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Humanité : La guerre Sarkozy-Villepin illustre à sa manière les dégâts
de la
présidentialisation. Que proposez-vous face à ces dérives ?
Marie-George Buffet. Nous sommes effectivement dans une monarchie
présidentielle. L’élection présidentielle façonne et domine toute la vie
politique. C’est dangereux à court terme, on le voit avec la situation
de
crise que nous connaissons, mais aussi à plus long terme parce que
s’installe un bipartisme qui appauvrit gravement le débat politique.
D’alternance en alternance, les sortants sont sortis, faute de
changement
profond de politique et faute de réponse aux attentes des citoyens et
des
citoyennes. Cela alimente le repli sur soi et le rejet de l’autre qui
nourrissent la montée de l’extrême droite. Un changement de République
est
nécessaire, un profond changement de nos institutions avec des pouvoirs
renforcés pour l’Assemblée nationale, la proportionnelle, la possibilité
donnée aux citoyens et aux citoyennes de participer à l’élaboration de
la
loi avec des référendums d’initiative citoyenne, un nouveau rôle du
Sénat.
Oui, Il faudra ouvrir le chantier de la construction démocratique d’une
VIe
République.
Humanité : Pour battre la droite, vous avez lancé un appel à la
construction
d’une majorité antilibérale à gauche. Mais avez-vous le sentiment que
cette
majorité existe vraiment dans le pays ? On a l’impression qu’après
chaque
grand élan social, la pâte retombe un peu.
Marie-George Buffet. Elle semble retomber mais les hommes et les femmes
qui
se mobilisent dans ces mouvements restent disponibles, on le voit dans
les
forums. Ils cherchent comment concrétiser leurs luttes dans une solution
politique. Une résistance à l’offensive libérale s’exprime en France
depuis
des années. Il y a eu les grandes luttes de 1995, celles multiples
contre
les licenciements boursiers et les délocalisations, le mouvement sur les
retraites. Et puis en quelques mois, le référendum, la révolte des
banlieues
et la victoire contre le CPE. Mais à chaque fois, même avec la
victoire, le
projet et la démarche politiques permettant une réponse durable à leurs
revendications n’apparaissent pas lisibles.
Voilà pourquoi mon objectif, en appelant à un rassemblement antilibéral,
n’est pas que les antilibéraux se comptent, n’est pas d’être
l’aiguillon du
Parti socialiste, c’est de gagner. C’est-à-dire de rendre ces idées
antilibérales majoritaires. Je mets l’ambition à ce niveau-là, parce
que la
situation de notre pays l’exige et parce que notre peuple attend les
réformes qui répondront enfin à ses aspirations. Nous devons nous
donner les
moyens qu’une majorité politique de gauche porte un projet en rupture
avec
le libéralisme, et ce jusqu’au gouvernement.
Je veux pour cela qu’un projet alternatif de transformation sociale
soit mis
en débat dans tout le pays, qu’il colore toute la gauche, qu’il
l’imprègne
de toute une série de grandes propositions telles que la réforme de la
fiscalité, la sécurité d’emploi et de formation, le droit de vote des
résidents étrangers, une protection sociale redevenue universelle, des
services publics démocratisés et élargis... Un nombre croissant
d’hommes et
de femmes de gauche doit s’approprier toutes ces propositions.
Humanité : Et vous pensez possible de bousculer le paysage d’ici 2007 ?
Marie-George Buffet. Je ne sais pas dans quelle configuration nous
parviendrons aux élections de 2007. Mais je me refuse à voir imposer à
notre
peuple le bipartisme d’alternance comme seul paysage politique : je ne
veux
pas que les luttes et les espoirs soient piétinés par la droite, trahis
par
un social-libéralisme ou bien encore stérilisés par une gauche
émiettée. Je
veux que ces luttes et ces espoirs débouchent. C’est pourquoi nous
devons
nous efforcer de faire suffisamment entendre la voix de ceux et de
celles
qui veulent que cette fois-ci le changement soit au rendez-vous. Le
rassemblement antilibéral est un atout pour une victoire de la gauche,
et un
atout pour que cette fois elle réussisse.
