie bourgeoise, leur fonction pouvait s’inverser dans la perspective de la révolution culturelle. À défaut de pouvoir briser l’État bourgeois, on occupait/détruisait son « appareil idéologique ».
Voilà ce qui se cachait derrière les « innovations théoriques » de militants des comités d’action (CA) de Vincennes expliquant que « le vent d’Est » l’emportait sur le « vent d’Ouest », que l’idéologie prolétarienne tendait à devenir hégémonique en France, que la polarisation des classes était telle que seule une sorte de brouillage idéologique de la bourgeoisie bloquait la prise de conscience des travailleurs. Ou lorsque Geismar – sans chercher comme Goldmann à fonder sérieusement ses assertions – annonçait que, comme en 89, la révolution culturelle devait précéder la révolution politique [4].
Puisque le verrou essentiel à faire sauter n’était plus l’État mais ce pouvoir idéologique déclinant de la bourgeoisie, la dimension politique des luttes était laissée de côté, l’important étant de faire « prendre conscience », de briser cette espèce de carcan idéologique à coup d’actions symboliques pour faire apparaître ce qui germait dessous : l’idéologie prolétarienne quasi spontanée des masses.
Ainsi, en 1968, l’occupation des facultés, acte symbolique par excellence, avait réveillé les vieilles pratiques ouvrières refoulées d’occupation des usines ; c’est l’époque ou l’on se mit à parler de « l’efficace propre du symbolique », déployant des discours pseudo-psychanalytiques pour rendre compte de l’émergence de la conscience révolutionnaire. Plus vulgairement, quand les CRS quadrillaient le quartier Latin, problème bien concret de rapport de forces politique et matériel, on criait : « Chassez le flic de votre tête », à défaut de pouvoir faire reculer le pouvoir.
Les méthodes de lutte – de la simple dénonciation verbale jusqu’au terrorisme de la Gauche prolétarienne – pouvaient évoluer au gré des rapports de forces, la problématique restait la même : la répétition de la geste des barricades, du cycle provocation-répression-mobilisation, la fétichisation de l’action exemplaire. Finalement un « populisme » que le Lénine de Que faire ? connaissait bien : simplement le couple « économisme/terrorisme » était remplacé par celui d’« idéologisme/terrorisme ».
Notons au passage les racines idéalistes d’une telle problématique ; si Goldmann pouvait donner une telle place à la lutte idéologique, à la révolution culturelle, c’est que pour lui – en bon marxiste – les bases matérielles en existaient (possibilité de pouvoir économique et social pour la « nouvelle classe ouvrière » avant la prise de pouvoir politique). Chez nos maos, rien de tel, mais du point de vue de la démarche la porte ouverte à toutes les expériences communautaires, à toutes les dérives : quand les « zones libérées » deviennent comme des terres sèches après le reflux, il ne reste plus qu’à essayer de changer le monde dans sa tête.
Le débat dépassait donc les simples questions organisationnelles, il traitait des questions stratégiques fondamentales. Un peu comme la scission qui s’opéra entre mencheviques et bolcheviques avait commencé sur une simple question de statuts pour devenir le débat du mouvement ouvrier du XXe siècle ; un peu comme si l’étouffoir du stalinisme avait tellement pesé qu’il faille remonter aussi loin pour comprendre notre présent, presque recommencer à zéro. Et puisqu’en mai-juin 1968 l’expérience de la classe ouvrière n’était pas allée loin, il fallait chercher ailleurs, dans d’autres révolutions, au travers des citations de Mao ou de Lénine. Ce qui donna ce débat quelque peu livresque, dogmatique.
« Notre » léninisme
Nous opposâmes donc un violent retour à Lénine. Et pas n’importe quel Lénine : celui d’une conjoncture où la question du parti se posait au travers d’une délimitation vigoureuse d’avec les autres courants (Que faire ? et les premiers congrès de l’Internationale communiste).
Certes en distinguant soigneusement – et avec raison – ce qui relevait d’une situation historique des principes généraux qui devaient régir toute organisation révolutionnaire en système capitaliste. Plus tard, Lénine expliquera qu’il avait un peu tordu le bâton ; nous, non seulement nous saisissions ce bâton à pleines mains, mais certains de nos textes y apportaient un substrat théorique propre qui ne pouvait que le tordre un peu plus.
Face à tous ceux qui, dans un même mouvement, réduisaient la lutte de classe à la lutte idéologique, résorbaient la politique dans l’idéologie et relativisaient ou gommaient la place de « l’avant-garde », notre première tâche fut de prendre la défense de la lutte politique, de sa dimension propre ; de rappeler que la forme la plus élevée de la lutte de classes était donc la lutte politique contre l’État bourgeois.
Nous défendions la « spécificité de l’instance politique » c’est-à-dire l’existence d’un champ d’activité propre qui n’était pas le produit brut, direct des luttes sociales, mais leur « transcription » sur le terrain de la lutte contre le pouvoir central par la médiation des partis. Lénine n’avait-il pas écrit : « L’expression la plus vigoureuse, la plus complète et la mieux définie de la lutte de classe politique, c’est la lutte des partis » ? Ou : « La division en classes est certes l’assise la plus profonde du groupement politique, certes c’est toujours elle qui en fin de compte détermine ce groupement […]. Mais cette fin de compte, c’est la lutte politique seule qui l’établit » ? N’était-ce pas d’ailleurs le seul moyen de comprendre le rôle du mouvement étudiant en 1968 qui, comme force politique en partie autonome de ses racines sociales, avait pu jouer un rôle d’« avant-garde tactique » ouvrant la crise ?
Nous défendions en quelque sorte l’initiative propre du sujet politique dans le déroulement de la lutte des classes, comme Lénine dans Que faire ? définissait la place du parti par rapport au mouvement spontané de la classe. Mais l’article de Partisans [5] dont sont tirées ces quelques citations, allait plus loin : il distinguait soigneusement « le sujet théorique-historique de la révolution (le prolétariat en tant que classe qui relève du mode de production) et son sujet politique-pratique (l’avant-garde qui relève de la formation sociale) qui représente non pas le prolétariat « en soi », dominé économiquement, politiquement, idéologiquement, mais le prolétariat « pour soi », conscient de sa propre place dans le processus de production et de ses propres intérêts de classe ».
