Peux-tu nous présenter ce qui va se passer à Londres à l’occasion du Forum social européen (FSE), qui aura lieu du 14 au 17 octobre ?
Rahul Patel - Le FSE va être fantastique. Les débats vont être importants, il y aura des figures du nouveau mouvement qui a émergé depuis Seattle. Une grande variété d’événements représentent la colère, les sentiments de communautés multiculturelles larges et diverses. Il y aura Walden Bello, des représentants de la résistance irakienne, des dirigeants syndicaux comme John Monks, et aussi Michael Albert, Susan George, Evo Morales, la fille de Che Guevara, Vandana Shiva, Shirin Ebadi, Ahmed Ben Bella, Tariq Ramadan... La culture (Londres est très connue pour ça) sera aussi un des éléments importants du FSE : La Bataille d’Alger1 va être projeté avec une nouvelle bande-son, d’Asian Dub Fundation. Mick Jones, l’ex-guitariste des Clash, jouera lors du grand concert antiraciste et antifasciste. Nous voulons que le FSE se déroule à Londres car c’est aussi la ville la plus néolibérale après Washington, la pointe avancée du libéralisme en Europe, c’est aussi pour les États-Unis un point d’accès au lancement de la guerre à travers le monde. On comprend que le néolibéralisme marche main dans la main avec la guerre. C’est ce message qui a déjà été adressé durement à Blair. C’est un festival contre le libéralisme et la guerre.
Quelle est la situation du mouvement ouvrier britannique par rapport au FSE ?
R. Patel - Le mouvement antiguerre a amené les gens à croire qu’ils ne peuvent accepter ce qu’on leur dit, à remettre en cause le discours dominant. Cette idée-là conduit les gens à se mobiliser sur un grand nombre d’autres questions. Il y a ainsi deux fractures majeures qui se développent. La première est que certains des plus gros syndicats rompent avec le projet de Blair. Le FBU (syndicat des pompiers, qui s’est durement affronté au gouvernement l’an dernier) et le RMT (syndicat des transports) se sont désaffiliés du Labour Party afin de s’opposer à la politique antiouvrière de Blair. La deuxième est l’émergence de nouvelles forces politiques et d’une alternative avec Respect. Les deux éléments de cette crise minent la situation pour Blair, grâce à l’expérience et à l’unité qui a été construite avec le mouvement antiguerre. Pour la première fois, les syndicats, les mouvements antiguerre et pour la paix, des organisations antiracistes et antifascistes larges, le mouvement des réfugiés et des migrants, les environnementalistes, et aussi la plupart des grandes ONG sont rassemblés. Le TUC s’est affilié et est actif dans le soutien et dans la construction du FSE de Londres.
Comment la contestation de Blair s’est-elle développée en Grande-Bretagne ?
R. Patel - En Grande-Bretagne, la remobilisation des organisations, qui s’inspirent de ce qui s’est passé à Gênes en juillet 2001, nous a donné l’opportunité de lancer le mouvement antiguerre. Toute la vie politique britannique est aujourd’hui dominée par Bush et Blair et leur guerre. C’était l’Irak, maintenant ils veulent aller au Soudan. Ils dépensent des milliards pour la guerre alors que des millions de personnes doivent faire des sacrifices, subir les privatisations. L’argent va aux multinationales et non aux services publics. Cela déteint sur toutes les questions : Blair dit « on n’a pas d’argent pour ça », et tout le monde répond « vous avez de l’argent pour la guerre en Irak ». Cela mène à la plus grosse déstabilisation du Labour Party depuis sa création. Cela unit les gens dans leurs attentes pour construire le FSE. Les questions du racisme et de l’islamophobie, de la terreur d’État sur la communauté musulmane sont aussi importantes pour nous et mobilisent énormément de personnes. Nous avons été capables d’unir de manière forte, à travers le mouvement antiguerre, les syndicats, une grande coalition des organisations « noires », des organisations musulmanes et le mouvement antiglobalisation, anticapitaliste.
Quelle est la position des syndicats britanniques sur la Constitution européenne ?
R. Patel - Ils sont divisés sur cette question, mais depuis que Blair a annoncé un référendum, il y a une large proportion de syndicalistes qui appelle à s’opposer à la Constitution. Blair essaye de nous pousser dans le camp des « little englander s » (défenseurs de la « petite Angleterre », nationalistes). En fait, nous sommes pour une réelle unité européenne, par en bas, des travailleurs, des mouvements sociaux et antiguerre. Nous sommes unis par notre opposition à l’agenda néolibéral qui est au cœur de la Constitution européenne. Les peuples d’Europe ne doivent pas être rassurés par le fait que Blair soit favorable à la Constitution : Blair veut infliger au reste de l’Europe ce qu’il a fait en Grande-Bretagne et le garantir dans la Constitution. Il veut une Europe que nous refusons.
Le FSE se déroule quinze jours avant les élections étatsuniennes, un mois après l’énorme manifestation de New York contre Bush, deux mois après la tenue du premier Forum social nord-américain. Quel message délivrera-t-il ?
R. Patel - En Grande-Bretagne, le sentiment de lien avec ce qui s’est passé à New York est fort, il y a conscience que le relais passe de New York à Londres. Nous reprenons l’opposition à Bush. Peu de jours après le FSE de Paris, en novembre dernier, nous avons mobilisé 300 000 personnes à Londres contre la visite de Bush. Ce n’est pas seulement la guerre de Bush qui joue un rôle mobilisateur, mais tout ce que Bush représente en termes de privatisations, de racisme, d’environnement... Il est le visage politique de Lookeed et Boeing, de Mc Donalds et bien sûr de la CIA, du FBI et d’Abu Graib. Nous avons un rôle à jouer car Blair croit que Londres doit rester silencieuse sur la question de l’élection de son ami George Bush. Nous ne le serons pas, nous serons solidaires de tous ceux qui s’opposent à Bush aux États-Unis, mais aussi des victimes de la vision de Bush pour un nouveau siècle américain à travers le monde. On espère que des centaines de milliers de personnes manifesteront ensemble le 17 octobre, et nous voulons que l’Europe entière se mobilise avec nous ce jour-là.
Propos recueillis par Antoine Boulangé
1. De Gillo Pontecorvo.