Pourquoi les scientifiques sont-ils si divisés ?
Que la communauté scientifique soit divisée n’est pas propre aux OGM. Pour lever les controverses, en général, on fait des expériences. Mais avec les OGM, on est dans une situation de carence d’évaluation. Quand on parle d’un maïs pesticide, qui produit un insecticide, la moindre des choses serait qu’il soit évalué comme un pesticide. Or ces plants sont sans doute mieux évalués que les autres plantes, mais ils sont évalués bien en deçà des pesticides. On ne dit pas que les études prouvent que cet OGM est toxique, on dit qu’elles sont suffisamment inquiétantes pour au moins demander à ce que des tests soient refaits par un laboratoire indépendant.
Vous doutez de cette indépendance ?
Les études sont faites par des laboratoires choisis par la firme semencière, au prétexte du secret industriel. Et chaque fois qu’on a voulu avoir accès aux données brutes, ça a été au prix de batailles juridiques et administratives monstrueuses.
Une pétition lancée par des chercheurs contre le moratoire sur le maïs OGM a reçu plus de 1 000 soutiens…
Ces chercheurs se réfugient derrière la prétendue neutralité de la science pour donner plus de poids à leurs arguments. Le principal problème, ce n’est pas tant les lobbys financier ou semencier, c’est le lobby scientiste. Ils restent persuadés que la science va répondre à tout.
Que pensez-vous de la polémique qui a suivi la suspension du maïs Mon 810 ?
Pour la première fois, on avait à côté des scientifiques un collège économique et social. Et pour la première fois, un comité d’experts a pris en considération un certain nombre d’études de ces dernières années qui jusqu’ici avaient été ignorées ou négligées, et qui mettent en évidence que le pollen ne s’arrête pas à 50 mètres, comme le nuage de Tchernobyl. Le collège scientifique a conclu à des « interrogations ». Ensuite, que le sénateur UMP qui présidait cette autorité, Jean-François Le Grand, se permette une interprétation personnelle, c’est normal. Ce n’est pas au scientifique de décider, mais au politique.
Les OGM permettraient d’utiliser moins de pesticides…
On nous ment en nous faisant croire que les OGM sont la solution aux pesticides. Effectivement, l’agriculteur n’a plus à pulvériser l’insecticide, mais ce pesticide est toujours dans l’environnement puisque le maïs le fabrique en permanence.
Ont-ils vraiment un impact sur la santé ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Au regard des données brutes que l’on a pu obtenir à partir de tests sur des animaux, on voit des perturbations des paramètres hépatiques et rénaux. On dit donc : « Soyons prudents, prenons le temps. » Le problème, c’est que le temps de l’évaluation scientifique n’est pas compatible avec l’urgence du brevet et des profits.
La France ne menace-t-elle pas sa recherche en se coupant des OGM ?
De quelle recherche parle-t-on ? On fait beaucoup d’amalgames avec les OGM. Ça fait trente ans qu’on s’en sert en recherche, je suis utilisateur de cette technologie. C’est un outil utilisé de manière routinière dans les laboratoires, c’est un peu la clé à molette du biologiste moléculaire. Dire qu’on prend du retard en recherche n’est pas vrai. Concernant le domaine agricole, ce n’est pas dans la recherche qu’on va prendre du retard, mais dans les applications dans les champs et dans les assiettes. Mais est-ce qu’on peut vraiment parler d’un retard ? Est-ce qu’on doit absolument concurrencer les Etats-Unis sur tout et n’importe quoi ? On pourrait au contraire jouer la carte de la biosécurité.
Mais sans débouchés, comment la recherche sera-t-elle financée ?
C’est tout le problème de la politique de recherche depuis vingt ans, qui met la recherche appliquée en amont de la recherche fondamentale. C’est catastrophique. Si on faisait de la recherche tous azimuts en utilisant les OGM comme un outil parmi d’autres, et qu’on trouve des applications socialement utiles, on serait dans une démarche scientifique saine. Aujourd’hui, on fait des OGM pour faire des OGM. Et pour que ça se vende, on nous invente une utilité sociale.
Mais les OGM ne sont-ils pas une solution aux crises alimentaires mondiales ?
Le problème de la faim dans le monde n’est pas scientifique et technologique mais politique. Sinon, il faudrait qu’on m’explique pourquoi, alors qu’on produit deux fois plus que les besoins, il y a des gens qui meurent de faim. On veut nous faire croire qu’on va résoudre la faim dans le monde avec des OGM dont le seul but pour les firmes semencières est de mettre des brevets sur des plantes et d’avoir la mainmise sur l’alimentation mondiale.
Qu’attendre alors du débat sur le projet de loi ?
La discussion c’est toujours bon à prendre. Mais il faut qu’elle prenne en compte les conclusions du Grenelle, notamment sur les questions de responsabilité, de transparence. Dans son discours, Nicolas Sarkozy a pour la première fois - on peut lui rendre ça - désigné les OGM agricoles par leur nom : des « plantes pesticides ». Mais on ne trouve pas une seule fois ce terme dans le projet de loi. J’ai peur que ce soit à nouveau du vernis sur des ongles sales, qui va permettre en fait d’autoriser la contamination par les OGM.