L’évolution récente de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire, section belge de la IVe Internationale, SAP en Flandre) vis-à-vis du PTB (Parti du Travail de Belgique, PVDA en Flandre) a de quoi interpeller à plus d’un titre. L’annonce faite par la LCR qu’elle « mènera campagne avec le PTB » [1] aux prochaines élections législatives, régionales et européennes de 2014 n’est pas, en soi, surprenante, vu qu’elle découle tant d’une évolution objective des rapports de forces que d’une réorientation perceptible depuis plusieurs mois déjà dans le chef de la LCR. Pour certains, cela peut être considéré comme une bonne nouvelle, pour d’autres moins. L’objet de ce texte est essentiellement de questionner cette réorientation, son évolution, et la pertinence ou les contradictions des raisonnements qui l’ont amenée à ce choix. Bien entendu, à partir de cet angle d’approche, le texte esquisse aussi une ébauche, forcément incomplète, de l’évolution du PTB lui-même. Il faudra revenir dans d’autres contributions sur la place qu’il occupe dans la gauche radicale aujourd’hui ainsi que, d’une manière plus étayée qu’ici, sur les perspectives et les enjeux des élections de 2014 (et au-delà).
Plus encore que le choix de placer quelques candidats LCR sur des listes du PTB (et sous le seul sigle de ce dernier), c’est la manière dont cette annonce est faite et les arguments utilisés qui interpellent et font penser que, plutôt que d’un choix tactique circonstanciel, il s’agit en réalité d’une réorientation stratégique plus ou moins explicite mais nullement assumée comme telle, surtout par rapport au passé. En outre, ce n’est pas seulement ce qui est dit dans les différentes déclarations écrites provenant de la LCR qui pose question, ce sont aussi les nombreux « non-dits ».
Sur la méthode, tout d’abord, on est surpris qu’une déclaration d’une telle importance soit simplement signée par « Le Secrétariat de la LCR », et non, au minimum, par sa Direction nationale élue en congrès. On l’est d’autant plus en sachant qu’un Congrès national de l’organisation est censé se tenir sous peu. Vu ses implications, un tel choix de « mener campagne avec le PTB » seul aurait pourtant dû figurer en bonne place dans l’agenda de ce Congrès afin de permettre une discussion en profondeur et de dégager éventuellement une orientation assumée par une claire majorité, avec un large accord interne sur sa signification et ses conséquences.
Sans connaître tous les détails de la « popote interne », on peut quand même se demander pourquoi le Secrétariat n’a pas attendu ce Congrès pour décider et, surtout, pour annoncer publiquement un tel choix ? L’annonce faite par le « Secrétariat » à quelques jours d’un Congrès national n’est-elle pas une manière de mettre le reste de l’organisation devant le « fait accompli », tant dans le choix qui est fait que dans ses termes ?
Quels bilans ?
Sur les arguments ensuite. On a le sentiment en lisant la déclaration du « Secrétariat » que ce choix constitue un formidable pas en avant, une sorte de victoire pour la LCR alors qu’il s’agit en réalité d’un formidable pas en arrière pour elle et la sanction d’un double échec historique de son point de vue. Echec historique, d’abord, celui de la tentative du POS (Parti Ouvrier Socialiste, ancien nom de la LCR) des années 1980 de se construire comme un « petit parti ouvrier » ayant une certaine influence électorale et en concurrence directe avec le PTB (dans le but de le dépasser). Echec historique, ensuite, de toutes les tentatives successives de « recomposition de la gauche » ou de construction d’une nouvelle force anticapitaliste large menées à partir du milieu des années 1990 et jusqu’en 2010 (Rood Groene Beweging, Gauches Unies, Une Autre Gauche, Front des Gauches…).
Pourquoi le POS-LCR a-t-il été incapable de « gagner la course » face au PTB ? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de bilan sérieux de cette tentative ni des échecs successifs des tentatives de « recomposition » ? Pourquoi cette organisation, à part quelques courtes parenthèses, s’est-elle constamment affaiblie au cours de ces 30 dernières années ? Aucun bilan de tout ceci n’est tiré, ni même annoncé ou évoqué en filigrane. On fait comme si de rien n’était. N’ayant pas peur du ridicule, la déclaration affirme par contre que « la LCR a donc décidé de prendre ses responsabilités en ayant à l’esprit l’intérêt de l’ensemble des travailleurs.es ». On se gargarise ainsi de mots grandiloquents (les travailleurs ont décidément bon dos !) pour masquer la réalité et l’absence de bilans sérieux.
Si la LCR s’était contentée de dire avec honnêteté que, vu ses très maigres forces, vu la position hégémonique acquise par le PTB et vu l’impossibilité de constituer une liste anticapitaliste alternative un tant soit peu crédible ou utile avec d’autres forces, elle décidait de mener une campagne autonome pour porter un message spécifique en plaçant des candidats sur les listes PTB, il y aurait eu alors peu de choses à redire. Quoiqu’un autre choix était parfaitement possible : celui de ne présenter aucun candidat et de faire soit un appel de vote critique en faveur du PTB, soit d’appeler à voter pour des candidats indépendants intéressants.
