Ce qu’il y a de bien avec Brice Lalonde, c’est qu’il a depuis toujours un petit vélo dans la tête : « Quand j’étais petit, j’admirais Bahamontes, le vainqueur du Tour de France en 1959. Mes parents ne voulaient pas que j’aie un vélo, ils avaient peur que je me fasse tuer sur les routes. Plus tard, je me suis payé un vrai vélo, un Peugeot, que j’ai toujours. » A 61 ans, il roule encore à bicyclette, moyen de locomotion non émetteur de gaz à effet de serre, qui lui donne « ce plaisir de glisser dans l’air, de sentir son corps, d’être centaure ».
Le nouvel ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique se déplace pourtant beaucoup en avion. Le voilà revenu dans l’actualité, après un grand trou noir. Cela commence par un coup de fil de Jean-Louis Borloo, cet été : « Tu veux prendre un programme dans le Grenelle de l’environnement ? » Lalonde décline mais glisse au ministre du développement durable qu’il accepterait volontiers un poste à l’international. Son vieux complice de Génération écologie ne traîne pas pour le rappeler : « Viens prendre l’apéro, j’ai un truc pour toi. »
Le « truc », c’est un poste diplomatique de haut niveau, créé tout exprès pour lui. Il existe bien, depuis la gauche plurielle, un poste d’ambassadeur de l’environnement. C’est un ami d’Alain Juppé, Patrick Stéfanini, qui l’occupe. Lalonde, malgré un parcours que ses fidèles reconnaissent comme « chaotique », a de meilleurs atouts. Anglais parfait, à tu et à toi avec tous les ministres de l’environnement et les ONG, aussi à l’aise sur les dossiers techniques que dans les cocktails mondains : le bon profil.
Nommé en conseil des ministres le 26 septembre, il part le lendemain pour Washington à la conférence sur le climat organisée par George Bush - en ce moment, il représente la France à Bali, à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique. Le président des Etats-Unis aurait pu être son cousin, mais cela ne s’est pas fait. Il en reste une ligne en tête de sa biographie officielle : « Cousin de M. John Kerry, sénateur démocrate du Massachusetts. »
Fils de bonne famille - père chef d’entreprise dans le textile, mère née Forbes -, le jeune Olivier, Brice, Achille, est un garçon assez seul. Ses parents sont séparés. Il vit à Paris, chez son père, qui lui donne le goût de l’art - « je jouais dans les ateliers de ses amis peintres, Masson, Giacometti, Calder », va les week-ends et l’été chez sa mère. Elle est autoritaire, championne de France d’équitation, excentrique, passionnée de nature. Lalonde ne s’étend pas sur cette enfance divisée. « On survit, ça va. » Sa mère, lectrice enthousiaste de L’Afrique noire est mal partie, de René Dumont (1962), lui transmet aussi le virus de la réussite : « Il y a une espèce de challenge familial du côté Forbes, explique Michelle Barrière, son ancienne compagne, aujourd’hui présidente de Slow-Food France. Dans chaque génération, il faut que quelqu’un réussisse. Mais en même temps, Brice avait le désir de vivre à la campagne, de dessiner. » Le personnage est dans cette ambivalence : la recherche des podiums, mais dans un détachement qui confine au dilettantisme.
Noël Mamère, député Vert, n’a aucune indulgence pour ce parcours qui, politiquement, va du PSU à Démocratie libérale. « Il a suivi une lente descente aux enfers, une dérive totalement droitière. Il a renoncé à changer la société. » Mais si Lalonde a tant déçu le mouvement écologiste, il n’en a pas moins été, à l’origine, son flamboyant porte-drapeau. « Lalonde a été un des premiers à donner des couleurs à l’écologie, dit le journaliste Marc Kravetz, un compagnon de Mai 68. Aujourd’hui, tout cela semble évident. Mais à l’époque, ça n’était ni évident ni à la mode. » En 1968, Lalonde préside à la Sorbonne le syndicat phare des étudiants, l’UNEF, auquel il adhère depuis 1963. Vient le mois de mai et l’occupation : « On essayait d’organiser les choses, d’amener la bouffe, de nettoyer, d’évacuer les dingues, de refuser les mercenaires. » Ce qu’il a appris de Mai 68 ? « La responsabilité, et le pouvoir, l’ivresse du pouvoir. »
En 1969, l’homme marche sur la Lune. Pour Brice Lalonde, c’est la révélation : « Je trouve ma cause : la planète. L’expédition de Christophe Colomb ouvrait les temps modernes. Celle d’Apollo XI montre que la terre est toute petite, fragile. » Peu après, Georges Pompidou lance le projet de voie express à Paris - « En plus, il voulait y interdire la bicyclette ! » Lalonde va voir Alain Hervé, directeur du journal Le Sauvage et fondateur des Amis de la Terre en France. Les deux hommes se plaisent et font équipe. Lalonde organise bientôt une manifestation à vélo, le 22 avril 1972 sur les berges parisiennes. Dix mille personnes, c’est un succès, l’écologie est lancée en France.
Devenu président des Amis de la Terre, il fait campagne contre les essais nucléaires, puis suscite et organise la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974. La mort de son père fait de lui un homme riche. C’est un chéri des médias, des filles, des militants. « Il était élégant, avait de l’autorité verbale, des convictions, se souvient le Vert Yves Cochet. Mais il vivait la politique comme une mise en scène de sa vie personnelle. »
Il se présente à l’élection présidentielle de 1981 (3,87 %), mais n’appelle pas à voter François Mitterrand au second tour. Il s’efface, alors que, dans la foulée de la création du parti Vert en Allemagne, les écologistes français créent un parti, ce qu’il réprouve. Première disparition. « J’étais animé par l’idée qu’il fallait que l’écologie organise le monde autour d’elle. C’était une idée prétentieuse. C’était trop tôt » C’est dans l’indifférence générale qu’il tient, fin 1987, une conférence de presse sur l’effet de serre. Michel Rocard, lui, ne l’a pas oublié, qui l’appelle au gouvernement. Il y restera de 1988 à 1992, après avoir remporté quelques batailles décisives, comme celle du pot catalytique imposé aux constructeurs automobiles.
Vient la création de Génération écologie (GE), en 1990, qui démarre en fanfare. Mais Lalonde se révèle autocrate, s’entoure mal, se laissant piéger par des aigrefins ou des proches du Front national. GE périclite, il se retire progressivement, tout en glissant au centre, puis à droite. « On a besoin d’une écologie libérale, se justifie-t-il. On ne peut pas réussir si on n’a pas une alliance avec les entreprises. Il fallait aussi créer une écologie de droite. L’écologie de gauche, c’était fait. » Lalonde n’intéresse plus.
Il disparaît des médias, de la politique. Travaille à l’OCDE, où il pilote, en 2007, un bon rapport sur les agrocarburants. Jusqu’au coup de fil de cet été. Le voilà ambassadeur. Un rôle de haute technicité, où il sera utile, c’est sûr. Mais en dessous de ses rêves.
PARCOURS
1946 Naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
1968 Président de l’UNEF Sorbonne.
1972 Manifestation à vélo à Paris contre la voie express.
1981 Candidat à l’élection présidentielle.
1988 Secrétaire d’Etat chargé de l’environnement.
2007 Ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique.