Le 29 août, Tommy Sheridan et Rosemary Byrne, deux des députés élus pour le Scottish
Socialist Party (SSP, Parti socialiste écossais), publiaient un communiqué de presse
annonçant leur rupture et le lancement d’un nouveau parti, Solidarity – Scotland’s Socialist
Movement (Solidarité – Mouvement socialiste d’Ecosse).
L’argument avancé pour justifier la scission est qu’il faut « offrir au peuple d’Ecosse une
alternative socialiste [1] aux politiques pro-marché du New Labour [le « nouveau » parti
travailliste de Tony Blair], des Tories [conservateurs], des Libéraux-Démocrates [centristes]
et du SNP [Parti national écossais, indépendantiste sociale-libéral] », et que « le SSP n’est
plus à même de jouer ce rôle ».
Après avoir réussi à regrouper plus de 3.000 membres [2] et obtenu, dans les élections de
2003, 130.000 voix et six députés au parlement autonome écossais, le SSP était tout
récemment décrit par The Economist, la revue économique et financière londonienne,
comme l’opposition « bagarreuse » [3] au New Labour et au SNP.
Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il une place pour deux partis anticapitalistes en
Ecosse ? Quelles leçons faut-il tirer de cette crise ? Cet article s’efforcera de traiter de ces
questions, tout en apportant des éléments d’information et d’analyse complétant les propos
(qui constituent l’article suivant) d’Andy McPake, un militant des jeunesses du SSP qui nous
livre sa vision de l’intérieur de ce processus.
Les origines du SSP
C’est en 1991 que les membres écossais du courant Militant (appartenant au niveau
international au CIO – CWI en anglais –, Comité pour une internationale ouvrière) ont
abandonné leur politique traditionnelle d’entrisme dans le parti travailliste et constitué une
organisation indépendante, le SML, Scottish Militant Labour (Militant travailliste écossais) [4].
Leur porte-parole, Tommy Sheridan, était devenu à partir de son intervention dans le quartier
de Pollok, l’un des bastions du mouvement ouvrier à Glasgow, une importante figure
publique dans la lutte contre la « poll tax [5] ». Cette même année, Sheridan était élu
conseiller municipal de Pollok en recueillant un nombre de voix inédit pour un
révolutionnaire.
En sortant du Labour Party, le SML se donnait cependant un objectif plus vaste : former un
nouveau type de parti pour le socialisme, capable de réunir l’ensemble des forces
anticapitalistes de la gauche écossaise et de s’enraciner en profondeur dans les couches
ouvrières et populaires. En 1995, le SML était à l’initiative de la formation de la SSA, Scottish
Socialist Alliance (Alliance socialiste écossaise), un front qui allait regrouper quasiment tous
les courants organisés de la gauche radicale et anticapitaliste, ainsi que d’autres militants
venant du Labour, de la tradition communiste, de la gauche indépendantiste, ou
précédemment inorganisés.
Après trois années de débats et d’intervention commune, toujours sous l’impulsion du
SML, la SSA décidait de se transformer en parti : le SSP était fondé fin 1998. Ses différentes
composantes (et quiconque décidait d’en faire la déclaration) conservaient le droit de
s’organiser en tant que « plates-formes », disposant si elles le souhaitaient de leur propre
presse, organisant à leur convenance débats ou formations, et bénéficiant en général des
droits de tendance les plus étendus.
Cependant, le SML était de loin la principale force fondatrice du SSP. De ce fait, ce dernier
ne pouvait devenir viable en tant que parti – et non plus seulement front ou alliance – que si
le SML mettait à sa disposition ses moyens politiques et organisationnels (journal, locaux,
cadres, finances). Le choix de se consacrer pleinement à la construction du SSP, et à ne se
maintenir en son sein que comme tendance idéologique, rencontrait alors l’opposition de la
direction du Militant anglais (devenu Socialist Party), et le SML quittait finalement le CIO en
janvier 2001. Une petite minorité, restée fidèle au Socialist Party, constituait la plate-forme
International Socialists (plus souvent désignée comme CIO Ecosse), tandis que la majorité
formait l’ISM, International Socialist Movement (Mouvement socialiste internationaliste), qui
commençait à éditer la revue bimestrielle Frontline (www.redflag.org.uk).
Lors de la fondation du nouveau parti, un appel à le rejoindre avait été lancé à la branche
écossaise du SWP (Socialist Workers Party, Parti socialiste des travailleurs), deuxième force
trotskyste en Ecosse après le SML/ISM, mais le SWP déclinait la proposition. Sa direction
mettait alors au centre de sa politique de construction « le clivage entre réforme et
révolution », affirmait en conséquence qu’il fallait entreprendre la construction directe de
partis révolutionnaires et que le projet du SSP, de construction d’un parti de lutte de classe
pour le socialisme sur une base large et unitaire, était « fondamentalement erroné » [6]. Trois
ans plus tard, alors que le SSP avait connu un développement rapide et important, le SWP
décidait cependant d’y intégrer ses militants écossais qui y devenaient la « Socialist Workers
Platform ».
La démission de Sheridan
Il faut maintenant tenter de résumer les principales étapes d’une crise qui, ces derniers mois,
a fait la « une » des quotidiens écossais et les choux gras de tous les médias d’Outre-Manche
(la BBC en a tiré un reportage de 30 minutes intitulé « Sexe, mensonges et socialisme »…)
Le 9 novembre 2004, une réunion du comité exécutif (CE) du SSP était convoquée en
urgence à Glasgow. Motif : l’hebdomadaire à scandales News of the World venait de publier
un article affirmant qu’un député au parlement écossais fréquentait à l’insu de sa femme un
club échangiste de Manchester [7], et le bruit courait qu’il s’agissait de Tommy Sheridan, la
grande figure publique et le « national convener » [8] du parti. Selon le compte rendu (qui ne
fut rendu public qu’en août 2006) de cette réunion, « Tommy a admis dans la réunion qu’il
avait effectivement visité ce club à deux reprises, en 1996 et en 2002, avec des amis
proches. Tommy a reconnu que sa conduite avait été imprudente et estimé avec le recul qu’il
avait commis une erreur. » [9]
Lors d’une rencontre préalable avec deux membres du comité exécutif1 [10], Tommy Sheridan
s’était vu proposer plusieurs types de réponses (voir article suivant, pages 17-18) qui toutes
auraient permis de limiter les dommages, pour le parti et pour lui-même dans son rôle de
« convener ». Mais il refusa chacune de ces options et annonça au contraire son intention
d’engager devant les tribunaux une action en diffamation, en niant toutes les allégations,
vraies ou fausses. Le compte rendu déjà cité indique que « tous les intervenants sans
exception ont manifesté leur désaccord avec la stratégie consistant à nier les allégations (…)
Tous ont estimé qu’il serait préférable que Tommy change d’avis ». Le CE vota à l’unanimité
une motion demandant à Sheridan de reconsidérer sa position et d’accepter avant le 13
novembre l’une des options qui lui étaient proposées, ou bien de démissionner de son poste
de « convener ». Sheridan annonça sa démission le 10 novembre.
Le 28 du même mois, deux motions furent adoptées par le conseil national du parti. La
première, votée par 85 voix contre 20, soutenait la décision du CE demandant à Tommy
Sheridan de démissionner. La seconde, votée par 93 voix contre 10, acceptait la démission
de Sheridan et déclarait que « Tommy reste un membre de valeur de l’équipe de députés la
plus dynamique du parlement écossais. Le conseil national dément formellement les
rumeurs ayant pu circuler selon lesquelles la démission de Tommy a été provoquée par un
affrontement de direction, une lutte fractionnelle pour le pouvoir ou toute forme de conflit
interne. »
A l’issue de cette même réunion, Sheridan publiait lui-même un communiqué de presse
dans lequel il affirmait « soutenir pleinement la déclaration du comité exécutif du SSP mise
au point dans la réunion d’aujourd’hui. Le SSP a fait preuve aujourd’hui d’une grande
maturité en parvenant à une position unifiée sur la façon d’aller de l’avant. » Il y confirmait en
outre que sa démission, pour laquelle il alléguait des raisons familiales, n’avait « absolument
rien à voir avec des luttes de pouvoir internes. Il n’y a pas et n’y a jamais eu de querelle
interne ou de croc-en-jambe à propos d’un enjeu de direction. »
Le compte rendu et la politique de « défiance »
Mais Sheridan modifia vite sa version des événements, pour lancer une campagne contre la
direction du SSP, en affirmant à mots couverts qu’il avait été victime de jalousies et
d’ambitions politiques. Jusqu’au procès, il ne contesta cependant jamais la véracité du
compte rendu du CE du 9 novembre 2004 qui, à sa demande, demeura confidentiel.
