La distribution d’électricité est durablement perturbée alors que les pics de consommation de l’été s’approchent
Tokyo Correspondance - Lundi 28 mars, et comme tous les jours sauf les week-ends depuis la catastrophe du 11 mars, Tokyo Electric Power (Tepco) a organisé des coupures de courant aux alentours de la capitale japonaise, une mesure qui devait affecter cette fois 1,55 million de foyers des préfectures de Saitama, Chiba et Tochigi.
Depuis deux semaines, l’arrêt des réacteurs implantés dans les zones sinistrées ne permet plus à la compagnie d’électricité nipponne de satisfaire la demande. Et Tepco ne semble pas être en mesure de remédier à cette situation de sitôt, d’autant que l’été et ses pics de consommation approchent.
L’entreprise prévoit ainsi d’augmenter sa production d’électricité de 20 % à 46,5 gigawatts (GW), en relançant les centrales thermiques endommagées au moment du séisme. Pas sûr toutefois que cela suffise. Les fortes chaleurs des mois de juillet et d’août devraient faire grimper la demande à 55 GW, voire 60.
Tepco ne pourra pas compter sur l’aide des compagnies d’électricité de l’ouest du pays car, depuis l’ère Meiji (1868-1912), le Japon est électriquement coupé en deux.
Au moment de l’entrée dans la modernité et des débuts de l’électrification dans les années 1880, la compagnie d’éclairage de Tokyo a commandé du matériel auprès de l’entreprise allemande AEG et celle d’Osaka auprès du groupe américain General Electric (GE). Or le matériel allemand fonctionne sur une fréquence de 50 hertz et celui venu des Etats-Unis sur 60 hertz.
Ce différentiel ne pose aucun problème en temps normal, car trois stations assurent le changement de fréquence et permettent un échange entre l’est et l’ouest du Japon. Mais ces stations autorisent un transfert maximum d’un gigawatt seulement. Et Tepco a perdu, avec l’arrêt des centrales du Tohoku, un potentiel de 9,7 gigawatts.
Réticences de la population
Quand bien même cet obstacle serait levé, les compagnies d’électricité de l’ouest de l’Archipel rencontreraient des problèmes pour approvisionner leur consoeur de l’est. Car, depuis le début de la crise à la centrale de Fukushima, de plus en plus de collectivités locales s’opposent au redémarrage des réacteurs à l’arrêt dans leurs centrales.
Rikuden, la compagnie d’électricité de la région de Hokuriku, peine ainsi à obtenir l’autorisation de relancer deux réacteurs de la centrale de Shika, sur la mer du Japon, en raison de réticences de la population et de la préfecture d’Ishikawa. Rikuden a, comme Tepco, été épinglée par le passé pour des problèmes de dissimulation d’incidents dans cette installation. L’entreprise fait même l’objet d’un procès intenté en 2005 par des habitants, inquiets de la capacité réelle de résistance à un séisme de la centrale de Shika.
Dans le même temps, la Compagnie d’électricité du Kansai (Kepco) et celle du Chubu (Chuden) ont décidé de reporter la livraison attendue dans la première semaine d’avril de combustible nucléaire mox. Les deux groupes nippons justifient leur décision par l’incapacité du gouvernement japonais, aux prises avec les conséquences de la catastrophe du 11 mars, d’assurer la pleine sécurité du transport de ces matériaux extrêmement dangereux et envoyés de France. Elles envisagent maintenant de réceptionner la livraison en 2013, au plus tôt.
Chuden a par ailleurs annoncé le report des travaux, de 2015 à 2016, d’un sixième réacteur à la centrale de Hamaoka, dans la préfecture de Shizuoka, au sud de Tokyo. Cette installation est considérée par beaucoup comme soumise aux mêmes risques, face à un tremblement de terre suivi d’un tsunami, que celle de Fukushima. En guise d’explications à ce report, Chuden a évoqué « la nécessité d’obtenir la compréhension de la population ».
Ces décisions interviennent alors que les manifestations d’hostilité au nucléaire attirent de plus en plus de monde. Dimanche 27 mars, environ 1 000 personnes ont défilé à Tokyo autour du siège de Tepco, à l’appel de l’association Gensuikin (Congrès japonais contre les bombes atomiques), qui n’attendait qu’une centaine de participants.
Et le rassemblement organisé le 20 mars par les syndicats Doro-Chiba et Zengakuren pour réclamer l’arrêt immédiat de toutes les centrales nucléaires a attiré 1 500 personnes au cœur de la capitale nipponne.
Philippe Mesmer