Question : Il n’est pas besoin d’être un spécialiste de l’Italie pour constater la victoire marquée de la droite lors de ces élections, même si les sondages à la sortie des urnes, initialement, créaient des illusions…
Lidia Cirillo : Effectivement, la victoire de la coalition de Berlusconi – Parti de la Liberté, Lega Nord et Mouvement pour l’autonomie – est nette. Elle a un avantage de plus de 9% des votes sur le Parti démocrate (PD) de Walter Veltroni (ex-maire de Rome) et de l’Italie dei Valori (de l’ex-juge Di Pietro). Le résultat est sans appel : 46,5% contre 37,7%, selon les résultats disponibles et quasi définitifs ce mardi matin.
Cette victoire est d’autant plus significative et alarmante qu’au sein de cette coalition de droite, la Lega Nord, ce parti raciste, non seulement obtient dans « ses » régions traditionnelles (Veneto-Friuli) des résultats très élevés, dépassant parfois les 25%, mais entre aussi avec force dans le Piémont, la Lombardie, des régions où ladite gauche traditionnelle avait une forte base.
Dans des régions industrielles du Nord, la Lega Nord a capturé des votes ouvriers et a battu en brèche la présence de la Gauche arc-en-ciel (Sinistra Arcobaleno), donc spécialement la présence du Parti de la Refondation communiste (PRC) de Fausto Bertinotti, qui était le président de la Chambre durant le dernier gouvernement de Romano Prodi.
La Sinistra Arcobaleno (Gauche arc-en-ciel) a obtenu 3,2% des votes au Sénat et 3,1% à la Chambre. Lors des dernières élections européennes de 2004, sans avoir dans ses rangs la Gauche démocratique – cette fraction qui s’est détachée du PD – les forces présentes dans cette nouvelle formation avaient réuni quelque 11% des suffrages.
Le résultat présent montre le recul de ces forces – surtout de PRC et du plus réduit Parti Communiste d’Italie (PCDI) – dans des régions ouvrières, dans des régions qui ont été à la fin des années 1969, durant les années 1970 et jusqu’en 1980, des centres de l’activité et des mobilisations ouvrières. Ces régions ont certes connu des transformations sociales, mais le salariat n’y a pas diminué au plan sociologique et ses conditions de vie se sont péjorées.
La Lega Nord, dans ces régions, a effectué une percée qui a permis à Umberto Bossi de dire qu’elle était le « nouveau parti ouvrier ». Cela symbolise la chute verticale de la Sinistra Arcobaleno et des forces qui la composaient, plus spécifiquement, je le répète, PRC. Avec ces résultats, ces forces sont expulsées de la Chambre et du Sénat.
Ce n’est donc pas seulement une victoire de la droite en général, mais aussi de la fraction de cette droite chauvine, « nordiste » et raciste. C’est un fait nouveau important. Y compris la formation fasciste de Storace (La Destra-Fiamma Tricolore) dans diverses villes – entre autres à Rome – obtient des résultats allant de 2,1% au Sénat à 2,4% à la Chambre.
Une première conclusion : le cadre politique d’ensemble est grave, pour ne pas dire pesant et dangereux.
Comment faut-il envisager le résultat de l’opération démocrate-chrétienne de Casini, qui s’est séparé de Berlusconi ?
Lidia Cirillo : En effet, au-delà des résultats du centre droit et du centre- gauche – pour reprendre la terminologie à la mode – il faut prendre en compte les résultats de l’UDC (Union des démocrates-chrétiens et des démocrates du centre) de Fernando Casini. C’est une force qui va aussi compter. Probablement qu’elle ne s’alignera pas simplement sur Berlusconi, mais elle va appuyer diverses mesures renvoyant, entre autres, aux « valeurs » catholiques réactionnaires.
Cela est de même un élément à avoir à l’esprit dans le nouveau paysage dessiné par les élections. Dans les deux chambres, il n’y a que des forces de droite, que ce soit la droite de droite du PDL, avec la vigueur acquise par la Lega Nord, ou que ce soit le PD, avec sa référence à Obama, une sorte de parti démocrate, certes dans un contexte italien.
Ces élections marquent un changement historique : la « gauche », telle que PRC (Parti de la refondation communiste) est hors du parlement. Comment le comprendre ?
Lidia Cirillo : Quant à la Sinistra Arcobaleno, il semble clair que ses jours sont comptés. Le PCDI (Parti communiste d’Italie) de Diliberto a déjà fait ses valises ; les Verts vont suivre. PRC est dans la confusion la plus totale. Ainsi, un de ses porte-parole, Franco Giordano, a insisté, lundi soir à la TV, sur le fait qu’il faut « construire une maison de gauche », avec un « programme correspondant aux besoins de la situation ». C’est un discours langue de bois que vous devez avoir entendu de la part du Parti socialiste, ou de certains de ses secteurs, en France.
Il y a au moins deux éléments qui comptent pour comprendre la défaite de la Sinistra Arcobaleno. Le premier, le PD a gagné les voix de gauche, celles que cherchait la Sinistra Arcobaleno. Le PD n’a pas gagné dans l’électorat de droite, ce qui justifiait pourtant, électoralement, le profil politique adopté par le PD dans cette campagne, un profil le moins conflictuel possible. Donc, le PD a pris des voix à la Gauche arc-en-ciel.
Mais la responsabilité de cette redistribution des voix revient aussi à la Sinistra Arcobaleno. En effet, quand tu cherches à convaincre le « peuple de gauche » – pour reprendre cette formule – que l’unique façon pour combattre la droite et le patronat est d’aller au gouvernement, il est logique que les citoyens et les citoyennes votent pour ceux et celles qui apparaissent comme pouvant y aller, avec le plus de probabilités et avec le plus de « capacités de gouverner ».