Lorsqu’il devint évident qu’au cours du procès qui approchait, ce compte rendu deviendrait
un élément central dans la défense des News of the World, Allan Green (secrétaire national
du parti) et Colin Fox (le nouveau « convener ») se réunirent avec Sheridan pour examiner
avec lui son contenu. Sheridan signala que ce compte rendu pouvait nuire à son action en
justice et demanda que, conformément à la tradition de « défiance » (refus de collaborer
avec les tribunaux bourgeois) du mouvement ouvrier, le SSP refuse de le communiquer à la
Cour. Lors de la réunion du comité exécutif du 14 mai 2006, il fut convenu que le parti
mènerait une bataille légale pour ne pas avoir à communiqué le compte rendu et que si cette
bataille échouait, Alan McCombes (secrétaire politique et à la presse du parti), annoncé
comme étant seul dépositaire du document, refuserait de le remettre. Deux réunions
successives du CE votèrent cette orientation à une large majorité.
Alan McCombes refusa donc de remettre le compte rendu, et il fut emprisonné pour
obstruction à la justice, sa libération étant conditionnée à la délivrance de ce document.
C’est à ce moment que des membres de la section de Cardonald (celle de Tommy Sheridan)
demandèrent la destruction du compte rendu, dans un e-mail qui fut logiquement intercepté
par la police. Le juge ordonna aussitôt des perquisitions des locaux du parti et des domiciles
de plusieurs de ses membres. Le coût de ces perquisitions, 7 000 livres, fut imputé au SSP.
Et il fut ordonné que les coûts légaux engagés par les News of the World en tant que partie
défenderesse, dans tous les cas plusieurs de dizaines milliers de livres, soient
personnellement mis à la charge d’Alan McCombes.
Dans la réunion du conseil national du SSP tenue le 28 mai 2006, alors que McCombes
était en prison, Tommy Sheridan distribua une lettre ouverte, communiquée en même temps
à la presse, dans laquelle il appelait à remettre le compte rendu à la justice. Les platesformes
du CIO et du SWP, qui avaient jusqu’alors défendu la politique de défiance,
soutinrent Sheridan en bloc et la proposition de remettre le compte rendu obtint une majorité
des voix [11]. La politique de défiance, qui avait été adoptée comme tentative d’unifier le parti
dans les conditions difficiles imposées par ce procès, était donc défaite.
Plus grave, une fracture latente apparaissait maintenant au grand jour et s’élargissait. D’un
côté, ceux qui veulent construire une organisation démocratique, dans laquelle tous les
membres, de la base au sommet, sont également responsables devant les instances du
parti. De l’autre, ceux pour lesquels certains membres du parti sont « plus égaux que
d’autres » et responsables devant personne, en tout cas pas devant leur propre parti. C’est
lors de ce conseil national que sont apparus les éléments dont le développement a conduit à
la scission.
Vendetta politique
Pourquoi Sheridan a-t-il demandé la communication du compte rendu ? On apprit bientôt
qu’un compte rendu présentant une version proche de l’original avait été adressé
anonymement à News of the World. La Cour l’écarta en dénonçant un faux, mais cela servait
à Tommy Sheridan pour étayer ses accusations, désormais publiques, selon laquelle il était
victime de « la mère de tous les règlements de compte » (« the mother of all stitch-ups »).
Plus encore, il pouvait maintenant – avec la complicité des plates-formes du SWP et du
CIO – mener une campagne de calomnies contre les 11 membres du SSP qui avaient reçu
des assignations à comparaître devant la Cour en tant que témoins cités par News of the
World, et qui ne pouvaient que reconnaître la vérité en accord avec le contenu du compte
rendu (comme en avait convenu le CE dans un vote pris à une très large majorité, les
représentants du SWP… s’abstenant). Dès lors, la démarche sordide consistant à profiter
d’un « scandale » de mœurs pour se faire de l’argent cédait le pas à une vendetta politique.