En tous les cas, présenté ainsi, le choix de placer des candidats LCR sur les listes du PTB en 2014 aurait été, en quelque sorte une réédition élargie à la Belgique francophone de celui déjà fait en 2010 par cette même organisation de placer des candidats SAP (la LCR flamande) sur les listes du PTB-PVDA. Celui-ci avait été avant tout motivé par l’état sous-groupusculaire du SAP en Flandre, comme un moyen pour les militants flamands « d’exister » malgré tout au moins électoralement et de faire campagne alors qu’en Belgique francophone la LCR était engagée dans celle du Front des Gauches. Soit dit en passant, mais ce n’est pas négligeable, le résultat en termes de construction pour le SAP avait été quasiment nul.
Choix « tactique » ou tournant stratégique ?
Mais cette fois-ci, la perspective semble être toute autre. La déclaration de la LCR reprend en l’approuvant un passage du communiqué commun PVDA-SAP du 16 octobre annonçant l’accord électoral [2]. On notera, et pour constater à quel niveau le PTB estime cette collaboration, que ce communiqué commun n’est pas resté plus de deux heures en ligne sur le site du PTB avant de disparaître dans les limbes... Ce passage, donc, laisse entendre que, cette fois-ci, on va un cran plus loin que le simple choix « tactique », puisqu’on y déclare que « Par cet accord, nous renforçons la gauche. De la sorte, nous pouvons aider à faire avancer la lutte contre l’austérité, le chômage et pour une alternative radicalement sociale, écologique et démocratique ».
En vérité, c’est surtout le PTB qui sera renforcé, même s’il est évidement positif que des électeurs votent en sa faveur sur base d’un programme réformiste de gauche plutôt que pour la social-démocratie ou, pire, l’extrême-droite. Mais s’il est certain que le PTB est une organisation qui s’oppose à l’austérité et au chômage, on peut fortement douter qu’en se renforçant elle renforce du même coup une alternative « écologique », et encore moins « démocratique ». La vision du productivisme et du socialisme du PTB est en effet aux antipodes de celle de l’écosocialisme démocratique et autogestionnaire des marxistes révolutionnaires.
Dans la déclaration du 20 novembre de la LCR, on lit surtout que « l’enjeu de 2014 » sera de « poser un jalon vers une nouvelle expression politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s. » On est donc loin d’un simple choix « tactique », d’un « pis-aller » ou d’un « moins mauvais des choix » du fait de la réalité objective des rapports de forces.
Dans un communiqué de la LCR du mois d’août dernier [3], on pouvait déjà lire également que « nous sommes convaincus que c’est autour du PTB que les meilleures chances existent d’atteindre cet objectif ». Dans un article publié en octobre sur le site de la LCR et signé par Daniel Tanuro [4] – on y reviendra plus loin -, cette stratégie est encore plus clairement esquissée : « Il s’agit donc qu’un maximum de forces se coalisent dans ce but et, tout en gardant leur autonomie, mènent campagne avec le PTB, car cela favorisera les recompositions ultérieures plus larges que la FGTB de Charleroi et la CNE, avec des nuances, appellent de leurs vœux. »
Bref, on présente les candidatures de membres de la LCR (ou d’autres) sur les listes du PTB comme un « jalon », comme un pas en avant en direction de « recompositions ultérieures plus larges » qui rencontreraient ainsi les vœux de l’initiative du secrétaire régional de la FGTB-Charleroi Daniel Piron et de ses camarades. Or, en réalité c’est la quadrature du cercle : le PTB n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais intéressé par une telle perspective.
Jalon ou cul-de-sac ?
Il faut vraiment croire que la dialectique peut casser des briques pour estimer qu’un renforcement électoral du PTB va renforcer une dynamique de « recompositions de la gauche » et « poser un jalon vers une nouvelle expression politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s ». Croire et faire croire que le PTB va être disposé, un jour ou l’autre à venir, à se fondre dans une « nouvelle expression politique », à participer activement ou comme noyau central à une « recomposition en profondeur » de la gauche, c’est se tromper soi-même et tromper les autres.
D’autant plus que, si le PTB confirme la percée électorale qu’il a réalisée aux communales en 2012 et obtient un ou deux élus en mai 2014 (ce qui n’est pas forcément certain d’ailleurs), il sera inévitablement ENCORE MOINS disposé à toute perspective de « recompositions ultérieures plus larges ». C’est pourtant l’évidence même. S’il réussit son pari, c’est lui et lui seul qui apparaîtra à ses yeux et aux yeux de larges couches comme la seule « alternative » électorale au PS et aux Verts et comme le seul « relais » crédible possible du « monde du travail ». Que cela soit souhaitable ou non, c’est une autre affaire. Mais en plaçant avec un tel discours ses candidats sur les listes du PTB, la LCR ne fait en réalité que renforcer cette probabilité et la certitude, dans le chef du PTB, que c’est lui, et lui seul, qui incarnera alors « l’expression politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s » et non une quelconque, hypothétique et tout à fait inutile et périlleuse à ses yeux « recomposition en profondeur ».
