Le porte-parole des FDI a affirmé que leurs noms figuraient sur des listes de membres des organisations militantes du Jihad islamique palestinien et du Hamas, respectivement, que les troupes israéliennes avaient trouvées dans la bande de Gaza. Il a joint un scan d’un document censé contenir le nom de Dahdouh. Aucun document de ce type n’a été joint pour Thuraya.
Cette réponse, que j’ai attendue environ deux jours et demi après avoir envoyé mes questions, a été publiée en même temps qu’une annonce générale similaire du porte-parole de Tsahal, citée par les médias israéliens. D’autres questions que j’ai envoyées au service de communication des FDI, concernant le massacre de Palestiniens dans cette guerre, ont reçu des réponses générales et évasives. Il convient donc de se demander pourquoi nous avons « mérité » une réponse détaillée dans le premier cas ayant trait aux deux journalistes.
Le dimanche 7 janvier, à l’aube, un bâtiment du village de Nasr, au nord de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, a été bombardé. Des personnes déplacées de plusieurs régions de la bande de Gaza, toutes membres de la famille Abu al-Naja, avaient séjourné dans le bâtiment. Le bâtiment est appelé « chalet », bien qu’il soit construit en béton.
C’est le nom donné à des centaines de petits bâtiments similaires qui ont vu le jour ces dernières années dans des zones moins peuplées de la bande de Gaza. Ils étaient utilisés par les familles qui voulaient s’éloigner de la congestion de la ville et des camps de réfugiés, pour se détendre pendant quelques heures à 20 kilomètres de chez elles, plus près de la mer ou des zones agricoles du sud-est de l’enclave sous blocus. Aujourd’hui, des milliers de personnes déplacées vivent dans ces sortes de camps. A ce propos, les plus âgés appellent toujours la zone de Nasr « Moraj », la prononciation locale de Morag, soit une colonie israélienne qui a été évacuée en 2005 [sous les ordres d’Ariel Sharon].
Sur la page Facebook de la famille Abu al-Naja [qui s’étend jusqu’en Jordanie], un avis de décès pour 15 martyrs a été publié – Hajj Saleh Abu al-Naja, sa femme, sept de leurs enfants et quelques petits-enfants – et des informations sur la veillée funèbre célébrée dans le diwan – soit ici le lieu de référence familial – de la famille élargie qui réside dans le quartier d’Al Jundi à Zarqa, une ville de Jordanie.
Lorsque les photographes et les journalistes sont arrivés dans le village de Nasr avant midi, les derniers corps étaient encore en train d’être dégagés. Des voisins les ont transportés dans des couvertures jusqu’à l’ambulance. Mustafa Abu Thuraya a fait décoller un drone caméra. Vers 11 heures, un drone d’attaque israélien a tiré un missile sur le groupe de journalistes. Il a explosé près d’eux et n’a blessé « que » deux d’entre eux. L’ensemble des journalistes ont supposé qu’il s’agissait d’un missile d’avertissement (comme dans la tactique israélienne du « coup sur le toit » – traduction littérale de la formule en hébreu), qui leur demandait de s’éloigner.
L’un d’entre eux a déclaré à la chaîne britannique Channel 4 que le drone n’avait pas réussi à filmer plus de quatre minutes. Les blessés ont été embarqués dans l’ambulance, ainsi que les corps. L’ambulance s’est dirigée à toute vitesse vers Rafah. Une Skoda noire avec trois journalistes et un chauffeur la suivait. Soudain, dans la rue Omar Ibn al-Khattab à Rafah, un deuxième missile tiré par un drone a touché la voiture. Le conducteur, Qusai Salem, a été tué, ainsi que Mustafa Abu Thuraya et Amza Wael Dahdouh. Le troisième journaliste présent dans la voiture a été grièvement blessé.
Le reportage de Channel 4 a présenté la déclaration des FDI, en anglais, datée du 7 janvier, affirmant qu’un terroriste opérant un drone, qui représentait une menace pour les soldats, avait été pris pour cible. Je n’ai trouvé aucun message de ce type dans le journal de guerre en hébreu du service de communication des FDI. Je n’ai pas non plus trouvé de déclaration faisant référence au bombardement de la maison de la famille Abu al-Naja et à sa justification.
Cette fois, l’assassinat des deux journalistes a brisé le plafond de l’indifférence israélienne : Dahdouh était le fils aîné de Wael Dahdouh, le reporter de longue date d’Al Jazeera. En octobre, une bombe israélienne avait tué la femme, la fille, le fils et le petit-fils de Wael Dahdouh. La semaine dernière, les médias palestiniens, arabes et internationaux ont parlé de sa tragédie personnelle et du fait qu’il a repris ses émissions immédiatement après les funérailles. C’est pourquoi j’ai également demandé au service communication des FDI de commenter la conclusion tirée par de nombreux journalistes selon laquelle les FDI se vengent de Wael Dahdouh en tuant sa famille.
Un communiqué de cette unité des FDI a déclaré mercredi 10 janvier qu’avant d’être touchés, Dahdouh et Thuraya avaient utilisé des drones qui mettaient en danger « nos forces ». A moi personnellement, le porte-parole des FDI a répondu que les affirmations selon lesquelles ces dernières avaient attaqué une cible par vengeance étaient totalement dénuées de fondement.
J’ai également posé une question sur le bombardement de la maison de la famille Abu al-Naja. Le porte-parole des FDI a donné la même réponse qu’à d’autres occasions lorsque j’ai posé des questions sur l’assassinat de plusieurs membres de la famille à l’intérieur de leur maison [2] : « Nous n’avons pas connaissance d’une attaque contre une maison dans le quartier de Nasr telle que décrite dans la demande. Les événements seront examinés au fur et à mesure de la réception de détails supplémentaires. »
Je suppose que l’annonce de l’assassinat des deux journalistes et la divulgation des raisons présumées de leur assassinat sont si détaillées en raison de l’émoi qu’elles ont suscité dans les médias. Mais il y a une autre raison. Les prétendus « dommages collatéraux » de cet incident sont mineurs : « seulement » le conducteur. Dans la routine de cette guerre – le bombardement de maisons avec tous leurs occupants à l’intérieur – les FDI préfèrent maintenir l’ambiguïté qui cachera l’ampleur des « dommages collatéraux » que ses juristes lui autorisent, et dissimuler l’identité de la cible.
Le Syndicat des journalistes palestiniens a mis en doute la véracité des affirmations israéliennes selon lesquelles Dahdouh et Thuraya étaient respectivement membres du Jihad islamique palestinien et du Hamas. Mais en émettant ces doutes, on accepte l’argument israélien selon lequel il est justifié de tuer tout Palestinien qui n’est pas armé et qui n’est pas impliqué dans une tuerie, mais qui est lié à des organisations militantes palestiniennes. En vertu de cet illogisme, un jour pourrait venir où les Palestiniens pourraient justifier, devant un tribunal international, l’assassinat d’observateurs des FDI sur le terrain et de soldats travaillant au service de communication des FDI ou à la radio de l’armée.
Amira Hass