A cette fin, des militants et dirigeants du SSP ont été livrés en pâture aux médias, leur
réputation foulée aux pieds, leur parti vilipendé.
Le 4 août, Tommy Sheridan apprenait que le jury populaire, par sept voix contre quatre,
avait considéré qu’il avait été diffamé par News of the World et lui allouait des dommages et
intérêts d’un montant de 200 000 livres (environ 280 000 euros).
Le 7 août, le tabloïd pro-New Labour de Glasgow, Daily News, consacrait à l’affaire six
pages et toute sa une, qui arborait en titre : « Exclusif. Sheridan : je détruirai les jaunes qui
ont tenté de me démolir ». A l’intérieur apparaissaient, barrées du mot « jaune » (« scab »)
les photos de Colin Fox, Rosie Kane, Carolyn Leckie et Frances Curran, les quatre députés
du SSP ayant refusé de suivre Sheridan dans ses manœuvres et mensonges. Sheridan
reçut pour cette interview la somme de 30.000 livres. Le dommage causé au SSP et à ses
militants, évidemment, n’avait pas de prix.
Réécriture de l’histoire
Quant au SWP, il a déjà commencé à réécrire l’histoire. Dans un texte daté du 21 juin 2006
et destiné à l’IST/TSI (Tendance socialiste internationale, le courant international du SWP),
la Socialist Workers Platform proclame que sa décision de s’unir au SSP en 2001 avait été
basée sur « la reconnaissance que, sous la direction de Sheridan, le parti cherchait
effectivement à rompre avec les politiques sectaires du Militant dont proviennent bon nombre
de ses dirigeants, et à tendre la main, d’une part, aux déçus du New Labour, d’autre part,
aux participants du mouvement anticapitaliste [12] et anti-guerre en plein développement ».
Voilà qui cadre mal avec ses dénonciations publiques et répétées, notamment à l’occasion
des élections de 2003, de Sheridan comme un « nationaliste ».
Dans l’hebdomadaire du SWP, son dirigeant Chris Harman affirme que « la gauche
écossaise est en désarroi depuis que certains membres dirigeants du SSP ont témoigné
pour News of the World dans l’action en diffamation engagée par sa figure la plus connue,
Tommy Sheridan » [13]. Mais il ne signale pas que le 9 novembre 2004, le représentant du
SWP au comité exécutif du SSP avait voté – comme il l’a lui-même reconnu – en faveur de
la démission de Sheridan, et que ce n’est que plus tard que son « sentiment a changé ».
Le CIO a eu une attitude similaire. Après avoir dénoncé Sheridan comme un « nationaliste
de gauche », « réformiste parlementaire » et même « néo-stalinien », il a participé
activement à la scission et au lancement d’une nouvelle organisation sous l’égide de
Sheridan... Les ennemis intimes SWP et CIO ont l’un et l’autre pris la défense du « grand
leader » maltraité par ses camarades jaloux.
Le SSP et Solidarity
A la demande des partisans de Sheridan, qui s’étaient – brièvement – dénommés « SSP
Majorité » suite à leur victoire dans le conseil national du 28 mai, une conférence nationale
extraordinaire du SSP a été convoquée pour le mois d’octobre. Sheridan avait annoncé son
intention d’y reprendre les fonctions de « national convener » et s’était fixé publiquement
l’objectif d’obtenir auparavant au moins vingt-cinq « nominations » (propositions) en
provenance des sections du parti. Il en a reçu onze [14].
