Le verdict du procès de Port-Saïd a fait davantage de morts dans les rues que de condamnés à mort par la justice. Samedi soir, le bilan officiel comptait 32 décès, dus pour la plupart à des tirs à balles réelles, et 312 blessés. 7 morts et 450 blessés sont venus alourdir le bilan, dimanche 27, suite aux accrochages ayant de nouveau opposé habitants et policiers lors des processions funéraires des victimes de la veille.
A peine le juge de la Cour d’assises de Port-Saïd avait-il prononcé la condamnation à mort de 21 personnes, accusées d’avoir participé au massacre de 74 supporters à l’issue d’un match de football à Port-Saïd, le 1er février 2012, que les rues se sont enflammées.
La tristesse des habitants s’est vite transformée en colère. Les gémissements ont rapidement laissé place aux cris de fureur et aux détonations d’armes à feu. La colère, dirigée contre le président Mohamad Morsi et la confrérie des Frères musulmans, a conduit des centaines de manifestants devant les portes de la prison où sont détenus la vingtaine d’accusés.
Le long du chemin qui conduit à la prison, tous les magasins avaient baissé leurs rideaux. Poussés par les familles des condamnés, les manifestants ont essayé de forcer la porte de la prison de Port-Saïd. « Sortez vos armes pour qu’on libère nos frères détenus ! Ces armes, vous les avez utilisées auparavant pour faire sortir Mohamad Morsi de la prison », lance un passant, sur un ton agressif, au propriétaire d’un magasin réputé proche de la confrérie.
Au lendemain de la révolution de janvier 2011, Mohamad Morsi s’était, en effet, échappé de la prison avec l’aide des Frères. Rapidement, la tension s’est concrétisée en échange de tirs d’armes automatiques, de jets de pierres et de cocktails Molotov. Un bus appartenant à la chaîne privée Al-Hayat a brûlé ainsi que la voiture d’un journaliste d’Al-Ahram. Très vite, la fureur populaire a touché d’autres bâtiments : la façade de la faculté de pédagogie, les locaux du commissariat …
Désigner des coupables
Sur le terrain, il était difficile de comprendre qui s’en prenait à qui. Le premier bourreau, selon les habitants de Port-Saïd, est les Frères musulmans. « La confrérie a choisi nos frères pour être le bouc émissaire, c’est injuste », se lamente un jeune devant la morgue locale.
Un autre appelle tous les partisans du nouveau gouvernement à « assumer les décisions » du président qu’ils ont élu, avec un message implicite : voilà comment Mohamad Morsi respecte la ville de Port-Saïd. « Le président a sacrifié un gouvernorat pour acheter la paix des 26 autres », s’écrie un autre habitant. Pour lui, le jugement n’est pas moins une décision de justice qu’un moyen de calmer les supporters de l’équipe de football d’Ahli, principales victimes du drame de Port-Saïd en février 2011.
Il faut dire que, depuis plusieurs jours, les Ultras d’Ahli avaient multiplié les manifestations dans la capitale, menaçant de répandre le chaos à travers le pays dans le cas où le juge prononce un léger verdict.
Sous le slogan « la justice ou le chaos », ils ont sillonné les rues du Caire, bloquant plusieurs artères principales, des ponts, des bâtiments ou des stations de métro. Pour les habitants de Port-Saïd, le gouvernement a plié sous la menace des Ultras, quitte à biaiser la justice.
« Nous avons réclamé de juger les vrais coupables, mais comme d’habitude, les grandes têtes ne tombent jamais », fustige Ingy Hamdi, porte-parole du mouvement du 6 Avril. « Est-ce que ce sont ces 21 condamnés qui ont bouclé les portes de sortie et ont éteint les lumières du stade lors du massacre, l’an dernier ? Ce sont eux qui ont permis à des voyous munis d’armes blanches d’entrer dans le stade ? Qui a planifié tout cela ? », fustige-t-elle.
Ces questions trouvent un échos dans les dires de Moustapha Cherdi, ex-député du parti libéral Wafd, également originaire de Port-Saïd. Selon lui, « les enquêteurs n’ont pas tenu compte du rapport de la commission d’enquête parlementaire », qui a montré du doigt les forces de sécurité et la direction du stade. « Ce qui compte, c’est de juger les instigateurs qui ont orchestré le massacre et non seulement ceux qui l’ont exécuté », estime-t-il.
Punir Port-Saïd ?
Dans les cafés, les plus vieux, faute de pouvoir participer aux événements, se contentent de discuter. Leur raisonnement n’est pas différent de ceux sur le front. Beaucoup accusent le président de faire en sorte que le peuple soit occupé par la violence pour camoufler son échec.
Ils sont quasi unanimes : « Au moins la moitié des jeunes condamnés sont innocents et n’ont aucun lien avec les événements de l’an dernier ». Ici, comme partout dans la ville, tout le monde se sent victime d’une discrimination : « Cela a toujours été le cas avec les régimes successifs, tous ils traitaient les habitants de Port-Saïd comme des intrus, comme des étrangers ».
Tout le monde se rappelle l’attentat à l’arme blanche contre le président Moubarak alors qu’il était « chez eux » en 1999, et comment ils ont fait depuis l’objet de « discrimination de la part de l’Etat central ». Et les rumeurs n’ont pas tardé à circuler. « Ils vont couper l’électricité, l’eau et le gaz, il faut sécuriser les accès de la ville », met-on en garde.
Originaire de Port-Saïd, l’ex-député du parti de gauche, le Rassemblement, Al-Badri Farghali, dénonce un « complot » contre sa ville natale. « Les Port-Saïdiens ne sont pas des assassins, ils ne sont pas moins patriotiques que les autres égyptiens. Leur colère aujourd’hui n’est pas seulement contre un verdict politisé, mais contre l’injustice qu’ils subissent depuis toujours », dit-il.
Au final, 73 personnes ont été inculpées, parmi lesquelles 61 sont accusées de meurtre avec préméditation. Les douze autres, dont neuf policiers, sont soupçonnées d’avoir contribué au déclenchement des violences. Le verdict concernant les autres accusés sera prononcé le 9 mars. Pour eux, les Ultras d’Ahli revendiquent des peines non moins sévères.
En attendant, le procureur général, Talaat Abdallah, a formé une équipe parmi les membres du Parquet pour accélérer les enquêtes sur les affrontements de ce week-end. Des médecins légistes ont aussi été dépêchés en renfort à cette même fin. Sur le terrain, les forces de l’ordre, appuyées par des véhicules blindés, se sont déployées dans les rues de Port-saïd. L’armée a annoncé le déploiement de militaires pour « rétablir le calme » et protéger les installations publiques. Un semblant de calme règne dans la ville.
May Al-Maghrabi avec Amr Hassan à Port-Saïd