Les premiers glissements commencent là : si le prolétariat est situé comme sujet théorique, le parti devient quelque peu la phalange de l’histoire, le démiurge qui lutte au nom de ce prolétariat que l’on n’aperçoit guère, sauf le jour béni de « la crise révolutionnaire [où] les deux sujets sont impliqués », où le parti fusionne enfin avec les masses. Entre deux crises, que reste-t-il ? Le parti « organisation d’avant-garde [qui] fait passer la lutte sur le terrain politique en luttant contre la bourgeoisie en tant que classe et son État, au nom des intérêts historiques du prolétariat dans son ensemble [6] ». Ces formulations recouvrent une logique un tantinet substitutiste des rapports du parti aux masses, à l’auto-activité du prolétariat.
Une chose est d’affirmer le rôle du parti comme instrument de lutte politique du prolétariat (instrument et non unique représentant politique) et la retombée inévitable de l’activité des masses entre deux crises révolutionnaires ; autre chose est de risquer d’occulter par de telles affirmations le fait qu’entre deux crises il peut y avoir aussi mûrissement de la conscience du prolétariat ; le fait est que le parti mène la lutte politique non pas au nom d’un sujet théorique absent en période « calme », mais en s’appuyant sur les divers niveaux de conscience et d’organisation de la classe ouvrière, et bataille pour son auto-organisation comme classe face à la bourgeoisie.
Mais notre problème, visiblement, c’était la construction du parti et sa délimitation, et non l’analyse des rythmes propres de développement de la conscience de classe ou la définition du parti dans ses relations avec le mouvement constitutif de la conscience de classe. Pas étonnant du coup que ce texte de Partisans soit plus ou moins marqué par une problématique « structuralisante » : la spécificité de cette problématique, c’est justement de ne pas pouvoir penser le développement de la conscience de classe [7].
Ces extrapolations théoriques ne tombaient pas du ciel : elles renvoyaient directement à l’expérience de Mai 68. Que l’on compare par exemple ce que fut cette crise prérévolutionnaire avec celle du Portugal. Auto-organisation massive, contrôle ouvrier, différenciation interne du mouvement ouvrier : un véritable laboratoire de stratégie révolutionnaire. Par contre, en Mai 68, dans ses profondeurs, la classe ouvrière avait finalement peu bougé : ce n’est que plusieurs années après que commencent à se faire jour des phénomènes de recomposition du mouvement ouvrier. Dès lors, en 1969, la nécessité du parti était affirmée principiellement dans un acte quelque peu volontariste sans qu’il soit possible d’articuler autour une bataille concrète pour la définition du lien avec les rythmes propres du développement de la conscience de classe chez les travailleurs. Ainsi, ce qui ressort du livre Mai 68 : une répétition générale [8], c’est quasi uniquement la nécessité du parti par rapport aux limites de la spontanéité et pas aussi le mûrissement de cette spontanéité au travers de futures luttes partielles, d’expériences de contrôle ouvrier, de différenciation au sein du mouvement ouvrier.
Cela ne rentrait pas en résonance avec le « modèle » de la crise révolutionnaire que nous avions opposée aux réformistes du PC : la Révolution russe de 1917 où, en quelques mois, le double pouvoir s’était construit, les mencheviques avaient été balayés et l’insurrection avait vaincu. Tout cela parce qu’il y avait un parti révolutionnaire qui, contre vents et marées, s’était maintenu et au moment de la crise avait trouvé l’accès aux masses par sa ligne juste.
À vrai dire, c’était une vision un peu rapide de la Révolution russe (l’oubli de 1905, des paysans au front, etc.), c’était surtout une méconnaissance du processus révolutionnaire dans des pays européens aux rapports de forces sociaux et à la structuration du mouvement ouvrier bien plus proches des nôtres. L’Allemagne des années vingt par exemple : expérience charnière dans l’« adaptation » des méthodes bolcheviques au mouvement ouvrier européen. L’étude détaillée de ces révolutions, de l’expérience chilienne, les problèmes mis à jour par notre propre développement nous ont fait poser autrement la question : non sur la nécessité du parti, mais sur les modalités de sa construction en relation au développement de la conscience de classe [9].
Pour l’instant, nous n’en n’étions pas là. Et si avant la création de la JCR puis de la Ligue, il y avait une tactique de construction du Parti liée à une analyse de recomposition du mouvement ouvrier, ce n’était plus tout à fait le cas. En effet, notre passé c’était l’entrisme et une vision que finalement nous abandonnions peu à peu : celle d’un parti révolutionnaire se construisant principalement au travers de l’évolution de « pans entiers » du PC vers la gauche sous la pression du mouvement de masse, de la fusion entre l’avant-garde marxiste-révolutionnaire et ces dizaines de milliers de « cadres organisateurs » issus du PC.
Une vision par trop unilatérale avec laquelle nous rompions empiriquement. Et en attendant d’avoir une vision plus fine (voir le premier congrès de la LCR), en attendant que cette recomposition s’opère sous nos yeux pour que nous puissions – avec c’est vrai un peu de retard – l’analyser, nous étions quelque peu démunis. Certes théoriquement, nous savions et affirmions que le Parti ne se construirait pas par simple agglutinements individuels de militants ouvriers autour de la Ligue, nous avions même le souci d’une tactique unitaire par rapport à l’extrême gauche (voir les propositions de conférence nationale aux groupes d’extrême gauche lors du premier congrès de la Ligue) ; nous commencerons même un peu plus tard à parler d’une « avant-garde large ». Mais en pratique, cela se passa autrement : la bataille politique faisait rage dans l’extrême gauche ainsi que les opérations tactiques en premier lieu de la part de ceux (du PSU aux maos) qui prétendaient construire un « Parti de type nouveau », « dépasser les groupuscules » et en attendant défendaient bien leurs chapelles (voir les opérations du PSU sur l’Unef ou les manœuvres de Rocard et autres). Et ce qui nous paraissait primordial, c’était d’affirmer une force nationale à coup d’apparitions publiques : « Combien d’ouvriers révolutionnaires ont en Mai rejoint le PSU comme seul pôle organisationnel existant. Nombre d’entre eux sont prêts aujourd’hui à lire et à diffuser Rouge et le font. Mais ils ne sont pas prêts à quitter la proie pour l’ombre, à abandonner une organisation même foireuse pour un machin fluide ou flou autour d’un journal. Ils veulent une organisation nationale existant comme telle, permettant de transformer le rapport des forces avec le PC non pas boîte par boîte, localité par localité, mais d’emblée en instaurant aussi un rapport de forces au niveau national [10] ».