Dans le but de défendre face à cette crise la tradition du SSP, près de 160 militants,
membres de l’ancien ISM (officiellement dissous en mars dernier) ou indépendants, avaient
lancé le 11 juin la plate-forme United Left (Gauche unie). Toutes les informations concordent
pour indiquer que les membres actifs du SSP, notamment parmi la majorité de militants
n’appartenant à aucune plate-forme, se sont largement rassemblés en défense du SSP, bien
au-delà de la United Left. Lors du meeting du SSP « Unité, intégrité et socialisme » tenu le 2
septembre à Glasgow, seuls deux des cinq orateurs, la députée Carolyn Leckie et la
représentante de l’organisation de jeunesse Joanne Kelly, étaient des membres de la United
Left. Ni John McAllion (ancien député travailliste au parlement britannique puis écossais), ni
Richie Venton (responsable national du travail syndical), ni le nouveau « convener » Colin
Fox n’appartiennent à cette plate-forme. Par ailleurs, aucune des autres [15] plates-formes du
parti n’a suivi les scissionnistes.
Comme le titrait le 25 août la Scottish Socialist Voice (hebdomadaire du SSP), Tommy
Sheridan « a gagné son procès mais perdu le parti ». C’est la raison pour laquelle la « SSP
Majorité », après avoir exigé une conférence nationale extraordinaire puis proclamé son
intention et certitude d’y remporter la majorité, a jeté l’éponge et pris fin août la décision de
sortir.
Le meeting de lancement de Solidarity–SSM, le 3 septembre, a cependant réuni une
assistance nombreuse, plus nombreuse même que celui du SSP tenu la veille dans la même
salle [16]. Quand bien même le meeting de Solidarity, annoncé une semaine avant celui du
SSP, a bénéficié d’une couverture médiatique importante et de la curiosité publique suscitée
par la vedette de la politique écossaise de ces derniers mois, on a pu constater à cette
occasion que la scission est à l’évidence un coup politique très sérieux.
Autre chose, restant largement à vérifier, sera la viabilité de la nouvelle formation, du
moins après l’échéance des élections au parlement écossais de mai 2007, scrutin dans
lequel Sheridan compte sur sa célébrité et son charisme pour être réélu. Autant les premiers
pas du SSP « maintenu » témoignent d’une grande unité sur les questions fondamentales,
autant la cacophonie été immédiate du côté de Solidarity.
Dans son édition du 9 septembre, Socialist Worker estime, au sujet du meeting du 3
septembre, que « l’ouverture du discours [de Tommy Sheridan] a paru quelque peu en retrait
par rapport à l’ambiance du meeting ». Il fait dire à l’un des participants qu’il a été « un peu
désappointé de ne pas avoir entendu Tommy Sheridan préciser davantage ce que nous
avons besoin de faire ces prochains mois », et à un autre que « la nouvelle organisation (…)
a besoin de plus de jeunes et de pensée créatrice, et il faut autour de Tommy Sheridan des
gens solides, qui soient capables de l’interpeller ».
Plus manifestement encore, le CIO a consacré sa première déclaration politique sur le
sujet à attaquer le SWP, qui « veut que Solidarité–SSM adopte l’approche politique de
‘‘Respect’’ en Angleterre, qui a échoué à faire émerger une authentique alternative de
gauche ou socialiste pour la classe des travailleurs, parce qu’elle est basée sur un appel à
un seul secteur de la population et ne met pas en avant des politiques socialistes. Au
meeting de Solidarité–SSM, les orateurs du SWP ont affirmé que pour la gauche, la guerre
devait être ‘‘le ravitailleur qui doit être rejoint régulièrement pour reprendre du carburant’’. En
d’autres termes, la guerre est la préoccupation centrale et le nouveau mouvement doit se
baser là-dessus. Ils ont affirmé que Solidarité – SSM devrait être un nouveau parti ‘‘de
gauche’’ – la plupart des membres du SWP refusent de l’appeler un parti socialiste – se
basant principalement sur la communauté musulmane, les demandeurs d’asile et le
mouvement anti-guerre. Ce n’est pas l’avis de la majorité des forces qui ont été à l’initiative
du lancement du nouveau parti en sortant du SSP » [17].
Deux projets politiques
La masse des documents et informations accessibles [18] montre de façon très claire que –
comme cela est développé dans l’article suivant – l’on est maintenant en présence de deux
projets politiques différents.
A travers l’action et les arguments développés par ses partisans lorsqu’ils étaient membres
du SSP, comme dans ses premières déclarations et son meeting de lancement, Solidarity
apparaît comme un mouvement réuni principalement autour d’une personnalité médiatique,
se basant sur quelques slogans plus que sur un programme politique, et qui met les
élections et la participation au parlement au centre de sa stratégie politique, en évitant de
contester les institutions bourgeoises.