D’ailleurs, pour qui sait bien lire, la LCR prend déjà ses précautions en rejetant à l’avance la responsabilité de tout échec futur d’une telle perspective sur le seul PTB : « Le succès dépendra en premier lieu du PTB. C’est lui qui a les cartes en mains », dit la déclaration de novembre. Le communiqué du mois d’août disait aussi : « Pour la LCR, la concrétisation de cette opportunité dépendra avant tout des choix que le PTB fera dans la prochaine période ». Mais c’est un peu trop facile (et un peu culoté) : on esquisse une stratégie qui n’est pas du tout et n’a jamais été celle du PTB et dont on sait en réalité qu’il n’en veut pas, pour ensuite lui faire porter le chapeau au cas où elle ne se concrétisera pas. Bref, c’est toujours la faute aux autres…
On notera aussi que l’initiative de la FGTB-Charleroi (dont il y aurait beaucoup à dire également sur la manière dont la LCR l’évoque) et qui visait initialement à rompre avec le PS et à ouvrir la voie pour une nouvelle force politique anticapitaliste, est de plus en plus utilisée dans les écrits de la LCR comme argument pour rabattre un maximum de groupes derrière le PTB dans la perspective des élections de 2014.
Au final, il est certain que si le PTB a accepté la proposition de la LCR, c’est parce que cette dernière, vu sa faiblesse, ne représente plus vraiment un péril pour lui et que cette opération lui permet en outre d’écarter, de diviser ou d’ « absorber » et ainsi neutraliser ses concurrents potentiels (PC, PSL…). Il semble d’ailleurs qu’en dépit du changement de ton et de discours opéré également par le PSL (Parti Socialiste de Lutte, section belge du Comité pour une Internationale Ouvrière) vis-à-vis du PTB, ce dernier maintient toujours une exclusive à son encontre et se refuse à accepter ses propositions unitaires (concrètement, des listes « PTB-Unité »). Ce qui ne semble visiblement pas trop gêner la LCR, dont les dirigeants critiquent aujourd’hui par contre les exclusives ou les réserves de principe qu’ont légitimement encore certains vis-à-vis du PTB.
Populisme et stalinisme : incompatibles ?
Comme on l’a dit, le choix de présenter des candidats LCR sur la liste du PTB reflète une évolution récente perceptible depuis plusieurs mois déjà. Ce choix avait d’ailleurs déjà été posé pour les élections communales d’octobre 2012 à Bruxelles et n’avait été rejeté que d’un cheveu. Depuis lors, certains n’ont pas mâché leurs efforts pour infléchir les choses. C’était déjà fort clair avec l’interview extrêmement complaisante de Raoul Hedebouw menée par Guy Van Sinoy et publiée sur le site de la LCR en novembre 2012 [5]. Or, le respect et le dialogue fraternel n’excluent nullement la critique ni le fait de poser des questions pertinentes sur le maintien ou non des références et de l’identité staliniennes du PTB, sur son rapport à la ligne de la bureaucratie syndicale, ou encore sur sa vision de l’alternative de société et sur comment y parvenir par exemple.
Au mois d’avril, c’est un article de Daniel Tanuro sur « l’offensive » du PS de Magnette et qui interpellait directement le PTB pour qu’il soutienne pleinement l’appel de la FGTB Charleroi en disant : « Camarades du PTB, la solution est pour une bonne part entre vois (sic) mains ». [6] En plein mois d’août, un communiqué déjà évoqué ci-dessus indiquait encore plus clairement le choix à venir. Orientation enfin concrétisée le 14 octobre par le communiqué commun PTB-SAP qui annonce la présence de candidats SAP sur les listes du PTB en Flandre, un mois avant donc la dernière déclaration de la LCR annonçant le même choix du côté francophone.
En dépit des déclarations d’antistalinisme répétées ici ou là dans les récents documents publiés par la LCR, ces derniers présentent cependant un infléchissement certain par rapport à l’analyse et au discours de la LCR vis-à-vis du stalinisme du PTB, ainsi qu’un certain nombre de concessions à ce dernier.
L’article « Le PTB et la gauche dans le collimateur : « Populistes », « poujadistes », « rexistes » !… et puis quoi encore ? » est sans doute celui qui va le plus loin dans ce sens. Il s’agit essentiellement d’une défense du PTB contre les accusations de « populisme » ou de « poujadisme », mais aussi des critiques sur son « stalinisme occulté » qu’il subit ici ou là. Outre le fait que le PTB n’a sans doute pas besoin de la LCR pour se défendre, ici encore ce sont les arguments utilisés pour mener cette défense virulente qui interpellent.
Dans cet article, l’auteur tente par tous les moyens de démontrer que le PTB ne peut être assimilé de près ou de loin au « populisme » ou au « poujadisme ». Ainsi, selon D. Tanuro, « le mouvement politique fondé par Pierre Poujade dans les années ‘50, exprimait la révolte des petits commerçants et artisans français contre le fisc, l’administration, la concurrence des grandes surfaces et le pouvoir des syndicats ouvriers. Entre le PTB et le MR, qui des deux est le plus proche de ce message ? » Le « hic », avec ce survol historique, est qu’il n’est pas complet : loin d’être incompatibles, populisme et stalinisme ont y compris historiquement convergé un moment. A l’époque, de la naissance du mouvement politique de Poujade en 1953 et jusqu’à la rupture opérée entre eux en 1955, le PCF (Parti Communiste Français), l’un des plus staliniens d’Europe de l’Ouest, a soutenu Poujade et de nombreux communistes ont activement participé à son mouvement.
