En France, l’avortement était sanctionné dans le code pénal dès sa rédaction en 1810, et les offensives natalistes ont réussi à renforcer la répression par la loi de 1920 sur la provocation à l’avortement.
L’adoption de la loi sur libéralisation de la contraception en 1967 a ouvert la possibilité de se mobiliser pour la liberté d’avorter.
Ce sont les féministes du Mouvement de libération des femmes (MLF) qui ont été les premières, dès 1970, à exiger le droit des femmes à disposer de leur corps. Elles ont été à l’origine de la parution, le 5 avril 1971, du « Manifeste des 343 salopes », mêlant femmes célèbres et anonymes, qui déclaraient avoir avorté et donc avoir enfreint la loi. Ce fut un événement majeur car il s’agissait d’un stupéfiant défi au pouvoir. Cela reste un grand chapitre de l’histoire de la désobéissance civile.
Cette offensive a permis que les médecins, qui étaient nombreux à ne plus supporter d’accueillir des femmes mourantes et mutilées à la suite d’avortements clandestins, se prononcent publiquement. Le « Manifeste des 343 salopes » a été suivi en février 1973 de celui de 331 médecins déclarant pratiquer des avortements. La plupart des femmes qui se rendaient à l’hôpital après un avortement clandestin y subissaient des traitements indignes, alors que, comme partout et toujours quand l’avortement est illégal, les femmes qui en avaient les moyens pouvaient avorter légalement à l’étranger ou sur place, en payant la discrétion de médecins de cliniques au-dessus de tout soupçon.
La naissance du Mlac
Entre-temps, la mobilisation s’est poursuivie avec le procès à Bobigny d’un avortement clandestin, en octobre 1972, mais elle a explosé avec la constitution du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac) en avril 1973. Le caractère novateur de ce mouvement mixte était à la hauteur de l’enjeu. Le Mlac, auquel participaient des médecins pratiquant les avortements, a été un puissant réseau de militantes et de militants de toutes sortes, pour beaucoup engagées et engagés par ailleurs dans des perspectives de changer radicalement de société, structurés en comités de quartiers et d’entreprises, accueillant et informant les femmes souhaitant avorter, organisant la pratique d’avortements sur place ou les voyages à l’étranger. Tout cela était public. Le Mlac a fait bien plus que de revendiquer : il s’est approprié l’avortement pour le proposer au plus grand nombre de femmes, en bafouant les lois.
Ce sont encore les réseaux militants qui ont permis la diffusion du film Histoire d’A, présentant la méthode d’avortement par aspiration et sa pratique par le Mlac, qui a été interdit fin 1973, et qui sera un des supports de la lutte. La pratique d’avortements par le Mlac s’est développée, avec une volonté croissante de remettre en cause l’autorité de l’État.
Cette pratique collective, profondément subversive, a fait naître plusieurs controverses dans le mouvement : fallait-il laisser les pouvoirs publics organiser l’avortement ? l’avortement devait-il être une pratique strictement médicale ? Mais plus rien ne pouvait arrêter l’histoire des femmes. La mobilisation des opposants à l’avortement était toujours forte, mais elle n’a pas résisté à cette lame de fond.
Pendant ce temps, de multiples propositions de loi de libéralisation de l’avortement ont été déposées. Un premier projet de loi a vu le jour fin 1973, mais il a succombé à son indignité. Il prévoyait que des comités de médecins décident des avortements à la place des femmes, et seulement pour des motifs médicaux ou en cas de viol.
Enfin, en 1974, un projet a été défendu par Simone Veil, ministre de la Santé, contre des opposants déchaînés et des natalistes encore très écoutés. Du point de vue de la mobilisation, cette loi était très en deçà des exigences. D’ailleurs, Simone Veil l’a défendue, et elle a l’honnêteté de le reconnaître encore aujourd’hui, en argumentant qu’un de ses objectifs était de rétablir l’autorité de l’État, si sérieusement bafouée.
Les limites de la loi Veil
On ne peut parler de véritable droit à l’avortement, mais d’une tolérance fermement bornée. La loi limitait le recours à l’avortement à dix semaines de grossesse et aux situations de « détresse », elle était dûment encadrée par un entretien et un « délai de réflexion » obligatoires. Son héritage est lourd, car aujourd’hui encore les représentations des femmes qui avortent sont emprisonnées dans des caricatures : femmes en situation d’échec, qui n’ont pas compris les bienfaits de la contraception, qui sont un peu paumées et qui seront marquées par ce « choix douloureux ». Ces représentations contribuent encore à culpabiliser les femmes.
La loi obligeait les mineures à obtenir une autorisation parentale pour avorter, soumettait l’avortement des femmes étrangères à des conditions de séjour, mettait en place la clause de conscience qui permettait aux médecins de refuser de pratiquer cet acte. Simone Veil s’est opposée lors du débat parlementaire à des amendements prévoyant le remboursement de l’avortement. Elle n’a pas supprimé la pénalisation de la provocation à l’avortement.
La loi a créé le terme d’interruption volontaire de grossesse (IVG), comme pour ne donner à aucun moment l’impression d’envisager un véritable droit à l’avortement, pour cacher ce nouveau pouvoir des femmes derrière un terme médico-juridique bien pudique. Et, pour finir, la loi était temporaire, « à l’essai » jusqu’en 1979.
Pourtant, elle a été un tournant majeur pour les femmes, pour avoir les moyens de revendiquer une autre place dans la vie et dans la société, une véritable autonomie et le droit au plaisir. Les difficultés pour la faire appliquer ont été importantes, et on a encore aujourd’hui l’impression qu’une partie des médecins n’accepte toujours pas que ce soient les femmes qui décident.
La loi a été confirmée en 1979, sous la pression de grandes manifestations. En 1983, le remboursement de l’IVG a été obtenu. Parallèlement aux mobilisations contre les commandos des opposants à l’avortement dans les années 1990, la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac), le Mouvement français pour le planning familial et l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse n’ont cessé d’exiger des modifications de la loi, concernant les délais, les mineures, les femmes étrangères, le caractère obligatoire de l’entretien préalable. Après une série d’aménagements relativement discrets, c’est la loi du 4 juillet 2001 qui a permis de faire des avancées considérables dans la conquête d’un véritable droit à l’avortement.
C’est par leurs luttes, par des mobilisations continuelles, que les femmes ont pu imposer des lois leur donnant droit à disposer de leur corps, et c’est encore ainsi que nous pourrons gagner de nouveaux droits.