C’était là comprendre les nécessités propres de la lutte politique comme lutte d’organisations. En même temps pourtant, un manque apparaissait : les travailleurs révolutionnaires n’allaient pas peu à peu se détacher des autres organisations pour nous rejoindre. Il y avait les questions de mûrissement politique des travailleurs d’avant-garde, de ses rythmes propres, des formes d’organisation produites par ce mûrissement. Autant de questions peu posées concrètement, nous y reviendrons.
Nous étions donc d’autant plus renforcés dans cette pratique qu’il y avait – au-delà des extrapolations – une nécessité profonde, celle de l’apparition d’une organisation révolutionnaire dont les rythmes de construction ne pouvaient être le pur produit de l’expérience des masses en 1968, la simple expression quasi directe du « mûrissement » du mouvement « gauchiste ». De plus, cela semblait payant : le vide laissé – transitoirement – par les partis réformistes faisait décupler sur la scène politique le poids des révolutionnaires. Mai semblait un peu se continuer. Notre « percée » lors de la présentation de Krivine aux présidentielles de 1969 nous fit déraper sur l’appréciation des rapports de forces au sein de l’extrême gauche et du sens du vote Krivine. Ne proclamions-nous pas qu’il fallait organiser tous ses électeurs dans les comités rouges ? Belle époque du triomphalisme !
Ainsi s’esquissait la silhouette de notre léninisme : la réappropriation des acquis du mouvement ouvrier ne se fait pas de façon académique au travers d’une bonne synthèse livresque équilibrée, mais au travers d’une conjoncture théorico-politique qui délimite une certaine grille de lecture, qui fait saillir certains textes pour, provisoirement, en laisser d’autres dans l’ombre.
Ces systématisations s’articulaient aussi avec notre pratique. Au parti, phalange de l’histoire, correspondaient nos initiatives spectaculaires, nos manifs structurées, drapeaux rouges au vent. À nos discours sur l’« instance politique » correspondaient nos opérations centrales pour notre percée sur la scène politique par les activités propres d’organisation. Cet « ultraléninisme » rentrait en écho avec un autre de nos emblèmes que nous brandissions haut et fort : celui du Che. Que nous avions raison de brandir parce qu’il symbolisait mieux que tout la réintroduction d’une pratique révolutionnaire dans l’histoire endormie par les trahisons et les ronrons des réformistes. [Régis] Debray a dit quelque part que le guevarisme était un « léninisme pressé » : y avait-il d’autres voies à l’époque ? Quoi qu’il en soit, une certaine lecture de Guevara cadrait bien avec notre léninisme, correspondait même, indépendamment de la dimension affective, à une pratique que nous avions un peu connue. Les barricades du quartier Latin n’avaient-elles pas été notre foco qui avait mis en branle la classe ouvrière française ? Les actions exemplaires d’une avant-garde agissante n’étaient-elles pas partie prenante d’une stratégie révolutionnaire, moyen un peu messianique de « conscientiser » les masses, substitut en partie aux conditions spécifiques de progression de la conscience de classe des travailleurs, au travers de leurs propres expériences et de la maturation plus lente dans le mouvement ouvrier des effets de 1968. L’important n’était-il pas que lors de la prochaine crise existe une avant-garde décidée, dotée de panache, qui cette fois non seulement mettrait en branle les masses, mais les arracherait au cours de la crise aux directions réformistes ?
Visiblement il nous manquait – quels que soient par ailleurs nos référents théoriques généraux – la compréhension pratique des étapes intermédiaires dans le mûrissement de cette conscience de classe, l’articulation des différents niveaux de conscience et d’organisation, l’œil attentif aux phénomènes de recomposition du mouvement ouvrier. À bien relire les textes, l’autre versant de la politique léniniste.
De la lutte contre la théorie « de l’organisation-procès »…
« Ainsi dans la période d’actualité de la révolution, il n’y a pas de structures autonomes de la classe. Toutes sont subordonnées au parti révolutionnaire qui leur donne un sens [11]. »
Là aussi se mêlaient nécessité de la lutte politique et affirmation théorique rapide. Notre axe de bataille, c’était la nécessité de rompre avec toutes les illusions gradualistes qui croyaient en la maturation linéaire de la conscience de classe du prolétariat et faisaient de l’organisation d’avant-garde le produit naturel du mouvement d’organisation de la classe. Débat très concret. Ainsi les maos, ne pouvant comprendre que s’amorçait un reflux partiel, firent des soubresauts de l’explosion de Mai 68 (Flins, Sochaux) le signe avant-coureur de l’amorce d’une nouvelle montée des masses vers une espèce de « guerre populaire prolongée ». Pour beaucoup, les restes de comités d’action de quartier et de boîte qui subsistèrent fin 1968-début 1969 étaient non pas la trace qui perdurait de formes d’organisation produites par une situation prérévolutionnaire, mais l’amorce de nouvelles formes d’organisation permanente, à mi-chemin entre le syndicat et le parti, ou plutôt dépassant la distinction surannée entre syndicat et parti.
Notre réaction fut à la mesure des illusions : péremptoire. La boussole du léninisme nous semblait – était – le seul guide pour distinguer l’essentiel de l’éphémère. Dans l’impossibilité immédiate d’acquérir une réelle implantation ouvrière, le ferme rattachement programmatique à une tendance du mouvement ouvrier nous semblait encore plus nécessaire, garantie minimum contre toutes les dérives possibles au gré des soubresauts de 1968 que nous sentions venir chez les maos, ou contre les grandes manœuvres qu’un Rocard lançait à la tête du PSU. Du coup, la Ligue fut fondée non seulement à contre-courant de la totalité des forces d’extrême gauche, mais aussi d’une sensibilité de masse du « mouvement gauchiste » dont l’acte de naissance s’était fait sous le signe de l’unité réalisée en 1968 dans le « 22 mars » ou les CA, unité qui « dépassait les groupuscules ». La Ligue ne fut pas le produit d’une lente maturation politique du mouvement de masse, mais se fit en partie contre les formes d’organisation qu’il avait produites. Tout au moins contre les formes d’organisation « spontanées » du mouvement gauchiste issu de 1968, d’une partie importante de l’avant-garde étudiante.