Plus loin l’auteur pose et répond lui-même à la question : « Le PTB est-il “populiste” ? Non ». Tout en admettant que « Le PTB fait-il des concessions à des préjugés “populaires” que la gauche doit combattre ? Selon nous, oui. Exemples : la campagne des “nez rouges”, la prise de position contre la libération conditionnelle de Michèle Martin, les hôtesses engagées pour présenter la “taxe des millionnaires”, l’agitation sur le thème “le problème n’est pas la langue mais le SEX” ».
Le fait que plusieurs de ces campagnes sont effectivement de nature populiste - et ont y compris des accents « poujadistes », comme celle des « nez rouges » -, sans parler de leurs aspects ouvertement sexistes, patriarcaux ou sécuritaires, est ainsi gommé : on les présente comme des « concessions » de pure forme, comme de simples dérapages en somme, fort critiquables, certes, mais qui ne permettent nullement de les juger comme étant « populistes ». Or, il existe une profonde unité dialectique entre la forme et le fond. Loin d’être des « concessions » de forme ou des dérapages accidentels dans la course au succès électoral à tout prix, ces campagnes traduisent et sont le reflet de choix et de conceptions politiques.
On rappellera aussi que l’auteur semble avoir changé d’avis sur le sujet puisque dans le projet de résolution politique qu’il avait rédigé pour le précédent Congrès national de la LCR, en 2011, il écrivait : « Quoique le PTB s’en défende, les aspects populistes de ses campagnes, notamment électorales, font craindre une évolution plus à droite, comme celle du SP hollandais (qui, à partir de la même origine idéologique, est devenu un parti réformiste populiste de gauche). »
Le « campisme » dans la tradition trotskyste
L’auteur affirme par ailleurs que « Nous ne perdrons pas de temps à expliquer ici que nous sommes radicalement opposés au stalinisme. Toute notre histoire en atteste, et nous continuons le combat pour un socialisme démocratique autogestionnaire. » En réalité, historiquement, et en dépit du courage admirable de ses militants et du sacrifice de leur vie face à la répression et aux crimes staliniens (qu’on oublie peut être un peu vite), le mouvement trotskyste n’a lui-même pas toujours échappé à certaines dérives de type autoritaire dans ses propres modes de fonctionnement interne ou dans certaines analyses (le mythe du parti « léniniste » ultra-centralisé et hiérarchisé, la défense, même « critique », de la répression sanglante du soulèvement de Kronstadt en 1921 et du mouvement anarchiste en Russie dès 1918, etc.).
Il a également connu quelques dérives qu’on peut qualifier de « campistes » vis-à-vis du stalinisme lui-même. Ainsi, même après son exclusion du Parti communiste russe et son exil d’URSS en 1929, Trotsky a appelé pendant un moment ses partisans en Union soviétique à s’allier à la « fraction centriste » (stalinienne) de la bureaucratie et à Staline lui-même pour s’opposer à « l’aile droite » du Parti, identifiée comme plus dangereuse et dont la ligne risquait, croyait-il, de mener au rétablissement du capitalisme [7]. Après la Seconde guerre mondiale, en pleine « Guerre froide », le courant majoritaire incarné par Michel Pablo dans la IVe Internationale a poussé cette dernière à adopter une orientation de « moindre mal » vis-à-vis de l’URSS stalinienne face au péril d’une guerre impérialiste avec les Etats-Unis. La formule peu heureuse « d’Etat ouvrier dégénéré » (mais « ouvrier » tout de même !) pour caractériser la nature de l’URSS a d’ailleurs conduit pendant un an la même IVe Internationale à apporter son soutien « critique » à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.
Derrière ces dérives se trouvent donc des conceptions théoriques erronées, incomplètes ou insuffisantes sur le stalinisme, sur la nature des « Etats socialistes », sur le parti révolutionnaire, sur la révolution et la société post-capitaliste elles-mêmes. Ce sont là des discussions essentielles et pas du tout « dépassées » ou « abstraites » car ces conceptions déterminent tout le travail militant pratique, les modes organisationnels et les orientations politiques pour aujourd’hui et demain. Elles sont absolument indispensables afin de tirer un véritable bilan et des conclusions actuelles vis-à-vis du désastre stalinien, pour surmonter ses conséquences et pour comprendre aussi l’échec du mouvement trotskyste en général dans ses tentatives de construire des partis ayant une influence de masse durable.
