Le passé colonial ne cesse de resurgir, faisant obstacle à des relations apaisées entre la France et les pays qu’elle a autrefois colonisés. Dans ce passé, l’Algérie a une place particulière, en raison des drames qui s’y sont déroulés. Aujourd’hui encore, trop souvent, l’évocation de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) est soumise à la concurrence des victimes, avec leurs souffrances et leurs mémoires, alors que l’ensemble des citoyennes et citoyens des deux rives de la Méditerranée aspirent à passer à autre chose. Mais, pour construire un avenir de partage, il faut, au présent, voir en face le passé.
L’histoire apprend, au premier chef, que le système colonial, en contradiction avec les principes affichés par la République française, a entraîné des massacres de centaines de milliers d’Algériens ; et qu’il les a dépossédés, « clochardisés » - pour reprendre le terme de Germaine Tillion - à une grande échelle, exclus de la citoyenneté, soumis au Code de l’indigénat, et sous-éduqués, au déni des lois en vigueur. Mais, aussi, qu’il y eut de multiples souffrances de Français, parfois déportés en Algérie pour raisons politiques, ou embrigadés dans les guerres coloniales, ou encore pris dans un système dont ils sont devenus, à son effondrement, les victimes expiatoires - comme l’ont été les harkis, enrôlés dans un guêpier qu’ils ne maîtrisaient pas -, sans compter ceux qui ont soutenu l’indépendance algérienne et qui en ont payé le prix.
Quelles qu’aient été les responsabilités de la société, c’est bien la puissance publique française qui, de la Restauration en 1830 à la Ve République en 1962, a conduit les politiques coloniales à l’origine de ces drames. Sans omettre la complexité des phénomènes historiques considérés, c’est bien la France qui a envahi l’Algérie en 1830, puis l’a occupée et dominée, et non l’inverse : c’est bien le principe des conquêtes et des dominations coloniales qui est en cause.
En même temps, nous sommes attentifs aux pièges des nationalismes et autres communautarismes qui instrumentalisent ce passé. Ainsi qu’aux pièges d’une histoire officielle qui utilise les mémoires meurtries à des fins de pouvoir, figeant pour l’éternité la France en puissance coloniale et l’Algérie en pays colonisé. Et c’est précisément pour les déjouer - comme pour déjouer les multiples formes de retour du refoulé - que nous voulons que la souffrance de toutes les victimes soit reconnue, et qu’on se tourne enfin vers l’avenir. Cela ne peut être accompli par des entreprises mémorielles unilatérales privilégiant une catégorie de victimes, mais par un travail historique rigoureux, conçu notamment en partenariat franco-algérien.
Plus fondamentalement, dépasser le contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de « repentance ». Et des « excuses officielles » seraient dérisoires. Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie. Une reconnaissance nécessaire pour faire advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et, au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son ancien empire colonial.
Paris-Alger, le 24 novembre 2007.
(*) Autres signataires (25 novembre 2007) :
Hocine Aït-Ahmed (président du FFS, Algérie), Zineb Ali-Benali (professeur de lettres), Henri Alleg (ancien journaliste Alger républicain), Elisabeth Allès (anthropologue), Hélène d’Almeida-Topor (historienne), JosetteAudin, Allassane Ba (juriste), Sidi Mohamed Barkat (philosophe), Hamida Bensadia (responsable associative), Fethi Benslama (psychanalyste), Fatima Besnaci-Lancou (éditrice), Sophie Bessis (historienne, journaliste), Marie-Claude Blanc-Chaléard (historienne), Pierre Boilley (historien), Simone de Bollardière, Mourad Bourboune (écrivain), Khedidja Bourcart (maire adjointe de Paris), Rony Brauman (médecin), Pierre Brocheux (historien), Alice Cherki (psychanalyste), Catherine Choquet (universitaire), Jean-Pierre Chrétien (historien), Catherine Coquery-Vidrovitch (historienne), Jocelyne Dakhlia (historienne), Kalidou Diallo (historien), Habiba Djahnine (cinéaste), Nicole Dreyfus (avocate), Jean-Pierre Dubois (juriste, président de la LDH), Driss El Yazami (journaliste, secrétaire général de la FIDH), Nabile Farès (psychanalyste), Yvan Gastaut (historien), Jean-François Gavoury (président de l’Association des victimes de l’OAS), Bachir Hadjadj (écrivain), Mimouna Hadjam (présidente d’association), Sadek Hadjeres (responsable politique), Gisèle Halimi ( avocate), Ghazi Hidouci (économiste), Badié Hima (philosophe), Dominique Juhé-Beaulaton (historienne), Nadia Kaci (actrice), Feriel Lalami (politologue), Roland Leroy (membre honoraire du Parlement), Alban Liechti (association Cause anticoloniale), Lotfi Madani (sociologue), Alain Mahé (anthropologue), Arezki Metref (écrivain, journaliste), Nadir Moknèche (cinéaste), François Nadiras (site LDH-Toulon.net), Jean-Philippe Ould Aoudia (président de l’association des Amis de Max Marchand, Feraoun et leurs compagnons), Tramor Quemeneur (historien), Hassan Remaoun (historien), Noureddine Saadi (juriste, écrivain), Ouarda Siari-Tengour (historienne), Wassyla Tamzali (avocate, écrivain), Michel Tubiana (avocat, président d’honneur de la LDH), Michèle Villanueva (historienne).
Pour vous joindre à cet appel consultez le site : à ldh-toulon.org