Car les comités d’action – ou les structures équivalentes – qui se maintenaient dans les boîtes n’étaient pas le creuset d’émergence d’une avant-garde ouvrière en train de naître. Ses rythmes d’apparition furent plus lents, à partir des différenciations internes du mouvement ouvrier. En attendant, il y avait une espèce de vide, de décalage important entre la restructuration des courants « gauchistes » et l’apparition de phénomènes de recomposition au sein du mouvement ouvrier. Seuls quelques travailleurs gagnés directement au gauchisme en 1968, souvent isolés dans leurs entreprises et se repliant sur les quartiers, se retrouvaient dans les CA de boîte qui n’étaient pas, à l’image du CA de Lip, de véritables instruments de travail de masse, mais des espèces de coquilles vides devenant, quand ils se maintenaient, des regroupements politiques confus et hétérogènes dont le seul point commun était un « unitarisme » hérité de Mai et un antisyndicalisme souvent virulent.
C’est donc en partie contre ces formes d’organisation survivantes de 1968 que s’est construite la Ligue, mais non contre le mouvement naturel de la classe ou son avant-garde en train de se dégager. Il n’empêche que nous prenions à rebrousse-poil certaines sensibilités. D’autant que des courants – dont « la minorité » de Rouge qui donnera plus tard Révolution ! – s’appuyaient sur ces CA pour les opposer à l’« autoproclamation » de la Ligue, et définir une autre tactique de construction du parti, appuyée sur une autre analyse des rapports de forces dans la classe ouvrière, du poids du réformisme, etc. Voilà pourquoi nous écrivions : « L’implantation dans la classe ne peut se faire de façon conséquente que sur des bases politiques claires. À ce propos, magnifier les « organisations autonomes de la classe » (CA, CLEO), c’est entériner un état de fait, stabiliser les préjugés unitaristes des militants ouvriers en rupture de stalinisme au lieu de les dépasser. Il ne saurait, en dehors des périodes de crise révolutionnaire, exister de structures autonomes par rapport à l’avant-garde. » L’axe de bataille contre toutes les illusions sur la construction d’une organisation à partir d’une centralisation progressive des CA que la minorité appelait justement « structures autonomes de la classe », était décisif mais ne justifiait pas ces affirmations théoriques trop tranchées.
Nous ne nous désintéressions pas des processus complexes de dégagement d’une avant-garde ouvrière, la suite de la citation le montre : « Le faible regroupement de l’avant-garde face à l’ébranlement du PCF, le rapport de forces encore limité qui en résulte, les critères encore trop idéologiques de l’avant-garde peuvent expliquer le temps de décantation nécessaire aux groupes ouvriers qui quittent le PC. Ils ne nous autorisent en aucun cas à le théoriser pour y installer des groupes autonomes qui ne pourront réellement survivre qu’en maîtrisant leurs problèmes par une vue nationale de la lutte des classes et par une insertion organisationnelle nationale ». (On notera au passage le poids encore présent de l’entrisme qui ne nous fait envisager que le cas de départ de militants ouvriers du PC.)
Dans la pratique, notre question n’était pas l’analyse détaillée des formes de recomposition du mouvement ouvrier et du dégagement d’une avant-garde ouvrière, mais l’implantation minimum d’une organisation politique dans les boîtes et son affirmation. Aussi distinguions-nous principalement trois types d’organisation : le parti, le syndicat, plus le soviet pour la crise. La question, par exemple, de la tendance syndicale, un des lieux privilégiés de dégagement d’une avant-garde ouvrière, n’était pas notre souci, même si certains textes pointaient la question : « La perspective générale de la situation résultant des luttes de Mai 68 est un regroupement des courants les plus radicalisés du mouvement syndical, d’une part, et de ceux qui sont prêts à jouer le jeu du système établi, d’autre part ». Un autre texte expliquait simplement : « A une étape ultérieure, il sera indispensable de proposer une autre orientation pour les syndicats. Le congrès doit mandater le CC pour préparer dans les plus brefs délais un texte sur le syndicalisme révolutionnaire, les rapports parti-syndicat aujourd’hui, etc. [12]. »
Sentiment qu’il y avait là un problème non résolu. Dans la pratique, notre perspective était le travail dans les syndicats, parce que les travailleurs « avaient besoin d’un instrument légal face au patron », le développement des idées révolutionnaires dans les masses, et l’organisation de l’avant-garde au travers des structures souples des groupes Taupe rouge qui voulaient justement répondre à cette décantation nécessaire de l’avant-garde ouvrière par la proposition d’un cadre de travail ouvert mais sous la direction de la Ligue.
En attendant d’autres débats, nos affirmations schématiques sur la subordination de toutes structures à l’avant-garde ne prenaient pas simplement appui dans une conjoncture politique, mais dans certains de « nos acquis » que nous mettions alors en avant : les premiers congrès de l’IC que citaient moult fois les « thèses sur la dialectique des secteurs d’intervention ».
... Aux premiers congrès de l’Internationale communiste
Certaines thèses des premiers congrès de l’IC étaient profondément marquées par la volonté de délimitation politique et organisationnelle afin de débarrasser, face aux échéances politiques, le mouvement ouvrier de l’influence politique des réformistes. Les dirigeants de l’IC menèrent alors bataille pour que, au prix s’il le fallait de scissions, l’ensemble des organisations de masse intègrent organiquement la IIIe Internationale. Ainsi se justifiait la création de l’Internationale syndicale rouge opposée à l’Internationale « syndicale jaune d’Amsterdam » dominée par les sociaux-démocrates restés dans la IIe Internationale ou partisans de l’Internationale II et demi. C’est ce que disait la résolution sur l’Internationale rouge du IIIe congrès (juin 1921) : à l’époque du capitalisme pourrissant où la polarisation de classe s’accentue à l’extrême, lutte politique et lutte économique sont encore plus liées de façon indissoluble qu’auparavant, « il n’est pas une seule question importante de la vie politique qui ne doive intéresser à la fois le parti ouvrier et le syndicat ouvrier. Inversement, il n’est pas de question économique importante qui puisse intéresser le syndicat sans intéresser à la fois le parti ouvrier » (p. 129).
