Ces trois journalistes se sont particulièrement mobilisés ces dernières semaines afin de dénoncer les pratiques et actes contraires aux normes internationales qui se sont multipliés dans le contexte électoral, et nos organisations craignent que les actes de répression dont ils sont l’objet fassent partie « des mesures » annoncées par le Président Ben Ali « contre quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale, sans fournir de preuves concrètes ». Le Président tunisien a par ailleurs stigmatisé, à la veille du scrutin du 25 octobre 2009, ceux qu’il avait qualifié de « minorité infime de Tunisiens qui dénigrent leur pays en s’appuyant sur des parties étrangères ».
Ainsi, le 29 octobre 2009 vers 13h00, M. Taoufik Ben Brik, journaliste et membre fondateur du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), a été écroué au centre de détention préventive de Bouchoucha, suite à sa convocation au commissariat un peu plus tôt dans la matinée. Il comparaîtra le 30 octobre devant un juge pour « agression ». Cette accusation aurait été formulée sur la base d’une plainte déposée par une femme affirmant s’être faite agresser suite à un accrochage entre son véhicule et celui de M. Ben Brik. Selon les informations reçues, l’auteure de la plainte a en réalité embouti la voiture de M. Ben Brik le 22 octobre, avant de l’insulter, de le violenter et de lui déchirer ses vêtements, cherchant manifestement à le faire réagir. M. Ben Brik ne se serait quant à lui rendu à aucun moment responsable d’actes de violence.
Par ailleurs, le 28 octobre, M. Slim Boukhdir, journaliste et membre fondateur de l’association de défense des libertés “Liberté et équité”, a été victime d’un enlèvement devant chez lui par des inconnus en civil, qui lui ont bandé les yeux, l’ont forcé à monter à bord d’un véhicule puis l’ont conduit sur la colline du Belvédère (hauteurs de Tunis) où ils l’ont passé à tabac. M. Boukhdir, dépouillé de ses vêtements, de son portefeuille et de son téléphone, a été laissé sur les lieux, souffrant d’une fracture au nez et de plusieurs hématomes.
Le même jour, des inconnus ont tenté à trois reprises de forcer la porte du domicile de M. Moudi Zouabi, correspondant du journal panarabe basé à Londres Al Quds Al Arabi, du site Internet de la chaîne de télévision satellitaire Al-Arabiya. M. Zouabi a fait appel à la police qui s’est rendue sur les lieux, mais n’a rien constaté de préoccupant. M. Zouabi serait en outre suivi de très près par des policiers depuis plusieurs jours.
En outre, M. Zouhair Makhlouf, membre de l’association « Liberté et équité », membre dirigeant du Parti démocrate progressiste (PDP) et ancien candidat aux élections législatives du 25 octobre 2009, incarcéré depuis le 21 octobre 2009 à la prison de Mornaguia près de Tunis, comparaîtra devant le tribunal de première instance de Grombalia le 3 novembre 2009.
L’Observatoire et le REMDH dénoncent la poursuite des actes de harcèlement extrêmement préoccupants à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens, et appellent la Délégation de la Commission européenne à Tunis ainsi que les ambassades d’Etats-membres de l’Union européenne en Tunisie à rendre visite à MM. Ben Brik et Makhlouf en détention, et à observer les audiences à leur encontre, conformément aux Lignes directrices de l’UE relatives aux défenseurs des droits de l’Homme.
Nos organisations appellent également la Délégation et les ambassades mentionnées ci-dessus à faire un rapport public, et si possible conjoint, sur les violations des règles relatives à un procès équitable et sur tout autre sujet de préoccupation constatés lors des audiences.
L’Observatoire et le REMDH demandent par ailleurs aux autorités tunisiennes de :
– Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Taoufik Ben Brik, Slim Boukhdir, Mouldi Zouabi et Zouhair Makhlouf, ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;
– Procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de MM. Taoufik Ben Brik et Zouhair Makhlouf, arbitrairement détenus ;
– Mener sans délai une enquête indépendante, impartiale et transparente sur les actes de harcèlement et de violence mentionnés ci-dessus, et en rendre les résultats publics, afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal garantissant un procès équitable conformément aux principes de droit international ;
– Veiller à ce qu’un terme soit mis à toute forme de menaces et de harcèlement - y compris judiciaire - à l’encontre de MM. MM. Taoufik Ben Brik, Slim Boukhdir, Mouldi Zouabi et Zouhair Makhlouf, et de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;
Plus généralement, nos organisations appellent la Tunisie à se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et aux instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme et particulièrement l’article 1 de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international”.