En conformité avec son projet socialiste et avec la bataille pour l’auto-organisation des
travailleurs et des opprimés, le SSP défend une démocratie de parti fondée sur la
participation des militants et leur contrôle effectif de la direction. Tout en reconnaissant
l’importance des élections et de l’activité parlementaire, il fonde son activité avant tout sur le
développement des luttes et dénonce dans les institutions parlementaires un instrument de
la domination bourgeoise et impérialiste. A l’occasion de la dernière conférence nationale du
SSP, Alan McCombes avait suscité une levée de boucliers d’une partie de l’organisation
lorsqu’il avait défendu, dans un document soumis à la discussion, une réorientation de
l’intervention « en direction des 50 % d’écossais qui ne votent pas », c’est-à-dire la jeunesse
et les couches les plus exploitées et opprimées de la population.
Ces oppositions stratégiques ont des corollaires sur d’autres terrains. Le plus évident est
l’oppression spécifique et la lutte pour la libération des femmes (ainsi que la question LGBT).
Le communiqué annonçant la fondation de Solidarity n’en dit pas un mot, alors même qu’il
mentionne de nombreuses autres questions et terrains de lutte. Voilà qui n’ira pas à
l’encontre des tirades antiféministes de Sheridan, que ce soit face aux femmes qui ont
contredit ses assertions lors du procès ou au groupe de dirigeantes du parti ayant impulsé le
réseau féministe du SSP – « une bande de sorcières » selon l’ancien « convener ».
Significativement, dans sa lettre ouverte diffusée au conseil national de la fin mai, il accusait
la direction du SSP de vouloir construire « un groupe de discussion obsédé par les questions
de genre » au lieu d’« un parti socialiste de classe », et précisait : « nous nous définissons
d’abord par nos principes socialistes et notre identité de classe. Non par notre genre ou
notre orientation sexuelle. »
Une autre question centrale (mais que l’on ne développera pas ici, tant les débats dont elle
fait l’objet sont complexes pour qui n’en est pas imprégné) est celle de l’indépendance – ou
non – de l’Ecosse. Le SSP lutte pour « une Ecosse indépendante et socialiste » et arbore la
devise « Socialisme, indépendance et internationalisme » [19]. Le SWP et le CIO s’opposent à
cette orientation qui, selon eux, cède devant le nationalisme bourgeois et divise la classe
ouvrière britannique. Il est un fait que cette dimension traditionnelle du combat du SSP, qui
était pourtant fortement revendiquée par Sheridan et ceux de ses partisans qui sont issus de
l’ISM, a été quasiment absente des premières interventions de Solidarity.
Des enseignements à tirer
La crise traversée par le SSP ne concerne pas seulement nos camarades écossais, elle
interpelle directement les marxistes révolutionnaires des autres pays. Et tout
particulièrement, parmi eux, ceux pour lesquels l’expérience du SSP a été et reste une
source d’inspiration.
Les derniers événements remettent-ils en cause la tactique de construction de partis larges
pour le socialisme ? Nous ne le pensons pas. Les succès spectaculaires, la place politique
conquise en très peu d’années par le SSP, ont amplement validé l’orientation de construction
d’un véritable parti apte à regrouper dans un cadre démocratique l’ensemble de la gauche
anticapitaliste. En revanche, il est important d’identifier les limites, les erreurs commises et,
au-delà, de se demander ce qui a pu les favoriser.
Il paraît évident que la direction du SML puis de l’ISM a fait preuve d’une certaine candeur
politique, et que les erreurs qui en ont résulté ont débouché sur une situation détonante dès
lors qu’un secteur droitier, tendant vers des positions réformistes, est entré en conjonction
avec les conceptions et intérêts particuliers de groupes qui n’ont jamais partagé le projet
fondateur et s’étaient intégrés pour des raisons fondamentalement d’opportunité.