Du coup, la « neutralité » des syndicats, leur apolitisme prôné par l’Internationale syndicale d’Amsterdam, « principal appui du capital mondial », doivent être violemment combattus. « La situation idéale serait la constitution d’une internationale prolétarienne unique, groupant à la fois les partis politiques et toutes les autres formes d’organisations ouvrières. Il ne fait pas de doute que l’avenir appartient à ce type d’organisation. Mais au moment actuel de transition, avec la variété et la diversité des syndicats dans les différents pays, il faut constituer une union autonome des syndicats rouges acceptant dans l’ensemble le programme de l’Internationale communiste, mais de façon plus libre que les partis politiques appartenant à cette Internationale [13]. »
Il y a au départ une idée juste et décisive. À l’époque de la phase impérialiste, de « l’actualité de la révolution », lutte politique et lutte économique tendent à fusionner beaucoup plus que dans la phase ascendante du capitalisme d’avant 1914 où la disjonction entre lutte économique quotidienne et lutte politique (souvent parlementaire) était l’une des caractéristiques principales du mouvement ouvrier européen. C’est cette nouvelle situation historique qui rend impossible la cohabitation au sein d’un même parti (comme avant 1914) des courants réformistes et des courants révolutionnaires et justifie la création de l’IC et des partis communistes.
Mais tirer les mêmes conclusions organisationnelles de ce raisonnement pour les organisations de masse de la classe ouvrière, c’est risquer de s’engager dans une politique dont la logique ultra-gauche et sectaire devient évidente. Certes, « dans le duel entre le travail et le capital, aucune grande organisation ouvrière ne peut rester neutre », mais ajouter : « Par conséquent, les syndicats ne peuvent être neutres entre les partis bourgeois et le parti [nous soulignons] du prolétariat » (le PC) pour déboucher sur l’Internationale syndicale rouge, relève d’un glissement dangereux. Car si pour l’IC, « les partis politiques d’Europe et d’Amérique [pouvaient] être divisés [en] : 1) les partis bourgeois, 2) les partis de la petite bourgeoisie [surtout les sociaux-démocrates], 3) le parti du prolétariat, les communistes », pour une fraction importante de la classe ouvrière, parfois majoritaire dans certains pays, les partis sociaux-démocrates reliés à la IIe Internationale ou à l’Internationale II et demi apparaissaient encore comme des partis ouvriers. Parce que les PC n’étaient pas reconnus par l’écrasante majorité de la classe ouvrière comme le parti du prolétariat, rien ne pouvait justifier que des divisions politiques et l’existence de divers partis aient comme conséquence la division organisationnelle des organisations de masse devant défendre quotidiennement les intérêts de classe. Entre une tendance à la fusion entre lutte politique et lutte économique et la réalisation de cette tendance dans la conscience des masses, il y avait une différence. Différence qui tient justement au rythme propre du développement de la conscience de classe et à la nécessité de faire faire aux masses l’expérience pratique du passage définitif des réformistes au côté de l’ordre bourgeois [14].
Quelles que soient les difficultés de cohabitation avec les réformistes dans les syndicats, leurs pratiques bureaucratiques, voire des scissions parfois difficiles à éviter, l’erreur était d’ériger en ligne politique une pratique de scission des organisations de masse de la classe ouvrière. Même si par ailleurs est menée une lutte très claire contre les tendances ultra-gauches de l’époque à sortir des syndicats ou à faire des scissions minoritaires.
Paradoxalement, c’est à ce même congrès que l’on commence à sentir dans certaines résolutions le « tournant » débouchant sur la tactique de front unique ouvrier avec les sociaux-démocrates qui sera sanctionnée par le IVe congrès. Politique qui non seulement tenait compte du tournant – opéré déjà d’ailleurs depuis quelque temps dans la conjoncture – mais aussi des rythmes inégaux et différenciés de développement de la conscience de classe [15].
Pour en revenir au Ier congrès de la Ligue, cette ligne politique était plutôt présente comme tendance possible ; si certaines bases théoriques la permettaient, elle ne prit pas la forme d’une politique explicite et systématique. Néanmoins, elle entrait en concordance non seulement avec nos batailles contre les tenants de la construction de l’organisation au travers des CA, mais aussi avec des questions politiques concrètes dans la définition de notre travail de masse. Essentiellement dans les secteurs où ce travail était fortement marqué par la présence des courants ultra-gauches et où toute cohabitation à l’intérieur d’une même organisation de masse devenait difficile, voire impossible. Il est vrai que les CA étudiants, plus tard le Secours rouge, étaient des organisations de masse un peu spéciales : plutôt un cadre de regroupement du « mouvement gauchiste » – qui dépassait largement les « effectifs » des diverses organisations – auquel s’adjoignait à l’occasion telle ou telle frange radicalisée.
Du coup, ces « mouvements politiques de masse » – plutôt qu’organisations de masse – avaient systématiquement tendance à intervenir sur tous les terrains, à se transformer en organisation politique sans en avoir, par leur hétérogénéité, les moyens. Les maos et beaucoup d’autres jouaient la carte de ces mouvements contre les organisations d’extrême gauche : d’une façon plus générale, vu leur place politique, chacun cherchait à s’en servir, à les « instrumentaliser » suivant sa ligne politique. Ainsi, d’un projet d’instrument de lutte contre la répression, les maos faisaient du Secours rouge un cadre de recomposition de leur courant, la « courroie de transmission » de leur ligne politique. Dans un tel Secours rouge transformé en machine de guerre contre les syndicats, la cohabitation devenait difficile. Dans un milieu comme le milieu étudiant où la bataille politique faisait rage contre l’ultra-gauche et où nous avions un rapport de forces favorable contre les réformistes, la tentation était grande de concrétiser cette problématique sectaire [16] ; il fut proclamé fermement qu’un mouvement étudiant de masse ne pourrait se reconstruire que sous l’impulsion directe de l’organisation révolutionnaire en train de naître : « Longtemps on a poursuivi le mythe d’un syndicat étudiant de masse. C’était postuler que le milieu étudiant est syndicalisable sur la base d’intérêts communs. Nous avons vu que c’était faux en raison de l’hétérogénéité politique et sociale du milieu. C’était en outre prolonger la politique de front populaire des partis staliniens qui pour trouver des alliés « démocratiques » ont artificiellement « autonomisé » des mouvements de masse (femmes, étudiants, anciens combattants) pour en faire autant d’alliés politiques, de potiches unitaires, dans des fronts démocratiques à constituer [jusqu’ici rien à redire, mais…]. En fait, à l’époque de la décadence impérialiste, de tels mouvements de masse ne peuvent vivre que politiquement subordonnés à l’avant-garde révolutionnaire. C’est du moins ainsi que l’entendaient les premiers congrès de l’Internationale communiste, y compris en ce qui concerne les syndicats ».