Le second a trait à l’abstention de 3% ; soit 1,5 million d’électeurs et d’électrices s’est abstenu. Or, certainement, parmi eux et elles, en proportion, ceux qui avaient, par le passé, voté pour des composantes de la Sinistra Arcobaleno représentent un très grand nombre.
Nous (Sinistra Critica), nous n’avons pas été capables de les atteindre, ce qui est lié non seulement à notre nouveauté (nous existons depuis décembre 2007, au sens propre du terme), mais aussi au scepticisme très fort qui existe dans les rangs de salarié·e·s. Beaucoup ont perdu confiance, après la politique menée durant toute une période, par une force politique se disant « communiste ». Ils ne redonnent pas facilement leur confiance à une organisation émergente. Rien que de normal dans cela, dans le contexte présent marqué par toute une histoire avec les désillusions qu’elles entraînent.
Parmi une couche active et radicalisée de salarié·e·s ou de jeunes existe – et cela est plus que compréhensible – l’idée : « Ils disent ceci ou cela mais, une fois au parlement, ils font tous la même chose ».
Cette attitude s’affirme aussi dans le cadre d’une campagne de certains milieux liés au capital qui tirent contre « la caste politique », afin de créer un cadre institutionnel révisé plus favorable aux contre-réformes. Il est nécessaire de le savoir, même si les deux éléments mentionnés ne doivent pas être confondus, en aucune manière.
Question : Berlusconi a gagné, mais des obstacles ne restent-ils pas sur la voie de la construction d’institutions politico-étatiques plus conformes, pour reprendre le langage du patronat, « à sortir l’Italie du fossé » ?
Lidia Cirillo : Certes Berlusconi apparaît plus Confindustria-compatible que par le passé. Mais il doit faire face à des difficultés au sein du bloc dominant. Le vote pour la Lega, même si cette dernière dispose d’une présence capillaire au Nord, est plus un vote d’opinion qu’un vote qui traduirait – disons, pour faire vite – une organisation ouvrière.
Le degré de désorganisation du « mouvement ouvrier », de la classe ouvrière aux plans syndical et politique est très grand. Dès lors, Berlusconi, en cinq ans – car il dispose d’une majorité claire et nette aux deux chambres (Sénat et Parlement) – peut infliger de nouveaux coups conduisant à un désastre. La CGIL a des membres qui votent Lega, en nombre au Nord. Ce n’est donc pas une résistance ouvrière à un appui de la Lega aux contre-réformes qui pose le problème principal à Berlusconi.
Par contre, les contradictions au sein du bloc dominant restent. Les déclarations de la nouvelle dirigeante de la Confindustria, Emma Marcegaglia, dès lundi soir, manifeste le sentiment d’urgence que ressentent les fractions dominantes du Capital de mettre en œuvre des « réformes profondes ». En même temps, existe le sentiment, chez certains dirigeants de la droite, que des mobilisations sociales peuvent ressurgir. Ils regardent aussi la France. Donc, la stratégie va être concoctée, avec plus de précision, dans les semaines à venir.
En outre, sont présentes : la situation de crise économique sévère ; les réactions populaires possibles ; la prise en compte des intérêts clientélaires, aussi bien de la Lega que de Berlusconi ; cela me pousse à penser que la situation pour une conduite politique conforme aux intérêts des fractions dominantes du Capital, en termes de timing, est encore à tester.
Tu es membre de la Sinistra Critica (Gauche critique), comment juges-tu les résultats de cette organisation en formation, car « toute jeune », puisque vous étiez dans PRC encore en 2007 et avez rompu clairement avec le « parti de Bertinotti » ?
Lidia Cirillo : En tant que Sinistra Critica, nous avons obtenu les résultats suivants : 0,416% au Sénat, avec 136’396 votes ; et 0,459% à la Chambre avec 167’673 votes. Flavia D’Angeli a reçu un bon accueil : par sa jeunesse, son style direct ; avant tout parmi des secteurs jeunes, salarié·e·s et d’étudiants ; ce qui ne veut pas dire que ces personnes ont voté pour Sinistra Critica, car une partie voulait voter « utile » ou s’abstenir. Franco Turigliatto [ex-sénateur, qui a voté contre les propositions de Prodi in fine] a développé une argumentation très politique et pédagogique et a été reconnu par une couche de travailleurs avec lesquels il travaille depuis fort longtemps. Les résultats l’indiquent. Ce qui transparaît dans les premiers résultats : nous recueillons plus de votes là où nous sommes présents et effectuons un travail. C’est un vote qui traduit une activité politique et syndicale, effectuée par des militant·e·s depuis longtemps, parfois.
Le Parti communiste des travailleurs (PCL) de Marco Ferrando [courant trotskyste] a obtenu 0,55% des votes au Sénat, soit 180’454 votes ; et 0,571% à la Chambre, soit 208’394 votes. Ses résultats sont plus « homogènes » sur le territoire, car le PCL et Marco Ferrando étaient plus connus, du moins dans certaines régions. Pour le reste, il est encore trop tôt pour effectuer un bilan.
Ce qui est évident peut être exprimé en une formule : un travail de longue haleine dans les mobilisations sociales diverses est une précondition pour réaffirmer une perspective anticapitaliste et communiste, tout en élaborant une réflexion programmatique et théorique qui prenne en compte les traits de la période historique présente et, aussi, la dynamique politique de la dernière décennie, cela de façon ouverte. C’est à quoi je me suis attelée – comme membre du cercle dirigeant de Sinistra Critica – dans diverses contributions sur les thèmes du féminisme, du « léninisme aujourd’hui », de la crise du politique.