Mais ces questions ne figurent visiblement pas dans les priorités ou dans les préoccupations de la direction actuelle de la LCR. Et ce détour sur les dérives campistes du trotskysme vis-à-vis du stalinisme éclaire mieux en tous les cas la suite de l’article cité de D. Tanuro quand il en arrive à cette conclusion : « qu’on ne compte pas sur nous pour embrayer aujourd’hui dans la dénonciation tapageuse de l’idéologie autour de laquelle Ludo Martens a bâti son parti, et des pratiques politiques qui en ont résulté. »
Autrement dit, la critique de l’idéologie stalinienne du PTB doit être mise en sourdine sous prétexte que le PS et des médias l’utilisent dans leur lutte contre la concurrence électorale incarnée par ce parti. Bien entendu, il ne s’agit pas de hurler avec les vieux barons du PS contre le prétendu « rexisme » du PTB et il faut dénoncer ces amalgames odieux. C’est une chose. Mais les critiques sur le stalinisme interne, ou sur certaines contradictions, faites parfois par des journalistes consciencieux qui font leur travail (et on ne peut pas leur demander plus), c’est tout autre chose [8]. Or, selon D. Tanuro, puisque le PS et des médias font de mauvais procès au PTB, et surtout avec de bien mauvaises intentions derrière, alors la LCR s’abstiendra quant à elle de critiquer l’idéologie stalinienne du PTB et ses pratiques pour ne pas soi disant « ajouter de l’eau au moulin »…
Il s’agit là, selon nous, d’une très dangereuse concession et qui se révélera d’ailleurs contreproductive si le but est de réellement aider ou de contribuer à ce que le PTB évolue positivement par rapport à son identité stalinienne. Rappelons tout d’abord que dans les années ’30 et ’50 les critiques des capitalistes vis-à-vis de l’URSS stalinienne (ou lors de sa chute en 1991) visaient elles aussi à nuire à l’idée même du communisme et à disqualifier le marxisme, la révolution et l’anticapitalisme en général. Fallait-il que les militants antistaliniens s’abstiennent eux aussi de toute forme de critique vis-à-vis du stalinisme, même si c’était à partir d’une toute autre perspective et dans un tout autre but, sous prétexte que cela pouvait « nuire à la cause du socialisme » ou « à la gauche en général » ? Bien sûr que non. L’argument que la critique peut servir et être reprise par « l’ennemi de classe » dans son combat contre le socialisme est précisément une vieille méthode stalinienne et campiste pour faire taire les dissidences et les voix critiques au nom de la lutte contre « l’ennemi principal ».
Contrairement à ce qu’affirme l’article, ce n’est donc pas une lubie journalistique ou « complotiste » que de pointer du doigt les contradictions du PTB entre son discours officiel, son image d’ouverture d’une part, et ses statuts ou ses références internes au stalinisme, d’autre part. C’est au contraire une question essentielle, y compris et surtout pour le PTB lui-même, de faire toute la clarté sur le sujet et de prendre clairement ses distances avec son passé, ses pratiques et ces références.
Pour l’auteur de l’article, par contre, la critique du stalinisme du PTB est d’autant plus à mettre en sourdine que « le PTB semble réexaminer doctrine et pratiques, a rompu avec la Corée du Nord et n’est en tout cas plus une forteresse monolithique et dogmatique téléguidée par Pékin (…) Ensuite et surtout parce que ce PTB en évolution est en position d’ouvrir une faille dans le monopole électoral du PS. Au moment précis où celui-ci cherche à se maintenir au pouvoir pour imposer le programme néolibéral… » Bref, il s’agit bel et bien là d’une attitude « campiste » dictée par une « realpolitik » en réalité fort peu réaliste.
Personne ne souhaite évidement revenir à la situation du passé, avec ses divisions au couteau, ses invectives et ses polémiques puériles. Mais on tord ici le bâton dans l’autre sens.
Le PTB a-t-il changé ?
L’affirmation selon laquelle le PTB « semble réexaminer doctrine et pratiques » doit être vérifiée. Mais, tout d’abord, que le PTB ait changé d’une certaine manière, ce n’est nullement un scoop et cela ne date nullement d’hier. Cela fait au moins 13 ans que le PTB a commencé à opérer un virage vis-à-vis du sectarisme stalinien le plus outrancier qui l’avait caractérisé tout au long des années 1970-1990. Ainsi, en 2000 déjà, des discussions ont eu lieu entre le SAP et le PTB à Anvers pour une liste électorale unitaire aux communales, et Peter Mertens (président du PTB) avait été invité cette année là à l’Ecole d’été du POS pour en débattre (sa présence à la dernière « Ecole anticapitaliste » de la LCR n’était donc en rien inédite). En 2001, dans le contexte du mouvement altermondialiste, le PTB, le POS et des militants libertaires et autres ont étroitement collaborés au sein de la « Coordination D14 » qui organisait le contre-sommet et la manifestation comme le sommet de l’UE à Bruxelles. En 2003-2004, pour la première fois de son histoire, le PTB présentait des listes non étiquetées PTB, avec la liste « Debout » autour de D’Orazio, la liste « Maria » à Bruxelles autour d’une syndicaliste de la SABENA et la liste « Resist » à Anvers autour de Dyab Abou Jajah. Après les échecs relatifs de ces listes, et l’exclusion typiquement stalinienne de sa secrétaire générale, Nadine Rosa-Rosso, qui en était l’artisane, le PTB s’est recentré sur sa propre et seule image et a opéré une transformation en profondeur de celle-ci et de son discours (« parti de gauche, pas d’extrême gauche », mise en sourdine de l’antiracisme dans les campagnes électorales [9], alignement strict sur la bureaucratie syndicale, transformation de ses structures pour élargir sa base, etc.)
