Elles ont été 2 800 à répondre à l’appel du China Entrepreneur Club for Singles (CECS, Club pour entrepreneurs chinois célibataires) et 320 candidates ont été présélectionnées le 20 mai pour une première batterie de tests dans un hôtel de luxe à Canton, devant un aréopage de juges au service des membres du club. Ceux-ci ont déboursé 200 000 yuans par an (l’équivalent de 25 000 euros) pour y adhérer et doivent remplir les conditions suivantes : être célibataire, désirer une vie maritale heureuse et... posséder l’équivalent de 100 millions de yuans de capitaux (13 millions d’euros). Enfin, ils doivent être dotés d’« un sens solide de la responsabilité sociale » et d’« une bonne image publique ».
Ces messieurs sont onze. Et on ne connaît ni leur nom ni leur secteur d’activité. Tout juste sait-on que le plus riche pèse plus de 10 milliards, qu’il a moins de 50 ans, est divorcé et aime le golf. Il a promis d’offrir 50 000 yuans à qui lui recommandera l’épouse idoine. Et à l’heureuse élue, un appartement d’une valeur de 3 millions de yuans. Quant aux aspirantes à une vie dorée, elles doivent avoir entre 18 et 28 ans, mesurer de 1,60 m à 1,75 m, et avoir fait trois ans d’études après le gaokao, le bac chinois.
Que de chiffres ! Et ce n’est pas fini : les QI des jeunes filles ont fait l’objet d’une évaluation minutieuse par le juge préposé aux méninges. Un expert en chirurgie esthétique débusque les plastiques au naturel douteux. Un psychologue s’assure des aptitudes morales des jeunes filles. Enfin, un astrologue vérifie les combinaisons heureuses selon les années de naissance et le groupe sanguin des paires potentielles. Pas question que les belles fassent des plans sur la comète : il s’agit de dénicher des « mères de haut calibre pour les riches de seconde génération » - les maris appartenant à la première génération de riches Chinois -, et des « épouses qui auront à gérer une immense fortune », a déclaré aux candidates l’un des organisateurs. La prochaine présélection du Club pour entrepreneurs chinois célibataires aura lieu, dimanche 3 juin, à Chengdu, la capitale du Sichuan, avant huit autres villes. Au terme de la tournée, les 28 demoiselles finalistes rencontreront les entrepreneurs d’élite lors d’une party grandiose à Canton.
Le CECS, dont le site Internet s’orne de photos représentant une boîte de cigares, un verre à pied rempli de rouge, une belle Européenne sur le perron d’un château et un yacht filant à vive allure sur une mer émeraude, n’est ni la première ni la seule des agences matrimoniales à organiser de tels concours. On se demandera qui, du nouveau riche ou de la prétendante, est le pigeon et qui est l’appât : les demoiselles sont-elles là pour attirer de nouveaux membres fortunés, ou l’espoir d’un beau mariage n’est-il qu’un piège à belles ? A moins que les dindons de la farce soient les « spectateurs », par médias interposés - car il ne s’agit pas d’un jeu télé, le Parti veille trop sur l’harmonie sociale pour autoriser un reality show tel que celui lors duquel Rick Rockwell demanda la main de Darva Conger sur la Fox, un soir de février 2000, dans « Who wants to marry a multi-millionaire ? ».
Force est de constater, comme l’a fait un professeur d’université de Canton interrogé par un journal local que, premièrement, les riches ont un besoin irrépressible d’étaler leur fortune ; que, deuxièmement, ils ne parviennent décidément pas à trouver chaussure à leur pied dans leur propre milieu ; et que, troisièmement, ce genre d’activités fait gagner beaucoup de sous à ceux qui les organisent.
L’argent continue de faire tourner la tête des Chinois, tout en rendant fous de rage ceux et celles, qui estiment ne pas en avoir assez. Ah, les riches, leurs passe-droits, leurs voitures de sport lancées à vive allure qui emboutissent des taxis ou balaient des bicyclettes sans qu’on retrouve le chauffeur ! Des fortunes vieilles d’à peine une génération et déjà suspectes ! Aussi les OPA des nantis sur la fine fleur des Chinoises font-elles grincer des dents : on les compare aux choix des empereurs qui disposaient d’une horde de recruteurs pour garnir leur harem d’épouses et de concubines. Même Jiayuan (littéralement, belle destinée), aujourd’hui premier site de rencontres en ligne chinois, coté au Nasdaq américain, et produit de la vision d’une fille de paysans indignée par les faux profils qui pullulent sur la Toile, a été décrié pour son service VIP, raconte l’hebdomadaire américain New Yorker du 14 mai, dans un long portrait consacré à son infatigable et géniale fondatrice, Gong Haiyan. Les Diamond Bachelors (célibataires de diamant) déboursent 50 000 dollars pour six « assortiments » concoctés par les VIP high level marriage hunting advisers (conseillers de chasse VIP pour mariage de haut niveau) de Jiayuan.
L’angoisse du célibat chez le mâle chinois suscite toutes sortes d’ouvrages et de formations pour apprendre à séduire. Des familles entières se saignent pour que leur fils ait le diplôme, l’appartement et la voiture, les trois minima requis pour ne pas passer pour un idiot auprès des filles des villes. L’attrait du mariage est tel que 98 % des femmes chinoises passent la bague au doigt au moins une fois dans leur vie. Il faut dire qu’elles ne sont pas nombreuses - la faute aux avortements sélectifs - : le ratio des sexes est en Chine de 118 garçons pour 100 filles, contre 106 en moyenne dans le reste du monde. Certes, la tendance commencerait enfin à s’inverser, et le plan quinquennal en cours (sic) a placé la barre du redressement à 112 ou 113 pour 100 d’ici à 2016. 35 millions d’hommes chinois sont toutefois destinés à rester en surnombre un bon bout de temps. C’est une mêlée générale. Et les plus riches sont bien décidés à remporter la perle rare.
Brice Pedroletti