On me demande parfois si j’entends mettre des conditions au
rassemblement de
toute la gauche lors du second tour. Pour ma part, c’est une évidence,
nous
devrons nous rassembler sans tractations pour battre la droite. Mais
j’ai
envie de dire que les « conditions » que nous voulons créer sont celles
qui
permettront que la gauche ne déçoive pas de nouveau. Et ça, c’est
maintenant, pas entre les deux tours, qu’elles se construisent, dans le
débat, sur quelles propositions alternatives et quelles conceptions du
pouvoir. Et ce débat, nous voulons le mener grâce au déploiement, avant
et
après les échéances électorales, d’une dynamique populaire et citoyenne.
Humanité : Beaucoup expriment la peur de voir se rééditer 2002,
l’extrême
droite au deuxième tour...
Marie-George Buffet. C’est une inquiétude sérieuse que je prends
totalement
en compte et qui me motive dans cet appel au rassemblement. Si on en
reste
au climat et au paysage politique d’aujourd’hui, ce scénario est
possible.
J’entends dire que pour éviter un nouveau 21 avril, il faudrait que le
candidat socialiste soit le candidat unique de la gauche. Ceux-là nous
disent : « Pour battre la droite, éviter la catastrophe, mettez-vous
d’accord, on discutera après. » Pour d’autres, c’est : « Mettez-vous
d’accord, Besancenot, Buffet, Bové, Laguiller. » Pour d’autres encore,
souvent dans les mêmes salles, c’est : « Mettez-vous d’accord Royal,
Buffet,
Voynet, Besancenot. » Face à toutes ces demandes, j’ai envie de
répondre :
« Je suis d’accord pour qu’on se mette d’accord. » Je me bats pour le
rassemblement de la gauche. Mais « accordons-nous » sur une politique
qui
permette de changer la vie ! Et pour cela, il ne suffit pas de se
rencontrer
à quatre, huit, dix ou onze. Déjà, le PS annonce qu’il aura un ou une
candidat(e). D’autres formations à gauche également. Avec les
communistes,
j’agis pour ma part pour unir la gauche sur des propositions aptes à
changer
la vie. Aux citoyens et aux citoyennes qui nous demandent de nous mettre
d’accord, je leur propose... de se faire entendre, afin que cet accord
corresponde à leurs attentes.
Humanité : Comment ?
Marie-George Buffet. J’ai lancé un appel au rassemblement sur des
contenus
de transformation. Je propose que, lundi 29 mai, dans chaque
département et
dans un maximum de communes, tous ceux et toutes celles qui sont
d’accord
avec cette idée se retrouvent. Pour faire la fête bien sûr, mais surtout
pour débattre et pour acter, tous ensemble, des propositions de
changements.
Il existe beaucoup de convergences entre nous. Et j’appelle à partir de
là à
créer des espaces permanents - pourquoi pas des collectifs d’Union
populaire, au plan local, départemental, voire national - permettant de
poursuivre le débat, mais aussi de réfléchir en commun aux candidatures
aux
législatives et à la présidentielle. Je sais qu’une proposition allant,
je
crois, dans le même sens est lancée par d’autres. Tant mieux, tout cela
converge.
Humanité : Vous avez lancé cet appel fin mars au Congrès du PCF, vous
proposez cette initiative du 29 mai, y a-t-il des réponses ?
Marie-George Buffet. Oui, ça marche. Dans beaucoup d’endroits les
rendez-vous se prennent. Là où cela n’est pas encore fait, j’appelle les
communistes à s’adresser à toutes celles et tous ceux qui aujourd’hui
ont
envie de ce rassemblement.
Humanité : Dans les sondages, la dynamique à gauche semble plutôt du
côté de
la candidature Ségolène Royal. Comment appréciez-vous cette poussée
dans les
sondages ?
