Un être doué de raison aurait pensé (naïvement) que la crise permettrait de modérer les ardeurs néolibérales.
Il y a certes les beaux discours, mais aussi les non-décisions et surtout les stratégies que l’on mettra en œuvre
dès que possible. Le FMI consacre ainsi un chapitre de son rapport semestriel1 aux marchés du travail dans et
après la crise. C’est une étude lourdingue fondée sur la « loi d’Okun » qui dit que le chômage augmente
quand la production baisse : grandiose découverte !
Le même Okun (Arthur) est aussi l’auteur de Equality and Efficiency : The Big Tradeoff (1975) où il écrivait
ceci : « Une société démocratique capitaliste cherchera à mieux délimiter le domaine des droits et celui des
dollars [mais] cela ne résoudra jamais le problème, car le conflit entre égalité et efficacité économique est
inévitable. En ce sens, le capitalisme et la démocratie sont vraiment un mélange des plus improbables. Peut-
être est-ce la raison pour laquelle ils ont besoin l’un de l’autre, pour mettre un peu de rationalité dans
l’égalité et un peu d’humanité dans l’efficacité ».
Pas mal tourné, même si l’autre courbe d’Okun penchait assez peu du côté de l’égalité. En tout cas, les
économistes du FMI ont du mal à le suivre jusqu’au bout et à distinguer les droits et les dollars et à mettre un
peu d’humanité dans leur feuille de route. Face à des perspectives d’emploi plutôt sombres (avec risque de
« graves défis politiques et sociaux »), les pompiers pyromanes trouvent que la flexibilité générale des
salaires et « l’amélioration » (sic) des marchés du travail ne suffisent pas. La récession a en effet conduit à la
mise en place de dispositifs de travail à temps réduit et, même s’ils ont eu des effets « bénéfiques », le « défi
est de sortir de ces programmes » : pérenniser les aides aux industries en déclin freinerait les mouvements de
main-d’œuvre d’un secteur à l’autre. [1]
Dans l’immédiat, le grand projet est de subventionner les contrats temporaires, et de rompre ainsi avec le
« comportement dewait and see typique » des sorties de crise. Ne pas céder à la « pression politique » qui
s’oppose à ce genre de contrats parce qu’elle conduit au « pire de tous les résultats ». Mais en tenir compte
quand même : la recette est alors le passage progressif à un « système de contrats de travail à durée
indéterminée, où la sécurité de l’emploi augmente graduellement au fur et à mesure de l’ancienneté ». C’est
donc un scoop : le directeur du FMI fera campagne sur le contrat de travail unique et à géométrie variable !
Même chose à la Commission européenne : la stratégie de Lisbonne a échoué ? Vive la nouvelle : « pour une
croissance intelligente, durable et inclusive » [2] ! Le principal objectif de la précédente était un taux d’emploi
de 70 % en 2010. En fait, il est passé de 62 % en 2000 à 66 % en 2008 et la crise l’a fait retomber à moins de
65 %. Mais la Commission ne se démonte pas : en avant vers les 75 % en 2020 ! Rien à cirer des effets
durables de la crise ni de la qualité de l’emploi
(les trois quarts de l’augmentation du taux d’emploi
correspondent à des créations d’emplois précaires : temps partiel ou CDD). On ajoute une touche de vert et
de réduction de la pauvreté mais, comme dirait Okun, c’est là «
un mélange des plus improbables
».
Comment « réduire le déficit public, investir dans l’infrastructure verte et préserver l’Etat-providence » [3] sans
toucher aux inégalités, sans budget d’harmonisation, etc. Tout cela est rigoureusement incompatible avec
l’Europe néo-libérale, et les docteurs Folamour nous emmènent tout droit dans la régression sociale à la
grecque.
Michel Husson
P.S. qui n’a rien à voir (quoique) : Alain Bihr vient de sortir un petit livre [4] qui est à la fois un résumé du
Capital, mais aussi une invitation « intelligente, durable et inclusive » à se plonger, muni de ce guide, dans
l’œuvre majeure de Marx.