De notre correspondante à Islamabad,
La police et les paramilitaires ont été déployés hier à Karachi, alors que la grande ville portuaire, capitale économique du Pakistan, retrouvait le calme après une journée de violence. Une manifestation d’avocats, affiliés au MQM, petit parti pro-Musharraf qui contrôle la ville, a dégénéré lors d’affrontement avec d’autres groupes rivaux. Peu après, des bandes armées ont parcouru la ville, brûlant une cinquantaine de véhicules et tirant des coups de feu. Une dizaine de personnes ont perdu la vie dont cinq avocats. Les émeutiers n’ont pas été identifiés, mais certains journalistes de Karachi incriminent les gangs du MQM. Le président Pervez Musharraf, en partance hier pour la Chine, a déclaré : « J’appelle les avocats à ne pas propager l’anarchie. Nous devrions tous adopter un comportement civilisé. »
Ces émeutes surviennent alors qu’un autre incident a eu lieu cette semaine à Lahore, la capitale de la province du Penjab : un ex-ministre de Musharraf a été passé tabac par une foule, dont des avocats, qui l’ont frappé à coup-de-poing et de chaussures et traîné dans la rue.
Le mouvement des avocats, créé il y a un an pour s’opposer aux tentatives de Musharraf d’asservir la justice, traverse donc une crise sans précédent. Mais l’un de ses leaders, Aitzaz Ahsan, dénonçait hier « un complot du Président » pour diviser les avocats. Athar Minallah, autre soutien de la cause des avocats, affirme que « cette violence à Karachi a été orchestrée par des forces pro-Musharraf, afin de décrédibiliser notre mouvement. Quant aux incidents de Lahore, ce ne sont pas nos collègues qui ont fait cela. Notre mouvement a toujours été pacifique. En un an d’existence, nous avons été battus, arrêtés, détenus par les policiers de Musharraf ». La tension monte alors que le nouveau gouvernement de coalition a promis, dans une déclaration solennelle, de remettre en place tous les juges écartés par Musharraf.
Purge. Peu après avoir imposé l’état d’urgence dans le pays, en novembre, le Président avait en effet profité de ses pouvoirs spéciaux pour purger la Cour suprême. Et en particulier Iftikhar Chaudhry, le premier juge, qui menaçait d’invalider sa réélection. Les membres du barreau avaient alors organisé de nombreuses journées de protestation, défiant Musharraf et sa police prompte à réprimer violemment toute opposition. Chaudhry et une demi-douzaine d’autres juges se sont retrouvés en résidence surveillée. Mi-février, les législatives ont toutefois montré l’impopularité absolue de Musharraf.
Après cette gifle électorale, le nouveau Premier ministre Youssouf Raza Gilani, à peine intronisé, a immédiatement fait libérer Iftikhar Chaudhry. Le juge, son épouse et ses enfants, dont un garçon handicapé de 8 ans, ont retrouvé leur liberté après cet épisode désastreux pour l’image du Président. Chaudhry est considéré dans le pays comme un héros, symbole de l’oppression du régime militaire. Mais pour Musharraf, le juge n’est qu’un « rebut de l’humanité, un homme médiocre, corrompu ». Libéré, il redevient une menace. Il semble à présent que des discussions se livrent en coulisse entre le Président et le Parti du peuple pakistanais (PPP, au pouvoir) pour réinstaller tous les juges sauf Chaudhry. Le PPP n’a jamais soutenu fermement les juges écartés, et n’a récemment pris leur parti que du bout des lèvres.
« Ouvrir les yeux ». Selon Athar Minallah, « tout le monde sait quelles énormes pressions les Américains font subir au nouveau gouvernement pour sauver Musharraf. Les Occidentaux ne réalisent pas qu’ils sont en train de mettre en danger leurs intérêts en soutenant un homme isolé et dérangé. Bush doit ouvrir les yeux, les Pakistanais veulent la démocratie et la justice. Nous refuserons que le président de la Cour suprême ne soit pas rétabli dans ses fonctions.Quelle est sa faute ? Dites-le moi ? » Concernant la déclaration de Musharraf, qui accuse les avocats de créer l’anarchie, Minallah réplique : « Qui est responsable de l’anarchie dans les zones tribales, dans les provinces en proie à la guérilla ? C’est Musharraf lui-même qui sème l’anarchie. »