L’essentiel a été fait, et merci à l’équipage, qui contre vents et marées, a mené notre navire à bon port : le 23 octobre, pour la première fois dans notre histoire, nous choisirons à travers des élections vraiment libres et démocratiques, notre destin.
La première Constitution tunisienne date de 1860, c’est la première du monde arabo-musulman ; la deuxième de 1958 ; la troisième sera celle de 2011. Ouvrira-t-elle, à plus ou moins long terme, la voie au califat théocratique – la pire forme de tous les totalitarismes –, vœu secret de tous les salafistes quels que soient leurs déguisements démocratiques opportunistes ? Je souhaite que mon pays, qui a donné au monde arabe, pour la première fois dans son histoire, la démocratie, lui donne aussi la première laïcité musulmane. je crois que c’est possible. Je propose donc comme premier article de la troisième Constitution tunisienne : « La Tunisie est une république libre, démocratique et laïque. la majorité de sa population est musulmane, de langue majoritairement arabe, langue officielle du pays. L’Etat laïc tunisien garantit pour tous les citoyens la liberté de conscience, de croyance et d’expression, et leur assure un ordre de paix et de coexistence pacifique dans le respect de la loi. » Pour nous ce premier article trouve son fondement et sa justification à la fois, primo dans la Constitution de Médine, la première écrite au monde ; secundo dans le Coran.
En effet le seul obstacle à la laïcité vient exclusivement de la charia. Or celle-ci n’a aucun fondement coranique. de fabrication humaine et relativement tardive, elle n’oblige aucun musulman en conscience. Seul le Coran oblige. La question exige un long développement qui n’a pas sa place ici. Je me limite donc à un simple constat incontestable. La première somme consacrée à la charia est le Kitâb al-Umm, de Shâfi’î, mort en 804. Auparavant, c’est à dire près de deux siècles durant, les musulmans avaient vécu sans charia. Ils pourraient donc s’en passer de nouveau, et s’en porteraient d’autant mieux que sous les pesanteurs de l’histoire, par le hukm-al-ridda (la loi sur l’apostasie), inexistant dans le Coran, la charia a pris une forme terroriste incompatible avec la liberté et la démocratie. Sans charia tout le monde se porterait mieux. C’est dans ce sens que je travaille en tentant de rénover la pensée musulmane, condition sine qua non pour retrouver notre place dans l’Histoire, voire la redynamiser.
Venons-en maintenant à la Constitution de Médine. Elle fut négociée par le Prophète en l’an 1 de l’hégire, entre toutes les composantes sociales de la cité-Etat, polythéistes, juifs et musulmans. Dans ses 47 articles, il n’est nulle part question d’une religion d’Etat. Il s’agissait d’une Constitution laïque.
Le Coran n’est ni un code ni une Constitution. Il garantit à tous la liberté de conscience
Passons au Coran. Il n’est ni un code ni une Constitution. il est le « Livre de l’Heure », un appel à tous les hommes, partout sur terre, où qu’ils soient, en Orient ou en Occident, pour que chacun d’entre eux cherche individuellement son salut, indépendamment du régime sous lequel il vit. Il garantit à tous les hommes la liberté de conscience : « Pas de contrainte en matière de religion » ; « Ô vous croyants ! Occupez-vous de vos affaires. Ne vous porte aucun préjudice celui qui s’égare, si vous êtes sur la bonne voie » ; « Si ton Seigneur l’avait voulu, Il aurait fait de tous les hommes une communauté unique. Or, ils ne cesseront jamais de vivre dans la diversité. »
Appliquons ces principes, et nous fonderons une laïcité musulmane, respectueuse de toutes les libertés, des droits de l’homme et de la démocratie, garantissant à tous les hommes une coexistence pacifique et fraternelle sur notre planète Terre, chacun vivant librement sa diversité singulière.
Mohamed Talbi
P.-S.
Lors de l’émission télévisée en Algérie, du 6 mars 1990, cette position sur la chariâa était celle argumentée par Sadek Hadjerès :
en réponse à la question posée par un islamiste : « Si les communistes sont au pouvoir, que feraient-ils de la chariâa ? »
la réponse de S.H. avait été : « La chariâa est une création humaine de théologiens, qui correspondait aux conditions de l’époque deux siècles après l’avènement de l’islam et non pas un texte-code coranique ; les humains fidèles aux principes islamiques pourront la faire évoluer dans l’intérêt de leurs sociétés en fonction des nouvelles conditions de leur époque. »