« J’avais prévu d’écrire sur la vie quotidienne pendant la trêve », m’a écrit mon ami Bassam Nasser vendredi matin [1er décembre] depuis la bande de Gaza. « Les obstacles liés à l’approvisionnement en eau, les prières pour qu’il ne pleuve pas ou que le temps ne soit pas nuageux afin que les panneaux solaires continuent à produire de l’électricité pour recharger les téléphones, la recherche de tout type de nourriture… voilà le genre de conversations avec les gens. S’y ajoutent l’odeur flottant dans les écoles-abris, les kilomètres de queue pour remplir une bouteille de gaz de cuisine et d’autres nombreux efforts quotidiens. Or, ce vendredi je me suis réveillé au son des tirs d’artillerie et des bombardements. »
J’ai rencontré Bassam Nasser il y a 32 ans, alors qu’il étudiait la sociologie et le travail social à l’université al-Najah de Naplouse (avant qu’Israël n’interdise aux étudiants de la bande de Gaza d’étudier en Cisjordanie). Il a obtenu une maîtrise en histoire du Moyen-Orient à l’université de Tel-Aviv. Ayant travaillé la plupart du temps dans des organisations d’aide et de prévention des conflits, il a également suivi un cours sur les droits de l’homme aux Etats-Unis.
En raison des bombardements des premiers jours de la guerre, lui et sa famille ont quitté la ville de Gaza pour Deir al-Balah, puis Rafah. « C’est l’endroit le plus proche de l’enfer », m’a-t-il écrit en hébreu. La plupart de ses messages sont en anglais, et voilà ce qu’il a écrit lorsque les bombardements ont repris : « Les espoirs d’une trêve prolongée étaient grands, certains étant optimistes quant à un cessez-le-feu à plus long terme. A ce propos, la recommandation majeure venait de personnalités influentes souvent qualifiées de “maîtres de l’univers” [gouvernement états-unien entre autres [1] ]. Ils ont exhorté Israël à faire preuve de retenue au fur et à mesure que ses opérations militaires progressaient dans le sud de la bande de Gaza. »
« Ce sont ces entités [2] qui ont ordonné aux habitants de Gaza de se déplacer vers ce qu’elles ont qualifié de zones sûres dans le sud. Elles ont également plaidé en faveur d’une augmentation de la distribution de l’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza… Malgré un bilan quotidien dépassant les 370 civils innocents, pour la plupart des enfants, elles persistent à qualifier ces actions de “légitime défense”. »
Bassam Nasser continue : « La seule différence entre aujourd’hui et il y a 55 jours réside dans la nature de l’autorisation accordée. Au départ, il s’agissait d’une autorisation sans restriction pour des actions telles que le meurtre, le massacre, la destruction, l’invasion et le siège de 2,3 millions de personnes. L’autorisation actuelle permet essentiellement la poursuite de ces actions dans le but de les achever avant Noël. Le message a été reçu et l’exécution a commencé. Au moins 30 personnes ont été massacrées en moins de quatre heures. [Samedi midi, le nombre de Palestiniens tués s’élevait à 270, selon le ministère de la Santé contrôlé par le Hamas – Amira Hass]. Les hypocrites en question semblent vouloir célébrer [Noël] sans être dérangés par les images d’enfants palestiniens tués. »
Le 27 novembre, toujours pendant la trêve temporaire, Bassam avait écrit : « En me promenant dans les rues de Rafah, j’évite le contact visuel avec les autres, une multitude d’individus – adultes et enfants confondus – qui, comme moi, ne connaissent pas la ville et cherchent de la nourriture ou des couvertures pour dormir. De nombreuses personnes marmonnent et leurs intentions ne sont pas claires. Elles ne semblent ni prier, ni psalmodier un hymne, ni même chanter. Le désir d’arrêter chaque personne et de s’enquérir de ses besoins est fort, mais le plus dur consiste à croiser leur regard. Elles semblent découragées, perdues et tristes, à la recherche de quelque chose, demandant silencieusement de l’aide sans regard qui s’adresse à quelqu’un. Je m’interroge sur la façon dont ils me perçoivent. Mon visage et mes yeux transmettent-ils de l’optimisme ou de l’espoir ? Je me rends compte que j’émets peut-être un sentiment similaire de découragement, de désespoir et de tristesse. Je voudrais avoir le courage de les arrêter tous et de m’excuser d’être impuissant. M’excuser d’avoir cru en un monde et une communauté internationale aussi injustes. »
Le 7 novembre, Bassam avait écrit, s’adressant à des amis ayant une formation en psychologie et en psychiatrie : « Je vous demande de bien vouloir vous abstenir d’essayer de diagnostiquer ma situation. Je ne suis ni post-traumatisé ni tout à fait “normal”. Ne me regardez pas avec pitié ou sympathie, car je ne suis pas malade et je n’ai pas besoin d’aide. Je ne suis pas un toxicomane ni un agresseur, et je n’ai pas besoin de traitement ni de médicaments. J’ai été élevé à peu près de la même manière que vous, et mes enfants ont été élevés de la même manière que les vôtres. La seule différence est que je suis né sur la même terre que Jésus-Christ… Notre principal problème est notre aspiration à la liberté et à l’autodétermination… Nous refusons de vivre en captivité, que ce soit dans des espaces clos ou dans des prisons à ciel ouvert… Nous ne tolérerons pas l’humiliation. Nous ne tendrons pas l’autre joue à ceux qui nous oppriment et nous ne donnerons pas notre manteau à ceux qui nous volent notre chemise. »
Le même jour, il a également écrit avec nostalgie sur la ville de Gaza, « qui n’est peut-être pas la ville la plus confortable ou la plus sophistiquée, mais qui possède un charme captivant qui rivalise avec des endroits plus privilégiés. Gaza se caractérise par la générosité, la magnanimité et la fierté de ses habitants… C’est une ville située au bord de la mer et qui reste inébranlable face aux tempêtes. »
Et le 2 novembre, il a écrit : « En tant que personne née en Palestine et ayant vécu toute ma vie sous l’occupation, j’ai le droit de me demander pourquoi ma famille, mes amis, mes proches et mes voisins sont tués… Si notre destin est scellé et que nous sommes voués au martyre indépendamment de nos actions ou de nos paroles, et si nos tombes ont déjà été ouvertes et nos linceuls préparés, cela ne nous dérange pas d’endurer la soif et la faim. La communauté internationale peut poursuivre les livraisons d’aide prévues à Gaza. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de bulldozers pour creuser et nous enterrer profondément dans notre terre. J’ai cependant une requête personnelle à vous adresser. Si vous le pouvez, veillez à ce que les corps de mes enfants soient recouverts. »
Amira Hass