De notre correspondante à Islamabad,
Le lendemain de l’attentat, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, le brigadier à la retraite Javed Iqbal Cheema, avait annoncé lors d’une conférence de presse que Benazir Bhutto était décédée à cause d’un choc à la tête.
Vidéos amateurs. Quittant un meeting à Rawalpindi, la ville voisine de la capitale, Islamabad, l’ex-Premier ministre pakistanaise s’était levée dans sa voiture pour saluer ses partisans, le buste dépassant du toit du véhicule, lorsqu’un kamikaze a déclenché une bombe tuant une trentaine de personnes. Selon Cheema, la tête de Benazir Bhutto aurait heurté le toit de la voiture à cause du souffle, alors qu’elle tentait de se rasseoir dans le véhicule. Officiellement, elle serait décédée d’un traumatisme crânien. Or des vidéos amateurs qui ont été diffusées ces derniers jours montrent clairement un homme portant des lunettes noires dégainer une arme et tirer sur la politicienne quelques secondes avant l’explosion.
Par ailleurs, le Washington Post a révélé que les médecins qui ont tenté de réanimer Benazir Bhutto, transportée en catastrophe à l’hôpital de Rawalpindi, auraient subi des pressions pour taire la vérité sur la nature de ses blessures. Selon le journal, un médecin interviewé, visiblement ému, aurait déclaré que « le gouvernement [leur] a demandé de ne pas parler. Et beaucoup d’entre [eux] pensent que c’est une honte ». Le dossier médical de la patiente a été emporté par des officiels juste après son décès. Aucune autopsie n’a été pratiquée sur le cadavre, le mari de Benazir Bhutto, Asif Zardari, ayant refusé. « C’est pourtant une obligation légale, que la famille le veuille ou non. Et l’autopsie aurait dû être conduite dans une affaire aussi importante », indique un journaliste spécialisé dans les affaires criminelles. Curieusement, le voile que portait Benazir Bhutto a aussi disparu : il s’agissait pourtant d’un élément essentiel de l’enquête, qui aurait pu déterminer si oui ou non une balle avait traversé le corps. Enfin, le lieu de l’attentat a été nettoyé à grande eau par des employés municipaux peu après l’explosion, effaçant toute trace utile à l’enquête.
Les Pakistanais s’interrogent désormais sur la raison qui a poussé le gouvernement à donner dans un premier temps une version erronée des faits. « Les autorités sont responsables de la mort de Benazir, parce qu’elles ne lui ont pas fourni une sécurité appropriée alors que tout le monde savait qu’elle était menacée, estime un analyste politique de Karachi. Le fait qu’un tueur armé ait pu s’approcher si près de son véhicule et dégainer ainsi son arme à quelques mètres est très embarrassant. » Autre fait étrange : le chef de la sécurité de Benazir Bhutto, Rehman Malik, avait quitté le lieu du meeting dans un autre véhicule, sans attendre la leader du Parti du peuple pakistanais (PPP), dont il était censé assurer la protection.
Enquête internationale. Avant-hier, Javed Iqbal Cheema a assuré qu’il n’y avait aucune volonté du gouvernement de cacher la vérité et que ses déclarations de vendredi correspondaient aux premiers éléments connus de l’enquête. Il a réaffirmé que la piste officielle du gouvernement restait « Al-Qaeda » : ce serait le commandant taliban Beatullah Mehsud, installé dans la zone tribale montagneuse du Waziristan, qui aurait commandité l’attentat. Une conversation téléphonique de Beatullah Mehsud « félicitant ses hommes » aurait été interceptée, preuve irréfutable selon Cheema. Mais le chef taliban a démenti être impliqué. Il avait déjà été accusé de la première attaque contre Benazir Bhutto, le 18 octobre à Karachi, mais avait également nié toute responsabilité.
Une équipe de Scotland Yard devrait se rendre prochainement sur place, alors que le gouvernement avait tout d’abord refusé toute enquête internationale. Celle-ci est réclamée haut et fort par le PPP. Il s’agira d’une « petite équipe d’officiers de la section antiterroriste de la police métropolitaine », qui partira au Pakistan « dès que possible ».