La crise du SSP est avant tout un résultat de son succès. Pour un petit parti, se développer
à travers de tels bonds, au point de se retrouver subitement avec six membres élus au
parlement, ne pouvait que susciter des convulsions politiques et organisationnelles. Les
problèmes résultant de l’intégration d’une masse de nouveaux membres n’ayant pas une
idée très claire de ce qu’est le socialisme, sans parler du marxisme révolutionnaire,
combinés aux pressions inévitables engendrées par la représentation parlementaire,
auraient été difficiles à surmonter pour une organisation plus expérimentée et plus
homogène. Dans ces conditions, l’émergence d’une tendance de droite (pour une bonne part
issue – c’est à remarquer – du noyau révolutionnaire lui-même) n’avait rien d’extraordinaire.
Le fait que la direction du SSP n’ait jusqu’à une époque récente pas été consciente de ces
problèmes semble clair à travers les propos d’Andy McPake, comme au regard de la
déclaration de fondation de la United Left, lorsqu’elle affirme : « nous sommes profondément
préoccupés par le fait que l’activité quotidienne du parti à la base de la société, l’éducation
socialiste et l’unité interne n’ont pas réussi à se porter à la hauteur de nos succès
électoraux. » [20]
Démocratie interne, contrôle et transparence
A ces problèmes généraux, il nous semble que l’on peut ajouter l’expression de naïveté
politique consistant à considérer qu’il était meilleur pour le parti de ne pas faire état de la [21], même si cela entrait en
contradiction avec les statuts [22] du parti et les droits démocratiques qu’ils confèrent à ses
membres. Mais il est un fait qu’aucune plate-forme représentée à l’exécutif ne s’est opposée
à cette décision.
À partir du moment où une organisation commence à avoir une influence de masse, ses
débats internes acquièrent nécessairement un caractère public. Certes, il y a des moments
où, face à la bourgeoisie et à son appareil d’Etat, une direction responsable peut et doit ne
pas divulguer certaines informations (quoique le secret soit le plus souvent illusoire : voir
l’exemple fameux de la polémique publique entre les dirigeants bolcheviques, juste avant
Octobre 1917, sur l’opportunité ou non de déclencher l’insurrection…) Mais la plus complète
transparence doit être la règle. Elle constitue d’ailleurs aussi le seul pare-feu efficace face
aux manœuvres de groupes hostiles.
Vu de l’extérieur, avec donc les précautions qui s’imposent, les arguments de certains
militants et plates-formes (comme le Republican Communist Network), selon lesquels il était
illusoire et erroné de vouloir garder le secret sur le comportement de Sheridan et le conflit
l’opposant au comité exécutif, ont une certaine crédibilité.
La question est d’autant plus sensible dans un parti tel que le SSP qu’elle concerne au
premier chef la majorité des membres qui n’appartiennent à aucune plate-forme : beaucoup
ont pris connaissance de l’affaire par la presse, en même temps que l’ensemble des
travailleurs. Dès lors, il était inévitable que, face aux allégations de Sheridan, « des individus,
branches et même régions [aient été] soumis à des interprétations externes des politiques
internes du SSP, suscitées à travers les médias » [23].
Les processus décisionnels doivent être démocratiques, ouverts et transparents non
seulement pour les membres du parti, mais aussi pour les travailleurs et les mouvements
sociaux. La décision de la United Left de lutter pour une organisation dans laquelle les
représentants élus « soient pleinement responsables devant le parti, en plaçant l’intérêt [24] doit être saluée comme un
pas dans la bonne direction.
Figures publiques, présidents, porte-parole
C’est un autre problème aigu, qui mérite un traitement spécifique. Car si Tommy Sheridan
était l’un des dirigeants du SSP (et, avant lui, du SML), il n’en a jamais été le « chef » : cette
image fausse, que le SWP et le CIO reprennent aujourd’hui complaisamment, a été
construite à partir de son rôle de porte-parole. Il faut toutefois bien admettre que le SSP et sa
direction ont longtemps ignoré si ce n’est conforté cette personnalisation – en tout cas
jusqu’à l’éclatement du conflit de novembre 2004.
L’existence même du poste de « national convener » (que des militants avaient mis en
cause après la démission de Sheridan), calqué sur le fonctionnement hiérarchisé traditionnel
des autres partis, constitue un facteur de confusion. Mais là encore, il ne s’agit pas d’un
« problème écossais ». Par exemple la camarade Heloísa Helena est non seulement porteparole
mais « présidente » du P-SOL.
