Voilà cinq ans que la Chine s’est dotée d’une loi pour lutter contre les violences domestiques, écrit le site Zhongguo Xinwen Wang. Certains cas défrayent encore pourtant la chronique, comme celui d’une femme tibétaine, Lamu, résidant au Sichuan, morte brûlée vive par son ex-mari en septembre 2020. “Elle avait alerté la police à plusieurs reprises, mais aucune suite n’avait été donnée, les policiers ayant estimé ne pas pouvoir intervenir entre deux époux”, souligne le site. Cette affaire a suscité beaucoup d’émotion sur Internet. Le site parle encore d’une femme du Shandong, également morte du fait de violences domestiques, après avoir été longtemps maltraitée, battue et empêchée de voir ses parents par sa belle-famille. Le commissariat, averti plusieurs fois, avait refusé d’intervenir.
30 % des foyers chinois seraient touchés
“Ce genre de drame se répète, entre autres du fait que la police n’est pas tenue de rendre des comptes chiffrés sur ce genre de faits, ce qui laisse certains policiers de base dans l’idée fausse ‘qu’il s’agit d’affaires de famille’”, déclare Cui Yu, déléguée à la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), et ancienne vice-présidente de la Fédération nationale des femmes de Chine. Pour la même raison, l’évaluation de l’ampleur du phénomène est difficile, souligne Cui. Bien souvent, les médias chinois indiquent que “30 % des 270 millions de foyers chinois connaissent la violence domestique”, dit-elle, en déplorant que ce chiffre ne soit fondé sur aucune statistique solide. C’est pourquoi elle préconise la mise en place d’un numéro de téléphone d’urgence spécifique, différent du 110 qui est le numéro d’appel de la police. Elle demande également que des efforts soient faits pour conserver des traces écrites des signalements.
Le chiffre de 30 % de foyers touchés est diffusé sous la forme d’un graphique par la chaîne de télévision centrale CCTV, et diffusé par le site Pengpai. Selon ce graphique, parmi les 157 000 suicides annuels de femmes, 60 % seraient motivés par les violences domestiques, qui seraient par ailleurs à l’origine de 40 % de tous les meurtres de femmes.
Peu d’affaires retenues par manque de preuves
En février, une ancienne journaliste a attiré l’attention sur le sujet en parlant ouvertement sur Internet de la violence qu’elle a subie de la part de son ex-mari, écrit d’autre part le site Pengpai. Alors, quel effet a eu la loi de 2016 ? Le professeur de droit Jiang Yue, de l’université de Xiamen, dans la province du Fujian, a mené une étude d’un échantillon de 400 verdicts émis par les tribunaux d’affaires civiles entre 2016 et 2018, récoltés sur les bases de données nationales. Résultat : plus de 90 % des plaintes sont émises par des femmes contre des hommes. Parmi les plaintes, plus de 70 % concernent des violences physiques, le reste concernant des violences psychologiques, des mesures de contrôle économique, et des violences sexuelles. “Mais seules 20 % des plaintes concernent des faits qualifiés au bout du compte de violences domestiques par le tribunal, la difficulté étant d’apporter des preuves”, observe le juriste.
Apporter des preuves est véritablement difficile, dit Jiang Yue. Parmi les 400 cas étudiés, plus de 50 % des plaignantes ont été capables d’apporter des éléments de preuves à l’appui de leurs dires, mais 44,5 % d’entre elles n’ont rien à ajouter à leurs accusations. Les preuves les plus fréquemment apportées sont des certificats médicaux, présents dans 20 % des cas. Les autres éléments, écrits collectés par la plaignante ou la police, confessions, promesses, excuses, regrets, ou messages sur réseaux sociaux, existent plus rarement. Résultat, sur les 400 cas étudiés, 91 ont été confirmés par le tribunal, 255 ne l’ont pas été, et les autres ont débouché sur un non-lieu. Neuf personnes avaient demandé une ordonnance de protection et six l’ont obtenue.
Les jeunes féministes souvent dans l’imprécation
Et pendant que juristes et associations semi-officielles semblent tenter de faire avancer les choses pas à pas, les nouvelles jeunes féministes chinoises peinent à agir, estime le site hongkongais Duanchuanmei. Leur mode de mobilisation, essentiellement sur Internet, et leur manque de connaissance du terrain, ou même de l’histoire récente du mouvement féministe en Chine, est un handicap. Sur le forum culturel Douban, certaines se demandent pourtant si “2020 n’a pas été l’année zéro du féminisme en Chine”.
L’auteur explique :
“De fait, il y a eu une grande éclosion de féminisme en 2020, mais ces nouvelles féministes sont plutôt de style ‘activiste nationaliste’, et leur particularité est de se regrouper sur Internet.”
Elles s’y mobilisent par vagues, à chaque nouveau sujet qui fait l’actualité du Net, en dénonçant, en boycottant, et en menant la guerre de l’opinion, décrit l’auteur. Mais d’un autre côté, “elles ignorent l’existence des féministes libérales ou de gauche des années 1980 et 1990, et surtout des dernières décennies, qui ont été réduites au silence et discréditées [par la censure et la répression]. Si jamais quelqu’une les évoque, son message disparaît très vite”, écrit le magazine en ligne. Surtout, ces nouvelles féministes sont dispersées, n’ont pas d’activité réelle ensemble, et il leur est difficile de forger un point de vue commun, dit le site. “Leur combat est surtout culturel, même lorsque cela concerne la violence domestique ou le harcèlement sexuel.”
Agnès Gaudu
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