Marie-George Buffet. Je crois que le soutien à cette candidature
manifeste à
sa manière que nombreux sont ceux et celles qui à gauche cherchent des
solutions pour battre la droite. Et pour le moment, ils ne voient pas
d’autres chemins proposés. Dans les mêmes sondages, les autres
candidats de
gauche potentiels sont chacun crédités de 3 % à 5 %. Cela traduit à la
fois
les doutes sur les possibilités de mettre en œuvre une politique
radicalement neuve et un manque de crédibilité dû à la division. Avec
l’appel que j’ai lancé, avec les propositions alternatives qui ont été
débattues dans différentes initiatives, nous avons la possibilité de
montrer
aux Français et aux Françaises qu’il existe un chemin efficace capable,
lui,
de battre durablement la droite : à nous de le dégager !
Humanité : Le PCF a avancé votre nom pour être cette candidature
unitaire de
la gauche antilibérale. Cela ne risque-t-il pas de rebuter certains des
partenaires potentiels de ce rassemblement ?
Marie-George Buffet. Nous avons choisi la clarté en proposant qu’une
candidature issue du PCF puisse être cette candidature de
rassemblement. Le
PCF est à la fois audacieux, très exigeant sur les contenus et très
ouvert
sur les contours du rassemblement. Il ne met aucune exclusive et vise le
rassemblement le plus large possible sur un contenu transformateur.
Certains
disent que le fait que cette candidature soit issue d’un parti est un
obstacle. Je ne partage pas cette idée. Aurait-on pu obtenir la
victoire du
« non » sans les militants et les militantes politiques organisés,
enracinés
dans des entreprises, des quartiers ou des villages ? Un candidat issu
d’un
parti est un atout s’il devient le candidat du rassemblement. À
condition
évidemment de mener une campagne vraiment originale. Nous y sommes
prêts.
Humanité : Avec plusieurs porte-parole ?
Marie-George Buffet. Bien évidemment. Si la diversité du rassemblement
n’apparaît pas, ce sera un échec. Rappelons-nous la force des estrades
du
référendum, chacun disait ce qu’il avait à dire, sans masquer ses
différences. Il faudra des porte-parole parmi lesquels la candidate ou
le
candidat. L’essentiel est que notre objectif commun soit clair lors de
cette
échéance : battre la droite et donner à la gauche les moyens de réussir.
C’est ce que notre peuple attend.
Humanité : Et aux législatives ?
Marie-George Buffet. Il sera possible de construire des candidatures
portant
ce rassemblement dans toute la France. Il ne s’agira pas de marchander
les
circonscriptions. Il faudra à chaque fois désigner les meilleurs
porte-parole de ce rassemblement antilibéral.
Humanité : Olivier Besancenot vous a fait une proposition pour un repas
à
quatre Buffet, Bové, Laguiller et lui. Va-t-elle dans le même sens ?
Marie-George Buffet. Il propose de décider à quatre du sort de ce
rassemblement. Mais quelle signification cela aurait-il ? Nous
déposséderions ceux qui se sont investis, citoyens et citoyennes,
collectifs, syndicalistes... Nous leur dirions : « Assez joué, c’est
nous
qui décidons. » Je ne suis pas pour cette solution. Ce n’est pas la
voie à
emprunter. Méfions-nous des formules qui peuvent plaire à la presse
mais qui
ne peuvent pas répondre aux enjeux actuels. Mettons les décisions entre
les
mains de tous.
Humanité : Le calendrier presse. Certains battent déjà la campagne. En
juin,
la LCR prendra sa décision. Avez-vous le temps ?
Marie-George Buffet. Nous ne partons pas de rien. Le rassemblement se
construit déjà avec des convergences sur le projet. La question des
échéances électorales vient maintenant dans tous les débats. Pour leur
part,
les communistes acteront leur décision en octobre. Mais pour avancer, il
faut faire le maximum d’ici à l’été pour pousser le débat. Il faut
aller sur
les marchés, devant les entreprises avec l’appel, le faire signer,
organiser
des débats, rencontrer des syndicalistes, des personnalités de gauche,
des
gens qui se battent contre la loi CESEDA, contre la précarité. Posons
leur
la question : est-ce que les propositions que nous avançons sont celles
qui
correspondent à vos attentes ? Beaucoup va se jouer dans les semaines à
venir. Faisons donc de la journée du 29 mai un rendez-vous important
pour la
constitution de ce rassemblement !