Les manifestations du mardi 6 mai ont réuni 5 000 lycéens en région parisienne et à Toulouse, 2 500 à Orléans, 2 000 à Rouen, 1 300 à Aix-en-Provence, 1 200 au Mans, 800 à Lyon, 500 à Tours et Besançon, 300 à Nice, Alençon et Perpignan. L’enjeu est toujours de mettre en échec le projet de déqualification et de précarisation de tous les jeunes. Les 1 1000 suppressions de postes n’arrivent pas seules. Elles s’accompagnent d’un allégement des programmes, d’un financement croissant des écoles privées par l’État, d’une plus grande autonomie pour les lycées (comme pour les facs avec la LRU) et de la présélection à l’entrée de la fac.
L’enseignement à deux vitesses et la déscolarisation sont organisés, à tous les niveaux. Dans les lycées professionnels également : le remplacement du cycle BEP en deux ans et bac pro en deux ans, par un bac pro en trois ans éjectera beaucoup de jeunes sans aucun diplôme, tout en donnant un niveau de qualification moindre à ceux qui passeront le bac pro. Pour le gouvernement, il s’agit de précariser « à la source » les travailleurs de demain.
La mobilisation fait face à plusieurs obstacles, notamment l’arrivée du bac. Mais si celle-ci démobilise une partie des lycéens, la mobilisation continue de prendre de l’ampleur et elle arrive à menacer le bac. Le gouvernement pourrait céder. D’autant que Sarkozy est plutôt affaibli et que la grève des travailleurs sans papiers est très encourageante. Mais cela nécessite une forte confiance en soi des lycéens mobilisés et un soutien des professeurs.
L’Union nationale lycéenne (UNL) et la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl) s’apprêtent déjà à reculer, et il est fondamental que le niveau de structuration propre au mouvement progresse largement. Un maximum d’assemblées générales (AG) dans les lycées (pour discuter du fond et impliquer tous les lycéens), ainsi que des coordinations départementales ou régionales (avec des représentants du plus grand nombre de lycées possible) doivent être organisées.
Pour gagner, le mouvement lycéen doit donc faire tache d’huile : toucher plus de lycées, réunir plus de monde en manifestation… et aussi entraîner d’autres secteurs dans la lutte. Face à un tel gouvernement, il est très difficile pour un secteur isolé de gagner sur ses revendications propres. Il est donc indispensable que les salariés, à commencer par ceux de l’Éducation nationale, rejoignent les lycéens.
La première étape, pour un mouvement interprofessionnel, est la date du 15 mai : des préavis de grève sont déposés dans plusieurs secteurs, notamment par FO. Avec le mouvement lycéen, la grève des sans-papiers, les grèves isolées sur les salaires, la question des retraites, le 15 mai est une opportunité à saisir pour créer la convergence contre Sarkozy et son gouvernement. Il est décisif, pour le mouvement lycéen et pour les autres, que cette journée soit réussie, pour permettre à certains secteurs de partir en grève reconductible. Le printemps s’annonce chaud.
Suzanne Caiblot et Gabriel Lafleur
Les mobilisations en régions : préparer le 15 mai
Mardi 6 mai, les lycéens ont défilé dans plus de 40 villes. Échos du mouvement à Grenoble, Tours et Rouen.
Grenoble. Environ 1 500 jeunes lycéens ont défilé, mardi 6 mai, ce qui est beaucoup moins qu’avant la période des vacances (entre 4 000 et 6 000), mais cela témoigne de l’existence d’un noyau dur, qui inscrit la mobilisation dans la durée. Là encore, on a pu noter une forte participation des lycées professionnels et généraux, avec des cortèges multiples et des slogans combatifs. Certains lycées sont bloqués depuis le début du mouvement, alors que d’autres le sont ponctuellement, notamment lors des journées d’action. Il faut noter aussi la présence de lycéens de Vizille et de Voiron, venus en masse. La manifestation, dont le parcours avait été annoncé, a été bloquée puis, très rapidement, réprimée par les forces de l’ordre, bien avant l’arrivée au rectorat. Plusieurs lycéens ont été arrêtés par la brigade anticriminalité (BAC), et les manifestants ont été pourchassés dans le centre-ville pendant près de deux heures. La volonté de casser la mobilisation avant le rendez-vous du 15 mai était manifeste. L’absence de cortèges d’enseignants et/ou de parents solidaires devient problématique. Le mouvement est à un tournant : soit il arrive à se coordonner et à s’enraciner dans chaque lycée avec une implication plus forte des enseignants dans la perspective d’un mouvement global et reconductible, soit il risque de refluer progressivement. Mais, pour le moment, la détermination des lycéens et des lycéennes reste entière.
Tours. Les lycéens de province ont montré une forte détermination pendant les deux semaines de vacances des Franciliens. À Tours, le mouvement a débuté le 22 avril, principalement à l’appel de l’Union nationale lycéenne (UNL). Entre 500 et 1 000 personnes ont manifesté ce jour-là. Une suite a été donnée, le jeudi 24 avril, avec une mobilisation similaire. Le point fort du mouvement a été le 29 avril, où la manifestation a réuni entre 1 600 personnes selon la police et 3 500 selon les organisateurs, six lycées étant bloqués. Après une faible apparition le 1er mai, les lycéens sont retournés dans la rue le 6 mai, où leur participation ressemblait plus à celle du 22 avril qu’à celle du 29. Néanmoins, il reste un fort potentiel pour que le mouvement s’amplifie. On a pu observer une très forte mobilisation dans les lycées professionnels. Le défi est aujourd’hui d’améliorer l’auto-organisation des lycéens, dont la relative faiblesse peut empêcher l’élargissement du mouvement.
