De notre correspondante à Islamabad,
Un Nawaz Sharif patricien, le crâne regarni, haranguant le peuple et posant avec les avocats en révolte : c’est le clip de campagne du parti de l’ancien Premier ministre, qui fait figure d’opposant numéro 1 au régime du président Musharraf depuis l’assassinat de Benazir Bhutto, le 27 décembre. Lundi, à l’occasion des élections législatives au Pakistan, Sharif entend bien prendre sa revanche.
De retour au pays depuis novembre 2007, après sept années d’exil, le président de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) savoure son come-back. Chef d’un gouvernement qui avait inauguré la « première bombe nucléaire islamique », Sharif avait été évincé du pouvoir par le chef de l’armée, le général Pervez Musharraf, lors d’un coup d’Etat en 1999. Le Premier ministre a alors été condamné à perpétuité pour « corruption, terrorisme et détournement d’avion »… Il avait en effet tenté d’empêcher l’avion de Pervez Musharraf d’atterrir le jour du putsch. La peine de prison a finalement été remplacée par un exil confortable chez ses protecteurs en Arabie Saoudite.
« Estocade ». Aujourd’hui, Nawaz Sharif fait feu de tout bois contre le chef de l’Etat. Le général Musharraf profite de l’état d’urgence pour purger la cour suprême des magistrats indociles ? Il appelle aussitôt au boycott des élections, réclamant la réintégration des juges insoumis. Mais le Parti du peuple pakistanais (PPP) de feue Benazir Bhutto snobe l’idée du boycott. « Cela aurait pourtant été l’estocade finale pour Musharraf, dit-il à Libération. Il fallait l’unanimité pour que cela marche. Malheureusement certains partis n’étaient pas d’accord… »
Nawaz Sharif s’est lancé dans la campagne en brandissant l’étendard de la justice indépendante. Aux affaires, il était pourtant entré en guerre ouverte contre le président de la Cour suprême de l’époque, qui entendait contrer ses dérives autoritaires. Le juge fut finalement destitué.
L’un de ses adversaires politiques rappelle aussi que le Premier ministre voulait devenir « commandeur des croyants ». Nawaz Sharif tenta en effet d’imposer la charia comme loi suprême du Pakistan, afin de séduire les partis islamistes. Votée par le Parlement, la loi avait été bloquée de justesse au Sénat. A-t-il toujours l’intention d’établir la loi coranique dans le pays ? Il esquive la question, visiblement ennuyé.
Au Pakistan, on ne se rappelle de lui que pour ses crédits à taux faible pour les chauffeurs de taxi, ainsi que pour la construction de l’autoroute entre son fief de Lahore et la capitale Islamabad. Politicien de centre droit, Nawaz Sharif est issu de la bourgeoisie industrielle du Penjab. C’est dans cette province, la plus peuplée du Pakistan, que le scrutin se jouera.
A l’échelle nationale, la Ligue musulmane de Sharif espère arriver en deuxième position, tandis que l’on donne le PPP grand gagnant.
L’enjeu pour le président Musharraf est simple : une opposition soudée et majoritaire pourrait le forcer à quitter le pouvoir. Caressant cette idée, Nawaz Sharif se dit prêt à « travailler avec le PPP » au sein d’une alliance. « Nous essayons d’accorder nos vues », explique-t-il. Car, contrairement à la Ligue, le Parti du peuple pakistanais ne réclame pas la réintégration des juges indépendants qui pourraient faire annuler un décret présidentiel, blanchissant nombre de politiciens impliqués dans des affaires de corruption, notamment des leaders du PPP. Et si ce parti se jette dans les bras de Pervez Musharraf ? « Alors nous siégerons dans l’opposition », assure Nawaz Sharif.
« Terroriste ». Pas de compromis possible avec l’ancien général : « Mon programme est différent du sien, et je refuserai de cautionner toutes ses actions de président illégitime, insiste-t-il. C’est le pire service à rendre au Pakistan. » Sharif dénonce aussi à cor et à cri, par avance, le trucage des élections. « Ma propre candidature a été rejetée, pour démoraliser mon parti, déclare-t-il. Nous avons également appris que 1,8 million de bulletins de vote avaient déjà été remplis frauduleusement par des fonctionnaires. La Commission électorale reste sourde et muette à nos plaintes. Musharraf a besoin de manipuler les élections pour sauver sa peau. Mais il n’y arrivera pas. »
Pour enrayer la violence qui frappe le pays, la recette de Nawaz Sharif est des plus simple : « L’élection de véritables représentants du peuple ». Il poursuit : « Pervez Musharraf est lui-même un terroriste. En 1999, il a mis en prison un Premier ministre [lui-même, ndlr], puis il a terrorisé le Parlement, les juges, les avocats, les médias. George W. Bush parle de démocratie, mais il devrait peut-être arrêter de soutenir cet individu. »