Mais ces changements à 180° vis-à-vis des années ’70-‘90 n’ont pas été sans à coups, ni retours de flamme, et surtout ils ne se sont absolument pas accompagnés d’une évolution « doctrinaire » interne d’une même ampleur. Ces virages sont d’ailleurs parfaitement compatibles avec le maintien de leur stalinisme. L’histoire de ce dernier en témoigne, avec ses zigzags des années 1930 entre la ligne « classe contre classe » identifiant la social-démocratie au « fascisme » et celle des « fronts populaires » de participation au pouvoir avec cette même social-démocratie.
Si le maintien de la nature stalinienne du PTB pose beaucoup de questions aujourd’hui c’est qu’il ne s’affiche plus ouvertement comme tel. Le problème, c’est également qu’on ne tient pas suffisamment compte de sa « double » nature, ou de son caractère « hybride » aujourd’hui, avec sa structure à plusieurs « cercles » de membres. D’une certaine manière, il n’y a pas « un » PTB, mais « plusieurs », bien qu’ils n’aient pas la même importance et influence. Ainsi, bon nombre de ses nouveaux membres « adhérents », pour ne pas dire la majorité, ne s’identifient pas avec le stalinisme (même « en cachette ») et n’en savent sans doute pas grand chose. Mais ce sont précisément eux qui n’ont pas de poids, ou si peu, dans la structure décisionnelle interne, dans les grands choix d’orientation qui sont dictés par le « noyau dur » central des membres effectifs, et plus encore dans les instances de direction où les références internes au stalinisme sont toujours bel et bien présentes, ainsi que dans les formations pour les cadres destinés à intégrer ces instances.
Ainsi, et jusqu’à preuve formelle du contraire, il faut continuer à appeler un chat, un chat : le PTB est et reste un parti mao-stalinien, en dépit de toute son épaisse coquille externe et de son image « new look ». Et le stalinisme, ce n’est pas seulement des références historiques lointaines, c’est aussi une pratique et une conception du monde, du projet de société « socialiste », de la lutte et de l’instrument nécessaires pour y parvenir. Le campisme exprimé par la majorité des organisations staliniennes ou d’origine stalinienne vis-à-vis des processus révolutionnaires dans le monde arabe (et dans le cas de la Syrie en particulier) le démontre. Derrière ces polémiques, ce ne sont pas seulement des divergences sur la situation internationale ou sur tel processus dans un pays exotique qui s’expriment, elles reflètent également des conceptions très profondes sur la lutte anticapitaliste, la place de la démocratie dans celle-ci, sur les modalités de la transformation sociale et sur la société alternative à construire.
S’il est vrai que le PTB n’évoque plus ouvertement de manière positive la Corée du Nord, par exemple, cela ne prouve nullement que ses dirigeants et ses cadres aient modifié en profondeur leur appréciation sur la nature du régime nord-coréen. Quant à la Chine, un article récent publié sur le site du PTB [10] et visiblement élaboré après de laborieuses discussions internes, exprime une position qui n’est certes plus la même qu’il y a 20 ans, mais qui ne permet certainement pas non plus d’affirmer que la conception du socialisme par le PTB a subi une (r)évolution notable. Dans ce dossier, le PTB affirme en creux - à côté de quelques critiques - qu’il n’y a pas de capitalisme en Chine (puisque, selon lui, ce pays semble seulement « se diriger » « en essence » vers une telle économie). Il affirme surtout que l’Etat y maintient une « structure socialiste » (?) « sous la direction d’un parti communiste ». Le fait qu’un pays de plus d’un milliard d’habitants soit dirigé par un parti unique qui écrase toute dissidence politique, à sa droite comme à sa gauche, ne semble visiblement pas constituer un quelconque problème aux yeux du PTB, même « new look ».
Dans une récente interview croisée avec un représentant du SP hollandais [11], Peter Mertens, tout en soulignant les nombreuses proximités entre les deux partis, conclut en disant « (…) nous ne sommes pas les mêmes. Nous avons notre tradition, notre ossature marxiste, notre interprétation d’un avenir socialiste. Elles diffèrent de celles du SP. » Ce qui est d’autant plus piquant ou éclairant que le SP hollandais était un parti mao-stalinien comme le PTB, mais qui a abandonné sa « tradition »… en même temps que son radicalisme anticapitaliste. Dans l’esprit des cadres du PTB, il est clair que le maintien de leur stalinisme est considéré comme un garde-fou, comme une digue qui leur évitera de sombrer « corps et âmes » dans l’opportunisme le plus plat. [12]
Au final, la question principale est que, s’il est toujours et en tout temps nécessaire et utile de critiquer intelligemment ou de pointer sobrement du doigt les limites et les contradictions de l’évolution du PTB, personne ne changera le PTB à sa place. Tant qu’il n’aura pas fait un aggiornamento clair et explicite sur son stalinisme (au lieu de botter en touche en parlant de « questions à laisser aux historiens »), on ne peut pas faire comme si celui ci n’existait pas, se taire ou faire comme s’il était en voie de lente mais sûre résolution, ou encore comme si ces contradictions étaient mineures, purement secondaires et sans importance « au regard des intérêts des travailleurs »… ou de certains calculs électoralistes.
Si le but affiché aujourd’hui de la LCR est d’œuvrer en direction d’une « recomposition en profondeur » de la gauche à partir du PTB (ce qui, comme on l’a dit, nous semble plus qu’hypothétique), afin de déboucher sur « une nouvelle expression politique des exploité-e-s et des opprimé-e-s », alors ces questions sont d’autant plus vitales et nécessaires.
