Nouveau coup dur pour la presse indépendante. Après la décision de faire juger Ibrahim Issa, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al-Dostour, accusé de propager de fausses rumeurs sur la santé du président de la République, un tribunal du Caire a condamné, cette semaine en première instance, les rédacteurs en chef de quatre journaux à un an de prison pour avoir « insulté le président Hosni Moubarak et son parti ». Il s’agit de Abdel-Halim Qandil, Adel Hammouda, Ibrahim Issa et Waël Al-Ibrachi, rédacteurs en chef respectifs des journaux Al-Karama, Al-Fagr, Al-Dostour et Sawt Al-Oumma.
Les quatre journalistes, qui dirigent une nouvelle génération de journaux au franc-parler qui repoussent les limites imposées à la presse d’Etat, devront verser une amende de 20 000 L.E., ainsi que 10 000 livres de caution pour éviter la prison pendant le processus d’appel, a précisé une source judiciaire.
La cour, saisie par un avocat membre du parti au pouvoir accusant les quatre journaux de diffamation à l’égard des dirigeants du Parti National Démocrate (PND), a confirmé les faits, estimant que les journalistes en question « ont nui sans fondement à la réputation des dirigeants du parti », dont Gamal Moubarak, fils cadet du président, et ont présenté le parti au pouvoir comme dictatorial. « Les accusés n’ont pas réussi à prouver la véracité de ce qu’ils ont publié et n’ont présenté aucune preuve (de leurs affirmations) dans leur défense », a estimé le juge.
Si le tribunal du Caire n’a pas retenu l’accusation d’offense au président Hosni Moubarak, il a, en revanche, estimé qu’ils avaient nui à l’intérêt général en publiant de mauvaise foi de fausses informations dans des articles, en 2006. Leur peine n’est pas exécutoire. Les journalistes ont l’intention de faire appel, a indiqué un de leurs avocats, Ibrahim Abdel-Rassoul.
La presse indépendante mène depuis quelques mois une campagne virulente contre le pouvoir pour dénoncer « l’intention du régime d’établir une transmission héréditaire du pouvoir ». La condamnation des quatre journalistes soulève des réactions diverses dans les milieux de la presse. « Ma première réaction a été la surprise. La peine est très dure », a souligné Adel Hammouda, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al-Fagr. « Le juge a fait l’éloge du président, de son fils et du parti au pouvoir à la lecture de la condamnation. C’était sans précédent ».
Son coaccusé, Abdel-Halim Qandil, appelle pour sa part le Syndicat des journalistes à arrêter sa décision. « Ou bien préserver les libertés qu’on a gagnées grâce à une poignée de journalistes qui ont osé défier les lois liberticides, ou bien retrouver les cages en fer », résume-t-il. Et d’ajouter : « Le syndicat nous a déjà trompés une fois en nous annonçant que la peine d’emprisonnement des journalistes avait été supprimée du code pénal amendé l’année dernière ».
« C’est de l’irrespect à l’égard de la promesse présidentielle d’annuler la peine de prison pour les crimes de publication », renchérit Abdallah Al-Sennawi, rédacteur en chef du journal d’opposition Al-Arabi. « C’est un affrontement entre l’Etat et la presse dont le premier sortira perdant. Le régime perdra sa réputation, la confiance de la population et la liberté de la presse qu’il considère comme sa plus chère réalisation », lance-t-il encore. Al-Sennawi dénonce une campagne d’intimidation contre la presse indépendante au moment où l’Etat s’apprête à mettre en œuvre « le scénario de la transmission héréditaire du pouvoir ».
Le président Moubarak est intervenu par le biais d’une interview accordée cette semaine à l’hebdomadaire Al-Osboue, où il a affirmé « sa foi inébranlable en la liberté de la presse ». « Je veux rassurer tous les journalistes et écrivains que cette liberté ne régressera jamais. Nous ne retournerons jamais à l’ère des confiscations et de la répression », a dit le président avant de faire la distinction entre les « critiques objectives qui visent le bien de la société et les critiques destructives (...) qui constituent une exploitation abusive de cette liberté ». « Il y a des lois qui doivent être appliquées contre ceux qui s’écartent du code déontologique », a encore ajouté le président.
En 2004, Moubarak avait promis un amendement du code pénal de sorte à supprimer la peine de prison pour les journalistes. Or, la nouvelle loi sortie en 2006 comprend de nombreux articles prévoyant cette peine, notamment en cas d’humiliation du président de la République, ou de diffusion de rumeurs portant atteinte à l’intérêt public. Des clauses qui restent une épée sur le cou de la presse.
De son côté, le syndicat a estimé que les condamnations de jeudi, intervenant dans « une campagne effrénée d’intimidation contre la presse, constituaient une déclaration de guerre contre la liberté de presse ». Il exige, dans un communiqué, l’abrogation de toutes les lois égyptiennes permettant de telles condamnations. « Après le recul du mouvement Kéfaya et de la société civile en général, et après les récents coups assénés aux Frères musulmans, le gouvernement s’est tourné contre la presse, désormais la seule entité susceptible de défier le régime », affirme Mohamad Abdel-Qoddous, responsable du comité des libertés au syndicat. « Nous travaillons sur deux voies : d’une part, pour montrer le danger de la violation de la liberté de la presse, et d’autre part, pour manifester notre solidarité avec les journalistes en question », ajoute-t-il.
Le syndicat a déjà organisé, dimanche, une réunion des rédacteurs en chef des journaux officiels et privés. Ceux-ci ont menacé de suspendre la parution de leurs journaux en signe de protestation. Jeudi, une manifestation de soutien populaire est également prévue au siège du syndicat.