75000 femmes violées en France chaque année, à peine 10% d’entre elles portent plainte par honte, par peur, devant la difficulté à être reconnue comme victime. Une femme sur dix est victime de violences au sein du couple. Porter plainte reste là aussi un obstacle insurmontable pour la majorité d’entre elles.
Pour l’OMS, La violence envers les femmes et les jeunes filles est un fléau mondial : au moins une femme sur trois dans le monde a déjà été battue, a subi des relations sexuelles forcées ou des mauvais traitements. Triste journée pour les femmes, le procureur Vance abandonne toutes charges contre DSK devant la plainte de Mme Diallo. Encore une question de plainte. Il paraît qu’elle n’est pas crédible. On ne pourrait pas la croire. Annuler la plainte, ne pas la considérer, c’est faire taire la victime, la réduire au silence avec le refus de toute enquête ou de toute investigation supplémentaire. Elle n’aura même pas le droit d’être reconnue dans sa parole. Elle n’aura pas droit à être reconnue comme victime dans son innocence si tel est le cas.
Tristes journées pour les femmes autour de cette affaire et qui met le cœur dans le ventre. Il y a d’abord eu ces déversements en tous genres de propos sexistes, machistes et de préjugés réactionnels ou certains, de notoriété publique, auraient mieux fait de se taire aussi. C’est comme le surgissement d’une onde de fond, puissante et agressive, au service de tous les stéréotypes profondément vivants et actifs dans une société où prévaut la domination masculine, même si la loi, elle, reconnaît l’égalité entre les hommes et les femmes.
Tant pis pour Mme Diallo qui rejoint le cortège de toutes celles dont on n’examinera pas la plainte, à qui on refuse et dénie jusqu’à la possibilité d’être entendue. Parole contre parole.
Apparemment il vaut mieux être digne d’être écoutée, digne d’être victime. Cela se mérite. Etre une femme agressée ne suffit pas. Il faudrait être au-dessus de tout soupçon et d’une moralité irréprochable. Sinon on ne pourrait même pas envisager d’être écoutée. C’est vrai que c’est regrettable que les viols et les agressions vis-à-vis des femmes se commettent trop souvent à huit clos, dans le secret, et pas en public. Au moins on aurait des témoins et plus de doute sur la crédibilité des victimes. Alors que sans témoins, c’est la parole de la femme contre celle de l’homme. Et on sait ce que vaut la parole d’une femme dans une société sexiste. Là où ceux qui semblent n’avoir jamais péché ont le droit de lui jeter la première pierre.
Pourtant, c’est grave cette plainte. Il s’agit de viol, un crime aux yeux de la loi, car il porte gravement atteinte à la dignité de la personne avec des conséquences désastreuses sur la vie personnelle et sociale de la victime. Le procureur Vance a reconnu qu’il y avait bien eu un acte sexuel, « prouvé par des éléments physiques et scientifiques ». Que cette relation sexuelle apparaissait comme non consentie mais qu’on ne pouvait prouver qu’elle était forcée. J’en suis stupéfaite.
J’ignorais totalement cette catégorie particulière d’acte sexuel non consenti qui ne serait pas un viol. C’est vrai que cela ne se passe pas chez nous puisque le code pénal français définit le viol comme un acte de pénétration sexuelle de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. C’est vrai aussi que je ne maîtrise peut-être pas assez bien l’anglais dans sa finesse sinon je me laisserais volontiers aller à penser qu’il s’agit d’un double message destiné à induire la confusion par manipulation ou encore d’une rhétorique purement machiste qui à défaut de pouvoir disculper un agresseur puissant par la preuve de l’acte sexuel consenti, invente l’acte sexuel non consenti comme cache-sexe du violeur. J’aurais bien aimé avoir l’avis de tous ceux qui se taisent en ce moment, surtout ceux de notoriété politique. Mais bon, ils ont peut-être autant de mal que moi avec l’anglais. Les Français peinent avec les langues étrangères, c’est bien connu. Sinon je me laisserais encore aller à croire que c’est un silence partisan… calculateur ou machiste. Et puis c’est vrai, c’est tellement incroyable cette histoire. Une simple employée violée en quelques minutes par le président du FMI. Cela ne paraît effectivement pas possible, pas crédible. Comment croire à une chose pareille alors que la violence sidère la pensée.
Mais si l’acte sexuel forcé ne peut être prouvé bien qu’il apparaisse comme non consenti au procureur Vance (The sexual act was not likely consensual, page 23 ), il apparaît bien comme un acte impulsif, où il s’agit de jouir et de jouir très vite, dans la décharge du passage à l’acte, où l’on prend de force à l’autre ce qu’il n’aurait pas consenti à donner. La question de la temporalité, de la durée, de l’altérité, comme la possibilité d’un espace entre soi et l’autre ne se pose pas lorsqu’il s’agit d’impulsivité et d’économie égocentrique où prévaut la satisfaction immédiate. Nous sommes loin du consentement libre et éclairé entre deux sujets partenaires mais plutôt du côté de l’agression sexuelle brutale qui dénie l’intégrité psychique et physique de l’autre.
Sans enquête et sans investigations plus poussées le viol restera innommé et impuni. Mme Diallo restera avec la responsabilité de ce qui lui arrive, comme si c’était de sa faute. Mais reste le droit et le devoir de se mettre à penser, de préférence sans les instruments de penser structurés et formatés dans la relation sexiste imposée, que M. Vance manie habilement. « Sans les modes de pensées qui sont eux-mêmes le produit de la domination », pour parler comme Bourdieu, pour ne pas céder à la rhétorique, ni aux apparences, ni à la tartufferie qui requalifie le viol en simple relation sexuelle « probablement non consentie », où M. DSK revient en sa patrie presque en héros sorti de l’enfer.
L’enfer c’est pour Mme Diallo pour beaucoup d’autres femmes.
A bon entendeur, salut. Quant à ceux qui n’entendent pas, ils sauront qu’il existe désormais à nouveau la catégorie des actes sexuels où il est possible de violer une femme, sans que ce soit un viol et sans être condamné.
Claudine Schalck, sage-femme