TOKYO, CORRESPONDANT - La mort soudaine du dirigeant nord-coréen intervient alors que le pays est au milieu du gué, essayant de se dégager de son isolement international et de redresser une économie moribonde. Elle se produit à la veille des célébrations, le 15 avril 2012, du centième anniversaire de la naissance du « père fondateur » de la nation, Kim Il-sung, mort en 1994, qui doivent marquer l’avènement d’un « pays fort et prospère » et auxquelles se préparait Pyongyang, proie depuis des mois à de grands travaux, et alors que le processus de succession de Kim Jong-il par son troisième fils, Kim Jong-un, est à peine commencé.
Annoncé par la télévision lundi 19 décembre en milieu de journée, le décès est survenu samedi matin à bord d’un train dans lequel Kim Jong-il avait pris place pour une de ses visites sur le terrain. La destination n’a pas été révélée. Kim Jong-il aurait été victime d’une crise cardiaque fulgurante. Son fils Kim Jong-un (28 ans) a été présenté par les médias officiels comme le successeur désigné du dirigeant défunt. « Tous les membres du parti, les militaires et le peuple doivent suivre fidèlement l’autorité du camarade Kim Jong-un » et « renforcer le front uni formé du parti, de l’armée et du peuple ». Les funérailles ont été fixées au 28 décembre. La personne qui sera désignée pour présider ces cérémonies sera une indication de la nouvelle structuration du pouvoir autour de la figure du successeur désigné. Apparemment, la nouvelle était connue de la population dès le début de la matinée : dans les universités, les étudiants sanglotaient sur leur pupitre, rapporte un témoin. Selon des résidents étrangers, il pèse sur Pyongyang un silence prostré.
La seconde succession dynastique en République populaire démocratique de Corée (RPDC) est présentée par le régime comme la « meilleure solution » afin d’assurer la continuité et la stabilité du pays, qui se considère toujours menacé par les Etats-Unis. Arguments qui avaient déjà été utilisés pour légitimer la mise en place de la succession de Kim Il-sung par son fils Kim Jong-il dans les années 1970-1980. La progression de Kim Jong-il dans l’appareil du parti et de l’Etat avait pris une dizaine d’années. Dans le cas de Kim Jong-un, il est apparu au grand jour il y a à peine deux ans : nommé général à quatre étoiles et vice-président de la commission militaire centrale du Parti du travail au cours de l’assemblée de ses membres en septembre 2010. Par la suite, il avait accompagné régulièrement son père dans des visites sur le terrain, notamment d’unités de l’armée.
Bien que, pour l’instant, tout porte à croire que cette succession a été acceptée par l’élite dirigeante, les experts en Corée du Sud restent prudents, estimant que le jeune Kim sera le symbole de la continuité du régime, mais vraisemblablement solidement encadré par l’entourage immédiat de son père (famille, proches conseillers et militaires) et qu’il ne disposera pas de la même autorité : dans un premier temps au moins, la direction du pays sera collégiale. L’organe suprême de l’Etat est la Commission de défense nationale que présidait Kim Jong-il. Elle comprend, outre de hauts gradés, le beau-frère du dirigeant défunt, Jang Song-taec, qui devrait jouer un rôle charnière dans l’après-Kim Jong-il.
Kim Jong-un et l’élite dirigeante héritent d’un pays en transition. Sous l’apparente immuabilité du régime et la chape de plomb de la répression, la société évolue. L’apparition de facto d’une économie de marché, après la famine de la seconde moitié des années 1990, a donné naissance à une nouvelle classe de marchands et d’affairistes. Cette économie parallèle a aussi accru les disparités sociales et est à l’origine d’une corruption qui s’est étendue à toute la société : l’argent est devenu le fluidifiant indispensable des affaires.
En même temps, l’information, venue de Chine, circule davantage. Conjuguée à cette entre-ouverture de fait d’une partie de la société, l’extension du marché a élargi l’horizon des jeunes au-delà des objectifs collectifs. Le rôle du parti, dont l’appartenance garantissait des privilèges, s’est amenuisé.
Soutenue par la Chine, la RPDC est aussi devenue plus dépendante économiquement et politiquement de son seul allié et plusieurs grands projets de développement économique ont été lancés à la frontière entre les deux pays. De nouvelles mesures visent en outre à attirer les investissements étrangers. « Grâce au général Kim Jong-un, la stabilité politique est garantie dans notre pays », nous disait, il y a quelques semaines à Pyongyang, Kim Ji-hyok, conseiller juridique de la Commission pour les investissements étrangers.
La mort de Kim Jong-il intervient alors que se dessinait une reprise du dialogue avec les Etats-Unis, qui devrait conduire à un retour à la table de négociations à Six (Chine, Corées, Etats-Unis, Japon et Russie) sur la question des ambitions nucléaires nord-coréennes. Un dossier qui appelle des choix que Kim Jong-il avait sans doute l’autorité d’imposer aux éléments les plus durs du régime. En sera-t-il de même pour la nouvelle équipe dirigeante ?
Philippe Pons
Un nouveau dirigeant méconnu Jong-un, le troisième des Kim
TOKYO CORRESPONDANT - Kim Jong-un est tout le portrait de son grand-père Kim Il-sung lorsqu’il avait son âge (la trentaine). Même corpulence, même coupe de cheveux, même costume Mao. Une ressemblance cultivée afin de rassurer la population, avancent des experts à Séoul.
Troisième fils de Kim Jong-il, né de son union avec une danseuse de la troupe Mansudae, Ko Young-hee, décédée en 2004, Kim Jong-un est peu connu. Sa photo a été publiée pour la première fois dans l’organe du parti, Rodong sinmun, quelques jours après la tenue de l’assemblée des membres du Parti du travail de septembre 2010. Selon les médias officiels, il serait diplômé de l’université militaire Kim-Il-sung et parlerait plusieurs langues étrangères. Il aurait été étudiant en Suisse. Sa date de naissance est inconnue.
Quelques semaines avant la mort de son père, Kim Jong-un était présenté à Pyongyang comme son successeur. Il avait été promu général à quatre étoiles et désigné vice-président de la Commission centrale de défense du Parti du travail. Il a rencontré à plusieurs reprises des dirigeants étrangers. Il aurait le soutien de Pékin.
Une chanson (La Trace), dans laquelle il est mentionné comme le « commandant », et des plaques marquant son passage en certains lieux (usines, unités militaires, écoles) visités en compagnie de son père témoignent de la volonté du régime de lui vouer un culte à la même enseigne que son père et son grand-père. La question est maintenant de savoir si cela lui suffira pour asseoir son autorité.
Philippe Pons