Un char israélien près de la barrière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, le 21 janvier 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)
La décision américaine de ne pas opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza ( pour la première fois depuis le début de la guerre, les États-Unis permettaient l’adoption d’une telle résolution) a provoqué une onde de choc en Israël. L’annulation par Benjamin Netanyahou d’une réunion prévue entre Israël et l’administration Biden à Washington n’a fait qu’accroître l’impression qu’Israël avait été laissé dans l’isolement sur la scène internationale et que M. Netanyahou mettait en péril l’atout le plus important dont dispose le pays, son alliance avec les États-Unis.
Pourtant, bien que la gestion de ces questions sensibles par M. Netanyahou ait fait l’objet de nombreuses critiques, même ses opposants - tant dans le camp « libéral » que dans celui de la droite modérée - ont été unanimes dans leur condamnation du vote de l’ONU. Yair Lapid, chef du parti d’opposition Yesh Atid, a déclaré que la résolution était « dangereuse, injuste et qu’Israël ne l’accepterait pas ». Le ministre Hili Tropper, proche allié de Benny Gantz, le rival de Netanyahou - qui, selon les sondages, l’emporterait largement si des élections avaient lieu aujourd’hui - a déclaré : « La guerre ne doit pas s’arrêter ». Ces commentaires ne diffèrent guère des réactions de colère de leaders d’extrême droite tels que Bezalel Smotrich ou Itamar Ben Gvir.
Ce rejet quasi unanime d’un cessez-le-feu reflète le soutien de tous les partis à un assaut contre la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, même si M. Netanyahou ne soutient pas que l’opération permettra d’obtenir la « victoire totale » tant attendue qu’il a promise.
L’opposition à un cessez-le-feu peut sembler étrange au premier abord. De nombreux Israéliens estiment que M. Netanyahou poursuit la guerre pour servir ses intérêts politiques et personnels. Les familles des otages israéliens, par exemple, se montrent de plus en plus critiques à l’égard de la lenteur de Netanyahou et multiplient les appels en faveur d’un « règlement immédiat ».
Même au sein des cercles qui régissent la sécurité israélienne, de plus en plus de personnes disent ouvertement que « l’élimination du Hamas » n’est pas un objectif réalisable. « Dire qu’un jour il y aura une victoire complète à Gaza est un mensonge total », a récemment déclaré Ronen Manelis, ancien porte-parole des forces de défense israéliennes. « Israël ne peut pas éliminer complètement le Hamas dans le cadre d’une opération qui ne dure que quelques mois ».
Alors, si l’opinion selon laquelle Netanyahou poursuit la guerre dans son intérêt personnel est de plus en plus répandue, si l’inutilité de la poursuite de la guerre est de plus en plus évidente, tant en ce qui concerne le démantèlement du Hamas que la libération des otages, s’il devient évident que la poursuite de la guerre risque de nuire aux relations avec les États-Unis, comment expliquer le consensus en Israël autour du « danger » que représenterait un cessez-le-feu ?
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, des députés et des ministres assistent à un vote sur le budget de l’État dans la salle d’assemblée de la Knesset, à Jérusalem, le 13 mars 2024. (Yonatan Sindel/Flash90)
Questions fondamentales
L’une des explications est le traumatisme causé par le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas. De nombreux Israéliens se disent que, tant que le Hamas existe et bénéficie d’un soutien populaire, il n’y a pas d’alternative à la guerre. Une deuxième explication tient au talent rhétorique indéniable de Netanyahou qui, malgré sa faiblesse politique, a réussi à faire passer le slogan de la « victoire totale » même auprès de ceux qui ne croient pas un mot de ce qu’il dit, et de ceux qui comprennent, consciemment ou inconsciemment, que cette victoire n’est pas possible.
Mais il y a une autre explication. Jusqu’au 6 octobre, le consensus au sein du grand public juif israélien était de considérer que la « question palestinienne » ne devait pas trop les préoccuper. Le 7 octobre a brisé ce mythe. La « question palestinienne » est revenue à l’ordre du jour, dans toute sa violence sanglante.
Il y avait deux réponses possibles à la destruction de ce statu quo : un arrangement politique reconnaissant réellement la présence d’un autre peuple sur cette terre et son droit à une vie de dignité et de liberté, ou une guerre à outrance contre l’ennemi de l’autre côté du mur. Le grand public juif, qui n’a jamais vraiment pris en compte la première option, a choisi la seconde.
Dans cette optique, l’idée même d’un cessez-le-feu semble menaçante. Elle obligerait la population juive à reconnaître que les objectifs présentés par Netanyahou et l’armée - « renverser le Hamas » et libérer les otages par la contrainte militaire - sont tout simplement irréalistes. L’opinion publique devrait reconnaître ce qui pourrait être perçu comme un échec, voire une défaite, face au Hamas. Après le traumatisme et l’humiliation du 7 octobre, il est difficile pour un grand nombre de gens d’avaler une telle défaite.
Mais il existe une menace plus profonde. Un cessez-le-feu pourrait obliger le monde juif à se confronter à des questions plus fondamentales. Si le statu quo ne fonctionne pas, et qu’une guerre permanente avec les Palestiniens ne permet pas d’obtenir la victoire souhaitée, alors ce qui reste, c’est la vérité : le seul moyen pour les Juifs de vivre en sécurité est de parvenir à un compromis politique qui respecte les droits des Palestiniens.
Le rejet total du cessez-le-feu et sa présentation comme une menace pour Israël montrent que nous sommes loin de reconnaître cette vérité. Mais curieusement, nous en sommes peut-être plus proches que les gens ne le pensent. En 1992, lorsque les Israéliens ont dû choisir entre une rupture avec les États-Unis - en raison du refus du Premier ministre de l’époque, Yitzhak Shamir, d’accepter les grandes lignes présentées par les Américains pour les pourparlers avec les Palestiniens - et un rapprochement, ils ont opté pour la seconde option. Yitzhak Rabin a été élu premier ministre et, un an plus tard, les accords d’Oslo ont été signés.
La rupture actuelle avec l’administration américaine convaincra-t-elle les Israéliens d’abandonner l’idée d’une guerre perpétuelle et d’accepter de donner une chance à un accord politique avec les Palestiniens ? C’est très incertain. Mais ce qui est certain, c’est qu’Israël s’approche rapidement d’un carrefour où il devra choisir : un cessez-le-feu et la possibilité d’un dialogue avec les Palestiniens, ou une guerre sans fin et un isolement international tel qu’il n’en a jamais connu. Car l’option d’un retour en arrière, au statu quo du 6 octobre, est évidemment impossible.
Meron Rapoport