La façon dont les anticapitalistes et les révolutionnaires sont perçus par les masses a subi
de profondes modifications. Alors même que les grands personnages politiques auxquels
sont édifiés des cultes ne sont plus de ce temps [25], la relation instituée par les médias entre
le porte-parole et la population est devenue beaucoup plus directe et étendue que dans le
passé. Assis devant la télévision, les gens voient défiler dans un continuum vide de sens les
manifestants anti-CPE, le Loft, le discours de Chirac, les résultats de la journée de Ligue 1,
la Star Académie et l’interview d’Olivier Besancenot.
Cette médiatisation et dé-hiérarchisation de la politique intervient dans une situation où, du
fait de la crise d’alternative politique, les travailleurs, la jeunesse et les mouvements sociaux
ont connu une profonde dépolitisation et leurs organisations se sont globalement affaiblies ;
mais aussi, contradictoirement, alors que par suite du tournant à droite des vieilles
organisations qui représentaient le mouvement ouvrier, les anticapitalistes et les
révolutionnaires sont de plus en plus largement perçus comme les seuls à défendre
réellement les intérêts populaires.
Tout cela favorise la croyance – toujours latente – dans le leader providentiel. La LCR et
Lutte Ouvrière sont deux exemples d’organisations dont l’influence structurelle,
l’enracinement parmi les travailleurs et les jeunes, sont loin d’égaler l’écho que rencontrent
leurs porte-parole. Médiatisation et dépolitisation d’une part, crise des partis traditionnels et
de l’engagement politique d’autre part, se combinent pour créer un phénomène dans lequel
le porte-parole est beaucoup plus connu que le parti qu’il représente. Dans quelques
semaines au Brésil, il y aura beaucoup plus d’électeurs d’Heloísa Helena que d’électeurs du
P-SOL. À chaque distribution de tracts, nous constatons à quel point Olivier Besancenot est
incomparablement plus connu que la LCR.
Le parti anticapitaliste ou révolutionnaire est spécialement affecté. En général, les partis
bourgeois (ou ralliés à l’ordre bourgeois) n’ont en effet pas ce genre de problèmes. Un parti
bourgeois est une structure hiérarchisée dont la raison d’être est la participation aux
élections, pour le compte des intérêts économiques dominants qui lui délèguent la tâche de
leur représentation politique. Le plus souvent, ses porte-parole sont donc aussi ses
dirigeants effectifs : ils sont parvenus à leur poste grâce à leur habileté à éliminer leurs
concurrents moins capables, en démontrant leur plus grande capacité à servir ceux qui
dominent véritablement la société ; c’est-à-dire, pour une très large part, leur aptitude à
mentir et tromper (« communiquer ») au service du maintien de l’ordre établi.
Il paraîtrait a priori évident que la fonction de porte-parole d’une organisation anticapitaliste
ou révolutionnaire est différente de celle de chef d’un parti bourgeois, ou même de « leader
charismatique » d’un mouvement large : ce sont des militants qui assument une tâche
spécifique, pour laquelle ils ont été sélectionnés par la direction de l’organisation. La crise du
SSP a cependant montré à quel point cela peut ne pas être clair, y compris aux yeux de
nombreux militants.
Il nous semble que trois leçons peuvent, de ce point de vue, être tirées.
La première est tout simplement qu’il faut dire publiquement la vérité, quand bien même
elle heurte les préjugés et constructions idéologiques : le porte-parole est un membre du
parti chargé de la tâche spécifique consistant à populariser sa politique.
En second lieu, il est indispensable qu’il y ait plusieurs porte-parole (et que le principe de
parité s’applique à cette responsabilité comme à d’autres).
Enfin, porte-parole comme candidat sont des tâches qui devraient avoir un caractère
rotatif. Etre placé en permanence sous les feux de la rampe entraîne une pression épuisante
et entre en contradiction avec les besoins de la vie privée. Sans compter que certains
peuvent être amenés à développer des comportements s’opposant aux besoins de
l’organisation ou, dans des cas extrêmes, à croire réellement qu’ils « sont » le parti…