Et en conclusion : « Les manifestations ne sont plus des manifestations du mouvement étudiant, mais des manifestations d’organisations révolutionnaires regroupant sur leurs mots d’ordre et derrière leurs banderoles, leur audience de masse (cf. le 11 mars à Paris)… Au travers de ces réussites se reconstruit un mouvement étudiant directement sous l’impulsion de l’avant-garde [17] » (p. 49 et 54).
Une chose était les difficultés – ou l’impossibilité – conjoncturelles de construire des organisations de masse unitaires, autre chose était les extrapolations théoriques erronées qui, par exemple pour le travail étudiant, nous firent encore développer une ligne sectaire quand, plusieurs années après 1968, les premières batailles pour la construction d’un mouvement unitaire étaient possibles.
Dans le travail syndical, une telle problématique pouvait conduire à une logique scissionniste dans la perspective de création de syndicats rouges [18]. Ce ne fut pas le cas ; non seulement parce que les marges de manœuvre par rapport aux réformistes étaient trop faibles pour que des illusions importantes puissent se développer, mais aussi parce que les rares tentations qui virent le jour furent clairement combattues. Où les confusions persistèrent quelque temps, ce fut dans la définition des perspectives de travail à l’intérieur des syndicats. Nous avons vu que, pour ce Ier congrès, notre problème essentiel n’était pas l’analyse des différenciations internes au mouvement ouvrier mais l’affirmation d’une organisation dans les entreprises ; ce n’est qu’au
IIe congrès que la perspective d’une tendance syndicale fut clairement avancée.
Entre-temps, une confusion entre fraction et tendance, ou la réduction de la tendance à une « tendance rouge », était apparue chez certains, produit direct de cette volonté de subordonner les diverses structures à l’avant-garde.
Mais des expériences comme le travail dans la Fen au travers de l’École émancipée, la progression de notre travail syndical et l’apparition de « regroupements gauche » dans les syndicats ouvriers nous firent situer clairement la place de ces structures autonomes organisationnellement par rapport à nous, lieu de travail unitaire et de maturation d’une avant-garde ouvrière, qui s’inscrivent dans la perspective d’une tendance syndicale. Parallèlement bien sûr, nous commencions à développer une analyse beaucoup plus fine des processus de recomposition du mouvement ouvrier et de la politique d’alliance qui en découlait.
Paradoxalement, « les gardes fous léninistes » que nous avions brandis à contre-courant après 1968 nous permirent de saisir les processus de recomposition du mouvement ouvrier mieux que certains de ceux qui semblaient alors « coller » à la radicalisation [19]. Paradoxalement, ou bien plutôt parce que, au-delà du bâton tordu, nous avions après 1968 saisi l’essentiel et non l’écume, et su, une fois les premières amarres lancées un peu violemment, nuancer ou réviser certaines de nos affirmations au moyen d’une organisation capable non seulement d’accumuler des expériences mais de débattre grâce à un socle programmatique commun, pour faire progresser son élaboration et non flotter au gré de la conjoncture.
De « Que faire ? » à « L’État et la Révolution »
Mais, finalement, qu’advient-il de Que faire ? Certaines « déviations » que nous avons relevées dans les premiers congrès de l’IC ne sont-elles pas déjà présentes dans cette volonté farouche de subordonner toute spontanéité au parti ? Lénine lui-même s’est montré peu soucieux de faire des exégèses de ses propres textes : il n’y revenait que pour les besoins de la lutte politique. On sait qu’en 1907, sans remettre en cause l’essentiel, il expliqua comment Que faire ? avait été marqué par la conjoncture (lutte contre l’économisme, le localisme, le dilettantisme organisationnel) et qu’« on ne saurait l’isoler de la situation concrète où il est né ».
Reprendre à ce propos l’éternel débat sur conscience et spontanéité est des plus agaçants, car il se réduit souvent à des variations académiques sur des bouts de phrases. Il est facile de montrer que, si Lénine a pu écrire que la classe ouvrière était spontanément trade-unioniste, en 1905 il affirmait : « La classe ouvrière est social-démocrate d’instinct, spontanément, et une activité social-démocrate qui date déjà depuis plus de dix ans n’a pas peu contribué à transformer cette spontanéité en conscience ». De quoi faire rager tous nos métaphysiciens ultra-gauches pourfendeurs de citations ! Facile aussi de faire apparaître que certaines de ses formulations théoriques sur les rapports entre conscience et spontanéité sont directement liées aux influences plékanoviennes mécanistes que Lénine dépasse pour retraiter Marx au travers d’Hegel [20].
Là n’est pas l’essentiel sur cette question. Car l’essence de Que faire ? est quelque chose de simple : la distinction radicale du parti d’avec la classe. À l’époque de Marx, époque ou le prolétariat commençait à se constituer en classe et à produire les armes théoriques et idéologiques de cette affirmation, les communistes pouvaient se contenter d’être une simple tendance dans la classe ouvrière et ses diverses formes de regroupement, participant à ses luttes et diffusant leurs idées afin de mener leur bataille essentielle : l’appropriation du marxisme par le mouvement ouvrier. Mais l’époque ouverte de Lénine, celle de l’actualité de la révolution, ne pouvait que faire de la question de l’organisation du prolétariat face à la bourgeoisie la question essentielle : Lénine apparaît devant l’Histoire comme l’homme du parti et des soviets.
De ce point de vue, ce qui marque Que faire ? c’est son caractère inachevé : il n’est nullement question des soviets, mais simplement de l’articulation de divers niveaux de conscience autour du parti.
