Envoyée spéciale au Panjab,
L’imposante demeure à colonnades rappelle la Maison Blanche de Washington. Au cœur de leur fief du Gujrat, dans la province du Pendjab, la maison familiale des Chaudry a fière allure. Les Chaudry sont les « hommes forts » de Musharraf, les piliers de son parti, la Ligue musulmane du Pakistan-Q - « Q » pour Qaid-e-Azam, le fondateur du Pakistan. Cette dynastie, issue d’un père simple policier, a servi sous plusieurs dictateurs militaires, et possède à présent des dizaines d’usines de textile, sucre et farine dans la région.
Chez les Chaudry, la politique est affaire de famille, ou plutôt de clan. On compte ainsi dans la même fratrie un ancien Premier ministre de Musharraf et leader de son parti, un député de l’Assemblée nationale et le maire de la ville de Gujrat. Quand au cousin, Pervez Elahi, il était jusqu’à l’an dernier Premier ministre du Pendjab, province riche et peuplée qui fournit la majorité des sièges au Parlement. C’est ici que va se jouer le résultat des législatives qui se tiennent aujourd’hui au Pakistan.
Seigneurs. Cette année, une vingtaine de membres du clan se présente. Devant la demeure des Chaudry, d’importants contingents de policiers ont été déployés. Une démonstration de force, alors qu’une grande réunion avec les agents électoraux de la famille s’achève. Des convois de Land Cruiser rutilants chargés de drapeaux verts, l’étendard de la Ligue-Q, filent à vive allure sur les petites routes de campagne. Les seigneurs de la région tentent de s’accrocher à un pouvoir qui vacille.
La popularité du président Musharraf et de son parti n’a cessé de chuter. « Si les élections étaient vraiment libres, la Ligue-Q serait laminée, assure un journaliste de Lahore. Ils n’ont aucun soutien sur le terrain. » Ces derniers mois ont été désastreux pour le régime : censure de la presse et purge du système judiciaire n’ont fait qu’accroître la contestation. Les attentats-suicides ensanglantent le pays, qui subit de plein fouet la hausse du prix de la farine et une pénurie d’électricité. Sans compter l’assassinat, encore non élucidé, de Benazir Bhutto. Le « parti du roi » est désormais tenu responsable de tous les maux du pays. Et c’est le Parti du peuple pakistanais (PPP) de feu Benazir qui devrait rafler la majorité des voix, suivi peut-être par la Ligue de Nawaz Sharif, ancien Premier ministre.
Mais Wajahat, l’un des frères Chaudry, tente de faire bonne figure : « Mon cousin Pervez Elahi sera Premier ministre. Les sondages ne sont pas crédibles. Musharraf a un bon bilan, il a donné une image très positive du Pakistan à l’étranger. Et nous n’avons pas peur du PPP, parce que son leader, Zardari [le veuf de Benazir, ndlr], n’est pas un Bhutto. Un vrai Bhutto aurait été plus difficile à battre. »
« Milices ». L’homme assure que les élections vont être transparentes. Mais à quelques kilomètres de là, dans le quartier général du PPP, l’ambiance est électrique. Ahmad Mukhtar, riche industriel et ancien ministre de Benazir, est sur le qui-vive. Il défie Chaudry Shujaat Hussein, poids lourd de la Ligue-Q. « Les Chaudry ont avec eux la police, les ressources du gouvernement, ils se servent dans les fonds publics, assure Mukhtar. Le cerveau de la campagne des Chaudry, selon Mukhtar, « c’est Wajahat, ou plutôt le « commandant » comme on l’appelle ici. Il a créé une milice, les Wajahat Forces, des jeunes criminels armés qui vont terroriser les villageois. Du coup, nous aussi avons demandé à nos volontaires de porter des armes, pour rassurer les gens ». Wajahat assure lui que ses « forces » sont en fait une « organisation caritative pour aider les pauvres ». Sur les terres du Gujrat, la bataille électorale est rude.