Correspondant à Tokyo
En l’espace de quelques semaines, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) est montée au créneau sur tous les fronts : essai nucléaire, tirs de missiles et menaces à l’encontre du Sud. Si cette radicalisation reflète la volonté de Pyongyang d’envoyer un message d’impatience aux Etats-Unis, la soudaineté de l’offensive alimente les spéculations sur d’éventuels enjeux internes au régime. Un regain de tension qui est en train d’ouvrir une crise régionale non exempte de risques d’incidents militaires et qui convie la Chine et les Etats-Unis à faire preuve d’initiatives.
L’événement déclencheur de cette tension a été l’accession au pouvoir, en février 2008, du président sud-coréen Lee Myung-bak, qui a rompu avec la politique, à ses yeux trop conciliante, de ses prédécesseurs de centre gauche vis-à-vis du Nord. La menace de Pyongyang de considérer comme « une déclaration de guerre » toute action de la marine sudiste à l’encontre des bateaux nord-coréens est une nouvelle détérioration des relations entre les deux pays. Avec le rejet par Pyongyang de l’armistice de 1953, l’animosité est montée d’un cran : en théorie, les deux Corées sont toujours en état de guerre.
L’impatience à l’égard des Etats-Unis a coïncidé avec les cent jours au pouvoir de Barack Obama. Le tir, le 5 avril, d’un lanceur de satellite (ou d’un missile expérimental) a été pour Pyongyang l’occasion de tester les intentions de la nouvelle administration. La condamnation par Washington et le Conseil de sécurité a convaincu Pyongyang que l’attitude internationale à son égard n’avait pas changé en dépit du commencement de la désactivation de sa centrale nucléaire. Accusant Washington de poursuivre une « politique hostile », le régime a lancé son escalade en procédant à son second essai nucléaire (le premier date de 2006).
D’entretiens avec des membres de l’Association générale des Coréens du Japon (pro-Pyongyang) à Tokyo, il ressort un sentiment de frustration. Les gains obtenus par la RPDC dans les négociations à six - Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie - sont faibles : l’effet attendu de la suppression de la RPDC par Washington de la liste des pays soutenant le terrorisme a été annulé par les nouvelles sanctions. Kim Jong-il serait passé du « plan A » - Washington renonce à son « attitude hostile » - au « plan B » - la RPDC s’affirme comme une puissance nucléaire -, écrit Kim Myong-chol, proche du régime, dans Asia Times online.
L’impatience de Pyongyang peut avoir plusieurs raisons. La première est l’échéance de 2012. Centième anniversaire de la naissance du « président pour l’éternité » Kim Il-sung (décédé en 1994), l’événement doit marquer l’entrée de la RPDC dans une ère de « prospérité ». Or toute amélioration suppose la normalisation des relations avec les Etats-Unis.
Cette impatience est-elle accentuée par des raisons internes au sommet ? Les spéculations des observateurs sont souvent divergentes. « Les facteurs internes sont plus déterminants que les facteurs externes », estime Peter Beck, de l’université de Washington. Masao Okonogi, spécialiste de la RPDC à l’université Keio à Tokyo, est d’un avis contraire. Le martèlement par les médias officiels de la nouvelle puissance défensive du pays vise « à renforcer le moral de la population », souligne Cheong Seong-chang, de l’Institut Sejong, à Séoul. L’état de santé de Kim Jong-il entre-t-il en ligne de compte ? Il semble rétabli de l’accident vasculaire dont il a été victime en août 2008, mais il est apparu amaigri et affaibli lors de la réunion du Congrès suprême du peuple, le 10 avril.
La récente nomination de Chang Song-taek, beau-frère de Kim Jong-il, à la Commission de défense nationale, organe suprême de l’Etat, viserait à pallier toute vacuité du pouvoir. Chang Song-taek est puissant au sein du Parti du travail et les liens de parenté comptent beaucoup dans un régime fondé sur la loyauté au dirigeant, fait valoir Ko Yu-hwan, de l’université Dongguk, à Séoul.
Kim Jong-il pourrait bien avoir engagé sa « dernière partie de poker », avance Shim Jae-hoon, commentateur politique à Séoul. L’administration Obama ne semble pas décidée à se plier à un nouveau « chantage » de Pyongyang et la Chine, pièce maîtresse de l’échiquier en raison de ses liens avec la RPDC, pourrait être moins conciliante que par le passé : « Elle joue double jeu, estime Shim Jae-hoon, soutenant les Etats-Unis en vue de la dénucléarisation de la RPDC et se dérobant à l’application des sanctions, mais, cette fois, intervient un facteur qui la préoccupe : l’offensive nord-coréenne risque de provoquer une course aux armements dans la région, ce qu’elle ne souhaite pas. »
Selon Scott Snyder, auteur de China’s Rise and the two Koreas (Lynne Rienner), la politique de la Chine visant à ne pas déstabiliser la RPDC entre en conflit avec ses intérêts de puissance mondiale. A un moment ou un autre, elle devra choisir. Au Japon, la menace nord-coréenne a relancé le débat sur la possibilité pour l’archipel de se doter de l’arme nucléaire. Pas plus que la Chine, la Russie n’est favorable à un accroissement des capacités militaires japonaises. Et les « arrières » de Pyongyang se trouvent fragilisés dans l’épreuve de force qu’il a engagée.