Pour cause : les soviets n’apparaîtront qu’en 1905 ; sur les questions stratégiques essentielles, l’élaboration pour un marxiste ne se fait pas indépendamment de la pratique des masses (voir Marx et la Commune de Paris). C’est en 1905 qu’apparut clairement ce caractère inachevé de la problématique léniniste. S’appuyant sur une lecture formelle de Que faire ?, aidés par des réflexes de conservation d’appareil qui apparaissent toujours à de pareilles époques, une partie des bolcheviques (les « comitards »), en particulier ceux de Saint-Pétersbourg, s’opposèrent au soviet naissant, le sommant de reconnaître la direction et le programme du parti social-démocrate, le considérant comme alternatif au parti. Sous l’impulsion directe de Lénine et la pression des militants de base, l’erreur fut vite corrigée. Et, en 1917, les soviets furent reconnus dans leur rôle historique.
On oppose parfois le Lénine de L’État et la Révolution des soviets à celui de Que faire ?, sans voir, au-delà des bâtons tordus pour les besoins de la lutte, la continuité d’une même problématique en train de s’élaborer [21] : celle des conditions de lutte du prolétariat contre la bourgeoisie dans ses divers niveaux d’organisation. Soviet et parti ne sont pas contradictoires ; ce sont deux aspects de la même totalité en mouvement : la constitution du prolétariat en classe face à l’État bourgeois. Les soviets sont l’autre face de la théorie léniniste : l’instrument enfin trouvé de l’auto-émancipation du prolétariat qui exclut toute conception bureaucratique dans les rapports parti/masses [22]. L’expérience historique a maintes fois prouvé que si l’auto-organisation des travailleurs n’arrive pas par sa propre logique à s’ériger en pouvoir alternatif capable de renverser l’État bourgeois, le parti n’est que peu de chose sans cette auto-organisation.
Par la suite, toutes les conceptions bureaucratiques et/ou paternalistes des relations du parti aux masses (de Staline à Mao, quelles que soient par ailleurs leurs différences) évacuèrent la question des soviets pour ne plus parler que de Que faire ? à leur façon. Faisant du parti l’appareil politique du prolétariat face à l’État bourgeois et du coup le transformant en « appareil d’État prolétarien » après la prise du pouvoir face aux masses atomisées ou simplement organisées dans d’innombrables « organisations de masse » qui, tronçonnant les niveaux de conscience, dissolvaient le lieu propre de leur auto-émancipation. La « grande révolution culturelle prolétarienne » chinoise eut beau secouer certaines pratiques bureaucratiques, elle ne dépassa pas un « paternalisme éclairé » dans les relations du parti aux masses, cédant çà et là quelques bouts de pouvoir, organisant quelques purges, mais s’arrêtant là où tout commence : au bord de l’État et la révolution, de la démocratie ouvrière, des soviets.
Quelle que fut notre lecture de Que faire ?, la bataille pour la démocratie ouvrière, les comités de grève, les soviets furent pour nous des acquis dont nous n’avons pas démordu dans notre vision du léninisme ; et pas seulement dans nos déclarations, mais aussi dans notre pratique politique. Par contre, beaucoup de ceux – des maos au PSU – qui combattirent le léninisme au nom d’un « parti de type nouveau », laissèrent cette question clé dans l’ombre. En particulier les courants maoïstes, qui se gargarisaient de pratiquer « une ligne de masse », développèrent très souvent une conception mi-bureaucratique, mi-paternaliste des rapports aux masses. Ainsi, la Gauche prolétarienne, devenue un temps spécialiste de la manipulation, confondant allègrement les quelques éléments radicalisés qu’elle contactait dans une lutte avec les masses. Du même coup, il devenait inutile de se battre pour l’unité et l’auto-organisation pourtant seules garanties de la démocratie ouvrière et de l’expression des masses.
Le parti léniniste n’est donc pas conçu comme l’appareil politique du prolétariat, pendant de l’appareil politique de la bourgeoisie, qui profiterait de la crise révolutionnaire pour, en quelque sorte, prendre la place de l’État bourgeois. À tous les niveaux de la lutte, il mène la bataille pour l’auto-organisation des masses : depuis le comité de grève en passant par l’armement du prolétariat jusqu’aux soviets et, au travers d’eux, la constitution d’un État prolétarien qui dans son mode de constitution jette les bases de son propre dépérissement [23]. Vérité simple qu’il est bon de rappeler car ce n’est pas le propre des partis réformistes de l’oublier : n’est-ce pas un des traits politiques des nouvelles avant-gardes que d’avoir multiplié – et parfois théorisé – des pratiques substitutistes par rapport à l’auto-activité des masses ? C’est certes le propre de toute remontée révolutionnaire que de faire apparaître ces tendances « ultra-gauches » plus ou moins théorisées. Il n’empêche que dans notre période l’origine sociale des nouvelles avant-gardes, l’écart souvent atteint entre les luttes étudiantes et la mobilisation des masses dans le reste du pays, ont souvent accentué ces pratiques substitutistes pour en faire comme une marque de naissance des mouvements gauchistes en Europe et dans quelques autres pays.
Pour, au passage, pointer un débat
Pour autant, d’aucuns continuent à faire de la fascination par l’appareil d’État l’essence du léninisme. Rosa Luxemburg a défini, soixante ans avant nous, « la communauté de la problématique social-démocrate : et de la problématique bolchevique et leur commune dépendance de la structure contemporaine des pouvoirs bourgeois [24] ».
Foucault lui est plus explicite : « Les mouvements révolutionnaires marxistes et marxisés depuis la fin du XIXe siècle ont privilégié l’appareil d’État comme cible de la lutte. » Du coup le mouvement révolutionnaire « se constitue comme parti, modelé – de l’intérieur – comme un appareil d’État avec les mêmes mécanismes, les mêmes hiérarchies, la même organisation des pouvoirs », ensuite « l’appareil d’État doit être reconduit, au moins jusqu’à un certain point, pendant la dictature du prolétariat, enfin, troisième conséquence : pour faire marcher ces appareils d’État qui seront occupés mais non brisés, il convient de faire appel aux techniciens et aux spécialistes… ».
L’important, pour « ne pas recommencer l’expérience soviétique, pour que le processus révolutionnaire ne s’ensable pas, [c’est de comprendre] que le pouvoir n’est pas localisé dans l’appareil d’État et que rien ne sera changé dans la société si les mécanismes de pouvoir qui fonctionnent en dehors des appareils d’État, au-dessous d’eux, à côté » ne sont pas brisés. Et Foucault s’intéresse aux multiples micropouvoirs qui, depuis l’asile jusqu’à la prison, sont des bases matérielles au maintien de la domination de la bourgeoisie tout aussi importantes que l’appareil d’État proprement dit [25].