Bien sûr, la collaboration sur le terrain des luttes avec les militants du PTB, comme avec ceux des autres organisations de la gauche radicale, est tout aussi essentielle, utile et nécessaire. Mais quand on s’engage d’une telle manière avec ce parti dans une perspective qui dépasse largement le seul terrain électoral conjoncturel et englobe une perspective politique plus large, on entre dans une dynamique qui risque de se révéler très coûteuse. D’autant plus que certains dans la LCR voudraient sans doute aller encore plus loin en s’intégrant dans le PTB, le seul obstacle (de taille et éloquent) étant le refus de celui-ci d’accepter tout ce qui peut ressembler de près ou de loin au « droit de tendance ».
Dans sa déclaration de novembre, le Secrétariat de la LCR conclut en disant que « le PTB change, chacun s’en aperçoit. ». Mais, plus encore que le PTB, n’est-ce pas en réalité la LCR qui change, et pas nécessairement dans le bon sens ?
Ataulfo Riera
Du bon usage du sectarisme… Lettre ouverte aux militant-e-s de la LCR
Camarades,
Sans attendre son congrès pour fixer une orientation définitive, la direction de la LCR a donc décidé de placer des candidats sur les listes du PTB. On peut penser ce qu’on veut des arguments utilisés pour justifier ce tournant ou du moment choisi pour le faire [13], c’est en définitive son droit le plus strict de se fourvoyer.
Mais qu’elle semble vouloir jouer désormais le rôle actif de « rabatteur » ou de « porte-flingue » du PTB en critiquant et en s’attaquant à tout ce qui s’oppose ou se situe en dehors de ce parti, là, c’en est trop ! Alors que sur le site du PTB on s’abstient prudemment de toute critique ou mention de l’initiative de Vincent Decroly et de Vega-Liège [14], le site de la LCR a déjà publié deux textes l’attaquant frontalement, et à travers lui, VEGA.
Or, Decroly a toujours été un ami proche et très cher du POS et de la LCR. Au début des années 2000, il a activement participé aux voyages d’études de son ONG « Socialisme Sans Frontière » (SSF) à Porto Alegre. En 2001, il a rendu, à la suite de son décès, un hommage émouvant au regretté camarade qui constituait la cheville ouvrière de SSF et, jusqu’à son départ de la politique en 2003-2004, sa porte a toujours été ouverte. Et même par la suite encore, puisqu’en 2010 il a ouvertement soutenu la liste unitaire du Front des Gauches, notamment en participant à son meeting international à Bruxelles.
Les attaques et les critiques dont il fait désormais l’objet de la part de la direction de la LCR sont d’autant plus choquantes et injustes que l’évolution politique de Decroly est extrêmement positive. Il s’affirme aujourd’hui résolument anticapitaliste et déclare sans ambiguïté qu’il faut mettre un terme au système capitaliste en faveur d’une alternative et d’une société écosocialistes. Cela n’en fait pas un marxiste révolutionnaire pur jus, mais quel pas en avant considérable et positif dans son évolution politique !
Au lieu de saluer cette évolution et de chercher à circonscrire les critiques dans une démarche constructive de convergence, la direction de la LCR choisit la voie exactement inverse (et, à nouveau, avant même que son congrès puisse prendre position) : une voie d’opposition frontale et sectaire.
Or, quoiqu’on pense de certains initiateurs de VEGA ou de leurs liens ou références internationales, ou encore de leurs conceptions théoriques de l’écosocialisme, leur initiative peut rassembler des militants et des milieux nouveaux extrêmement intéressants ainsi que des gens qui ont toujours été proches ou en sympathie avec la section belge de la IVe Internationale. En outre, et surtout, ce mouvement à l’échelle francophone étant encore largement embryonnaire et en cours de définition (le programme, statuts et direction devant être encore fixés) il y a là une réelle opportunité pour les marxistes révolutionnaires d’y défendre leur conception de l’écosocialisme (et certainement d’une manière bien plus démocratique que dans un PTB verrouillé et cloisonné). En outre, au lieu d’opposer artificiellement l’initiative de la FGTB-Charleroi à celle de Decroly et de VEGA, la LCR pourrait au contraire saisir cette opportunité pour plaider afin qu’ils s’inspirent du programme d’urgence anticapitaliste élaboré les syndicalistes carolos et s’inscrivent pleinement dans leur démarche.
Au lieu de cela, les dirigeants de la LCR lancent des anathèmes dogmatiques qui ferment toute possibilité de collaborations ou de convergences ultérieures. Au nom d’une « unité » abstraite, limitée et fort peu unitaire, ils accusent cette initiative et ses partisans d’être « sectaires » et d’avoir des « exclusives » vis-à-vis du PTB alors qu’ils ne disent rien du sectarisme et des exclusives du PTB, qui se refuse toujours à toute forme de collaboration sérieuse et réellement unitaire avec d’autres forces de gauche sur le terrain électoral. La présence de candidats LCR (ou PC) sur les listes PTB n’est en rien un signe d’« ouverture » bouleversant du PTB. La direction de la LCR a beau claironner partout qu’elle « fera campagne avec le PTB », celui-ci par contre n’en pipe pas un mot dans son site et il ne dira certainement pas qu’il « fera campagne avec la LCR », toute la différence est là.