Rouen. La contestation de la réforme imposée à l’Éducation nationale ne tarit pas. Depuis près d’un mois, les lycéens rouennais crient leur mécontentement de voir les postes de profs supprimés pour la rentrée à venir, les BEP supprimés et les options dites « non indispensables » réduites à l’extrême. Le 29 avril, plus de 2 000 lycéens ont battu le pavé. La mobilisation fut considérable à l’approche du 1er mai. Trois lycées – Saint-Saens, Sembat et Val-de-Seine – furent bloqués tôt le matin ; des assemblées générales, empêchant les sanctions, ont élu une coordination lycéenne, qui a regroupé une dizaine de lycées. Quelques profs, essentiellement syndiqués à la CGT-Éducation et à FO, étaient présents, malgré l’absence de relais national. Le mardi 6 mai, la manifestation, appelée par la coordination lycéenne, a rassemblé entre 1 500 et 2 000 personnes. Fait remarquable, 200 lycéens de Barentin (situé à quinze kilomètres de Rouen) sont venus en train, bloquant trois wagons. Très motivés, ils ont repris des slogans rappelant les revendications, loin de l’opposition de pure forme. On note également une présence accrue des enseignants, préparant le rassemblement du jeudi 15 mai, pour lequel plusieurs lycées appellent déjà au blocage. Point noir de ce jour, des violences (jets de pétards et d’œufs), commis par quelques étudiants pour influencer certains lycéens. Dès à présent, la coordination lycéenne appelle enseignants comme enseignés à se mobiliser, le jeudi 15 mai. Tous dans la rue !
Correspondants
ÉDUCATION NATIONALE : L’heure est à la grève
Depuis des semaines, l’Éducation nationale a retrouvé le chemin de la grève et de la rue. La mobilisation, initiée par les enseignants du secondaire très vite rejoints par les lycéens, s’étend depuis le 15 avril au primaire.
Le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, a officialisé ses nouveaux programmes pour l’école primaire et, par la même occasion, il en remet un petit coup sur le « service minimum » dans les écoles les jours de grève.
Après avoir solennellement invité les enseignants à se réunir pour réfléchir sur son projet prétendument non finalisé, alors que circulaient déjà des spécimens de manuels portant la mention « conformes aux nouveaux programmes », le ministre annonce maintenant en grande pompe qu’il a pris acte de l’avis de la profession et revu sa copie.
Il y a bien quelques aménagements, à la marge, notamment sur l’école maternelle. Sa proposition d’en faire une antichambre de l’école primaire, axée sur le calcul, la lecture et non plus un lieu essentiel de socialisation, a fait grincer tellement de dents qu’il a partiellement reculé. Mais le cadre général reste celui décrété par Fillon en 2005, le « socle commun » contre lequel les lycéens, mais aussi des enseignants, s’étaient mis en grève.
Alors que le nombre d’heures va globalement diminuer (par la suppression des samedis matins travaillés pour les élèves), les nouveaux programmes rajoutent des éléments d’apprentissage supplémentaires axés sur l’ouverture culturelle. Le hic, c’est qu’avec la suppression de 11 200 postes, des moyens en berne et la disparition programmée des zones d’éducation prioritaire, l’alourdissement des programmes ne pourra profiter qu’aux élèves déjà à l’aise. Les autres se contenteront du socle commun, puis, au-delà, d’une orientation professionnelle dès la 5e et, pour finir, ils seront les premiers à payer les pots cassés d’une déqualification construite et encouragée par le gouvernement. L’objectif de celui-ci, à moyen terme, est de casser le service public d’éducation nationale et, à long terme, de recadrer l’école dans un rôle de tri social, de répression et d’oppression, tant pour les élèves que pour les personnels.
Au-delà des spécificités propres à chaque degré (de la maternelle à l’université), le gouvernement tente de faire passer à grande vitesse un plan de déréglementation total du service public d’éducation : tri social, sélection, élitisme pour les élèves ; casse des statuts, alourdissement de la charge de travail et remise en cause du droit de grève pour les personnels.
C’est pourquoi, face à cette cohérence dans les attaques, nous devons opposer un refus massif, construire un rapport de force qui fera reculer Darcos. 40 ans après Mai 68, faisons de ce printemps 2008 une saison torride pour le gouvernement. Et partons tous en grève reconductible à partir du 15 mai 2008, jour de grève nationale dans la fonction publique !
Denise Sarraute
PROVOCATEUR. Samedi 3 mai, lors de la clôture du congrès de la très droitière Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP), Darcos a réaffirmé sa volonté d’imposer un service minimum d’accueil dans les écoles du premier degré en cas de grève dans l’Éducation nationale, en prévision notamment de la grève du 15 mai, dont il veut faire un test. Rappelons qu’il s’agit de rémunérer des agents municipaux pour qu’ils gardent les enfants les jours de grève, en ponctionnant les retenues sur salaires des grévistes. Darcos a, par ailleurs, affirmé sa volonté « de restaurer » la place de la famille dans l’école, notamment dans l’élaboration des programmes car « l’avenir de nos enfants est trop important pour l’abandonner aux idéologues et aux pédagogistes ». Les enseignants apprécieront !