Il y a là, étroitement mêlées, répétition de vieilleries et questions réelles. Répétition car le projet léniniste, qui là suit directement celui de Marx, n’est pas l’occupation de l’appareil d’État bourgeois et sa visée est le dépérissement de l’État soviétique. Par ailleurs, à mettre en valeur exclusivement ces micropouvoirs, on fonde une stratégie de lutte qui escamote l’essentiel, le verrou : le pouvoir d’État. Après 1968, certains noyaient la lutte politique dans la lutte idéologique, à présent elle est éclatée, digérée dans la remise en cause de ces micropouvoirs. De ce point de vue, Foucault est le meilleur théoricien, la meilleure couverture idéologique d’un certain « marginalisme subversif » au travers duquel des courants maos ou « post-maos » essaient de trouver un second souffle.
Questions réelles toutefois, car ce que la tradition marxiste a peu traité jusqu’à présent c’est la question de l’ensemble des institutions [26] liées à l’État bourgeois et relais directs ou indirects de sa domination. Que ce soit dans l’analyse de leur naissance et de leur fonctionnement ou dans la perspective de la construction du socialisme et du dépérissement de l’État. Si la question apparaît maintenant au grand jour, ce n’est pas tout à fait un hasard. Les sociétés capitalistes avancées ont vu mûrir – jusqu’à commencer à en pourrir – l’ensemble des « rouages » constitutifs de la société « industrielle » ; la crise sociale structurelle qui les traverse tous s’est traduite entre autres par la remise en cause radicale de toute une série d’institutions jusque-là peu touchées : les prisons, l’asile, la médecine, le sport, l’école, la famille… En France, dans l’après Mai, les luttes en leur sein ont d’autant plus pris le devant de la scène que la combativité ouvrière mettait du temps à se redéployer. Ces luttes ont multiplié les groupes divers qui portent la « contestation » en leur sein et de nombreuses analyses dont celles, fascinantes, de Foucault sur l’asile ou la prison.
Rien pour autant ne justifie que l’on oppose, cette question à la « tradition » marxiste [27]. Au contraire, il apparaît de plus en plus que l’ensemble de ces institutions se sont développées dans le même mouvement que la constitution de la bourgeoisie en classe et le développement de son État. L’État bourgeois, l’État par excellence, s’est constitué comme corps étranger, séparé de la « société civile » (ce processus de fétichisation s’étant d’ailleurs amorcé avant la prise de pouvoir proprement politique de la bourgeoisie). Parallèlement à cette émergence du pouvoir politique, se sont multipliées les institutions, elles aussi comme corps séparés, lieux d’enfermement de telle ou telle activité sociale ou/et catégorie d’individus, lieux d’enfermement et d’apprentissage des conditions propres de « socialisation » de l’individu dans le monde bourgeois, instruments de normalisation massive du corps social.
La problématique léniniste de L’État et la Révolution, c’est la réappropriation par la « société civile » de l’ensemble de ces activités confiées à des spécialistes ou enfermées dans ces lieux clos appelés institutions. En jetant bien sûr les bases matérielles d’une telle réappropriation (qui suppose la disparition des classes) mais aussi en construisant, dès la dictature du prolétariat, des formes de pouvoir politique et d’institutions qui contiennent en elles-mêmes les germes de leur dépérissement [28]. De ce point de vue, L’État et la Révolution est incomplet : s’il dégage une problématique d’ensemble, il ne traite que des formes de pouvoir politique. Par urgence, mais aussi peut-être vu la situation spécifique de la Russie d’abord : si l’appareil d’État tsariste était hypertrophié – symbolisant d’un certain point de vue l’essence de l’État bourgeois – l’ensemble des autres institutions n’était que très peu développé.
Il n’y a donc nul tour de passe-passe à répondre par la surdétermination de toutes ces luttes par la lutte politique contre l’État bourgeois, nulle façon d’éluder les questions. Simplement l’affirmation d’un cadre stratégique que justifient non seulement les conditions de lutte actuelles du prolétariat, mais aussi l’analyse historique de l’émergence des institutions dans leur lien à l’apparition de l’État bourgeois. Reste, par des analyses concrètes et la participation aux luttes qui s’y déroulent, à faire la preuve de ces affirmations.
On aurait tort de négliger ces questions. S’y jouent non seulement le passage de nouveaux secteurs aux côtés du prolétariat, mais surtout une subversion profonde de l’ordre bourgeois, de la normalité qu’il prétend définir comme « nécessaire au fonctionnement de toute société moderne », des multiples formes de domination dont il a irrigué le corps social. Bref, la question des institutions est un lieu essentiel où se cristallisent beaucoup de questions ayant trait à cette volonté profonde de changer le mode de vie qui est apparue en 1968 : par les luttes et les débats qui s’y mènent et qui commencent à pénétrer le mouvement ouvrier, s’y joue aussi la définition du socialisme que nous voulons.
S’il faut conclure, faisons-le avec deux remarques. La première pour rappeler les conditions politiques qui ont marqué ces premiers débats : l’origine politico-sociale du mouvement « gauchiste » et surtout le décalage des débats par rapport au processus concret de développement de la conscience de la classe au sein du prolétariat ont permis beaucoup d’extrapolations dogmatiques portées non seulement par les références parfois « livresques », mais aussi par ce retard de recomposition du mouvement ouvrier.
La seconde remarque pour souligner que, si la question de construction d’un parti révolutionnaire est toujours à l’ordre du jour, elle se pose dans des conditions différentes : à partir des exigences que rencontrent de plus en plus des secteurs, minoritaires mais non négligeables, de la classe ouvrière. Du coup, les débats ne sont pas les mêmes : parce qu’ils sont beaucoup plus précis, pouvant s’appuyer sur déjà plus de huit années d’expérience et de bilan possible ; parce que les termes du débat sont autres : il s’agit de s’appuyer sur les besoins concrets de l’avant-garde ouvrière pour discuter du type d’organisation nécessaire. Après 1968, la démarche était plutôt l’inverse : c’est par le détour d’un débat théorique général sur les conditions de la révolution prolétarienne qu’était traité de la question du parti.
Tirer nos propres bilans pour aborder ces débats semblait nécessaire.
Antoine Artous et Daniel Bensaïd