L’un des principaux arguments des partisans du « tous derrière le PTB » est que celui-ci serait le mieux placé pour obtenir un élu. Ce que fera, défendra ou dira cet élu semble moins importer que sa seule présence dans une enceinte parlementaire. Or, à côté de tout le travail utile et remarquable qu’il pourrait certainement faire, que se passera-t-il avec un élu du PTB au cas où la situation en Syrie reviendrait à nouveau à l’avant-plan ? Que se passera-t-il avec un élu PTB si, demain, une mobilisation syndicale d’ampleur est à nouveau lancée puis mise au frigo par la bureaucratie syndicale ? Cet élu appellera-t-il les travailleurs à poursuivre malgré tout la lutte et donc à déborder les appareils ?
Si la question « vitale » des élections de 2014 est d’obtenir un élu de gauche, on peut aussi se demander pourquoi ce dernier devrait être forcément du PTB. Au cas où Decroly se présente, vu sa popularité passée, ne se pourrait-il pas qu’il ait autant de chances d’être élu qu’un Raoul Hedebouw ?
La présence d’un élu de gauche semble en outre être considérée comme une véritable « brèche dans le néolibéralisme », voire comme le commencement de la fin du monopole du PS dans la « représentation » politique du « monde du travail ». On verse ici un tantinet dans l’exagération : le PS n’est pas le PASOK. Et si un élu de gauche au Parlement sera sans nul doute une très bonne nouvelle s’il joue un rôle utile de porte-voix des résistances ou pour contribuer à encourager celles-ci, il faut cependant garder les pieds sur terre. Du point de vue des politiques néolibérales, cela aura à peine l’effet d’une fissure imperceptible et non d’une « brèche ». Un (ou deux) députés de gauche à eux seuls ne peuvent pas faire, ni changer grand ‘choses au sein d’un Parlement. Encore moins aujourd’hui où, sans parler du danger des pressions en faveur des compromissions et de l’adaptation exercés par le pouvoir, ces parlements sont de plus en plus dépossédés de tout pouvoir effectif.
En Grèce, Syriza a obtenu pas moins de 71 élus au Parlement aux dernières élections, dont certains sont issus des courants révolutionnaires et anticapitalistes en son sein. En dépit de leur travail de dénonciation des politiques d’austérité, aucune de ces dernières n’a été stoppée ni même véritablement ébranlée. C’est l’exécutif, sous les diktats de la Troïka et, derrière elle, les capitalistes grecs et européens, qui imposent ces politiques au rouleau compresseur.
Quant au bouleversement que des élus peuvent produire sur la lutte des classes, il est là aussi très limité et il est totalement illusoire (et c’est semer des illusions parlementaristes) que d’espérer modifier le rapport de force entre les classes « à froid », par la seule voie électorale. Toute l’histoire le prouve ; de l’arrivée au pouvoir des « gouvernements progressistes » d’Amérique latine à la percée électorale de Syriza aux dernières élections en Grèce, tous ces changements de rapport de force politique ont été précédés, déterminés et conditionnés par des mobilisations sociales de grande ampleur et de longue durée qui ont ainsi « préparé » le terrain aux bouleversements politiques. Or, rien de tout cela pour le moment en Belgique et on peut douter que d’ici mai 2014 on assiste à une telle lame de fond de luttes et de résistances sociales. Or c’est bien celles-ci qu’il faut chercher à construire et développer si on veut réellement ouvrir une « brèche dans le néolibéralisme », y compris au niveau politique.
Plus grave encore, la direction de la LCR se sert de l’initiative de la FGTB-Charleroi comme prétexte et justificatif à sa propre ligne vis-à-vis du PTB et à son choix de placer des candidats sur ses listes. Il s’agit là à mon sens d’un abus, pour ne pas dire d’une récupération. Jusqu’à preuve du contraire, l’initiative de la FGTB-Charerloi vise, comme l’a clarifié Daniel Piron, à ceci : « nous proposons que la FGTB favorise activement l’apparition d’une nouvelle force anticapitaliste sur le champ politique et électoral. » Nulle part la FGTB-Charleroi n’a officiellement déclaré qu’elle voulait que toutes les forces de gauche s’alignent ou se fondent sur des listes « PTB+ » aux prochaines élections. La direction de la LCR peut tenter de faire croire qu’une telle démarche favorisera par la suite de « vastes recompositions », c’est son avis à elle et il ne semble pas du tout partagé par d’autres composantes qui participent à l’initiative de Charleroi.
Si la direction de la LCR avait attendu son congrès pour prendre une orientation définitive quant aux élections, il aurait été encore possible pour elle, tout en gardant son indépendance, de jouer un rôle actif de convergence entre les différentes forces en lice. Au lieu de cela, elle a « choisi son camp » de manière prématurée en n’ayant pas tous les éléments en main et elle s’enfonce aujourd’hui dans une voie désastreuse. Il n’est peut être malgré tout pas encore trop tard pour la LCR de redresser les choses et son image, mais il est moins une.
Ataulfo Riera