« La Région wallonne met un système particulièrement généreux à votre disposition », nous dit la brochure de présentation de Solwatt. En effet : prime à l’investissement de 20%, plafonnée à 3500 € ; réduction d’impôt de 40%, plafonnée à 3440 € (astuce : en étalant le paiement sur deux années on en bénéficie deux fois) ; certificats verts garantis pendant 15 ans à 65 € minimum (mais retournables au régulateur, la CWAPE, au prix du marché : actuellement 92 €) [1]. Sans oublier le revenu généré par la vente de l’électricité mise sur le réseau (car le compteur « tourne à l’envers » lorsque l’électricité produite n’est pas consommée sur place), et l’exonération des frais de distribution.
Concrètement ? Pour une installation générant 2550 kWh d’électricité par an – la consommation d’un ménage – [2], l’investissement tournera autour de 17.500 €, TVA comprise. L’heureux propriétaire touchera la prime maximale (3500 €) et bénéficiera deux fois de la réduction d’impôt de 3440 €. En outre, il recevra de la CWAPE dix-sept certificats verts qu’il pourra vendre aux fournisseurs d’électricité (ou remettre au régulateur), contre un revenu variant entre 1105 €/an (prix minimum garanti) et 1564 €/an (prix de marché actuel). Quant à la vente d’électricité au fournisseur, elle fera baisser sa facture de courant de 430€/an environ. L’investissement est amorti en quatre ans. Moins si la commune offre une prime supplémentaire. (Tiens : La Hulpe la huppée est en tête du peloton, avec un bonus de 750 €…)
Pour ceux et celles qui sont propriétaires de leur logement et qui ont 18.000 euros à investir, le jeu en vaut la chandelle. Car, une fois écoulées les quatre années d’amortissement, la vente des certificats verts continuera à rapporter au moins 1105 €/an, pendant 11 ans (plus si le système est prolongé). Les frais de maintenance son extrêmement faibles. Quant à la diminution de la facture d’électricité, elle deviendra de plus en plus avantageuse au fur et à mesure des hausses de prix à venir. On sait par exemple que l’Union européenne, au-delà de 2012, souhaite que la distribution des quotas d’émission de gaz à effet de serre cède la place à une vente aux enchères : à elle seule, vu la libéralisation de l’énergie, cette mesure devrait entraîner une hausse des tarifs de 10 à 15% d’ici 2020…
Le Ministre a raison : Solwatt est bon pour le portefeuille… des bien nantis. En plus, leur maison gagnera en valeur. Mais qui va payer tout cela ? Bonne question. Pour 1500 propriétaires d’une installation de 3000Wc, comme dans l’exemple ci-dessus, les primes et réductions d’impôts grèveraient les budgets publics de 1,5 million d’euros. C’est peu en regard de ce que l’Etat a injecté pour sauver Fortis et Cie. Mais ce n’est pas rien, pour une mesure bénéficiant seulement à un peu plus d’un ménage sur mille. D’autant que les certificats verts (Cv) sont payés par les consommateurs. Les fournisseurs de courant en reportent le prix sur les factures. En dernière instance, c’est vous et moi qui payons l’addition. Astucieux : les locataires et les propriétaires qui n’ont pas 18.000 € à investir dans une installation PV paient leur électricité plus cher pour que les riches arrondissent leur bas de laine.
856 €/tonne de CO2 évitée !
Mais foin de mesquinerie. Voyons l’affaire du point de vue environnemental. En Belgique, le fonctionnement pendant 30 ans d’une installation PV de 3000Wc permet de réduire les émissions de gaz carbonique de 17,7 tonnes (environ 600 kg par an en moyenne). C’est mieux que rien, mais ce n’est pas grand-chose. Une maison wallonne émet en moyenne 5,2 tonnes de CO2/an. Il est parfaitement possible de diviser ce chiffre par deux -et plus- par des mesures simples d’isolation et d’efficience (ampoules économiques). A vos calculettes : en un an, l’isolation de sept maisons moyennes retire plus de CO2 de l’atmosphère que n’en retirera en 30 ans une belle villa équipée de 24 m2 de panneaux PV. Gain de confort et diminution de dépenses pour sept ménages. Conclusion : des panneaux PV, si l’habitation est parfaitement isolée, c’est bien : la maison devient passive, voire positive (elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme). Si cette condition n’est pas remplie, c’est écologiquement irrationnel.
Un fonctionnaire de la Région wallonne, préférant garder l’anonymat, a mis en ligne un document qui vaut le détour [http://www.econologie.com/comparati...]. Il compare l’efficacité environnementale, les aides publiques, et le coût à la tonne de CO2 évitée de trois investissements : isolation d’un pignon aveugle, installation de panneaux solaires thermiques, et installation de panneaux solaires PV. L’auteur prend le cas d’un investissement PV de 8.400 € dans une installation de 1200 Wc fonctionnant pendant 20 ans. Cette dernière hypothèse est discutable, mais cela n’enlève rien aux conclusions générales. La mesure de loin la plus efficace est l’isolation du pignon : elle économise 85 tonnes de CO2 en 40 ans pour un coût de 131 €/tonne de CO2 évitée, alors que les panneaux solaires thermiques et photovoltaïques n’en évitent que 7,8 et 9,8 en 20 ans, pour un coût de 768 €/t et de … 856 €/t, respectivement.
Il n’y a vraiment pas photo : pour sauver le climat, encourageons en priorité l’isolation des maisons ! Eh bien, les aides publiques font exactement l’inverse : elles encouragent les investissements les moins efficaces. Dans l’exemple choisi par notre fonctionnaire anonyme, et néanmoins courageux, le montant des aides par MWh économisé est en effet de 376 € pour le PV, de 175 € pour le solaire thermique et de… 6,55 € à peine pour l’isolation du pignon. Dans un parc immobilier wallon qui est une véritable passoire thermique, les incitants du Ministre Antoine sont comme ses compteurs électriques : ils tournent à l’envers.
On ne fera pas au Gouvernement wallon l’injure d’insinuer qu’il agit à l’aveuglette. En fait, tout dépend du but fixé. A cet égard, la brochure de la Région est explicite : « Solwatt, c’est surtout un système d’aide à l’investissement particulièrement intéressant ». Voilà, tout est dit. Sous prétexte de lutte pour le climat, il s’agit essentiellement de faire des cadeaux aux riches, d’offrir un marché aux PME et de remplir les carnets de commande des fabricants (qui, soit dit en passant, gonflent leurs prix en fonction des primes offertes dans les différents pays). Le reste n’est que littérature… et posture électoraliste.
Le quatrième rapport du GIEC et la feuille de route de Bali sont sans ambiguïté. Si nous voulons avoir une chance de ne pas trop dépasser 2°C de hausse de la température terrestre, et sachant que le Nord est responsable du réchauffement à plus de 75%, les pays développés doivent réduire leurs émissions de 25 à 40% en 2020 et de 80 à 95% en 2050. Ce formidable défi ne peut être relevé qu’en congédiant les impératifs de profit. Par exemple en créant un service public pour isoler tout le parc immobilier, indépendamment de la solvabilité de la demande. Espérons que Solwatt aide chacune et chacun à tirer ce genre de conclusions. Ainsi au moins, ce plan tapageur aura servi à quelque chose.