Les mouvements étudiants restent la cible du régime théocratique, un an après la mort de la jeune femme qui a déclenché de nombreuses manifestations violemment réprimées. Face aux pressions systématiques, leur volonté est intacte, témoigne l’historien Jonathan Piron.
Lors de sa rencontre avec le « peuple » de la province du Baloutchistan – en fait, principalement des agents du régime –, en ce début de septembre, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a déclaré que les questions liées aux « minorités ethniques et religieuses ainsi qu’aux femmes » étaient taboues et que quiconque y travaillait était « l’ennemi du peuple », affirmant que les Etats-Unis utilisaient ces questions pour nuire à « la sécurité et l’unité nationales ».
Un an après la mort de Mahsa Amini, cette déclaration résume le positionnement du régime face aux mobilisations qui ont touché l’Iran depuis septembre 2022 : aucune nouvelle contestation ne sera tolérée.
Le pouvoir iranien est désormais dans une logique de répression à l’égard de toute source potentielle d’opposition ou de contestation. Outre les personnes ayant participé aux manifestations, sont aussi ciblés les journalistes, les artistes ou les travailleurs ayant soutenu le mouvement Femme, vie, liberté. Parmi les victimes, les milieux étudiants et enseignants figurent en première ligne.
Depuis l’avènement de la République islamique, les universités iraniennes ont souvent été des espaces de luttes contre l’autoritarisme du régime. En retour, le régime n’a guère hésité à les réprimer brutalement comme durant la terrible répression de 1999 où ses forces ont pourchassé les étudiants jusque dans les dortoirs.
Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les étudiantes et les étudiants qui sont ciblés, le corps enseignant est lui aussi dans la tourmente. Au cours de l’année écoulée, le Conseil de l’union des étudiants iraniens a ainsi déclaré que des centaines d’étudiants avaient été confrontés à des commissions disciplinaires dans leurs universités à la suite des manifestations.
Durant la même période, au moins 110 professeurs d’université ont été licenciés ou temporairement suspendus.
D’un autre côté, les mesures vexatoires envers les femmes fréquentant les lieux d’enseignements se multiplient. A l’Université Ferdowsi de Machhad, les autorités académiques ont imposé en août la séparation entre hommes et femmes dans les classes et les laboratoires, en interdisant l’utilisation de la messagerie instantanée Telegram.
Un rideau de fer numérique
Mieux, le régime engage d’importants moyens dans la mise en place d’un Internet national qui couperait le pays, et donc la recherche, de l’accès au Web mondial. Prévu pour le printemps 2024, ce rideau de fer numérique donnerait au régime des pouvoirs de contrôle et de surveillance encore plus importants contre les milieux universitaires.
Ces différents éléments s’ajoutent à une vie étudiante déjà marquée par des contraintes récurrentes, renforcées par le refus des autorités universitaires de coopérer avec les représentants des étudiants. Par exemple, de très nombreux dortoirs ne sont plus entretenus…
Le coût de la vie devient prohibitif et nombre d’élèves sont obligés de trouver un travail après leurs cours pour tenter de subvenir à leurs besoins, d’autres finissent par être dissuadés de continuer à suivre leur cursus.
« L’université est notre maison »
Malgré ces pressions, de nombreux étudiantes et étudiants s’impliquent pour dénoncer les injustices face à la répression en cours.
A l’instar du message publié début septembre sur Telegram par des cercles militants de l’université Tarbiat Modares de Téhéran : « Nous sommes aux côtés des étudiants et professeurs qui ont subi la pression des institutions de sécurité de l’université au cours de la dernière année, et nous résisterons à la répression. L’université est le centre de la liberté. L’université est notre maison et nous en prenons soin. Nous resterons dans cette maison et vous pouvez être sûrs que nous ne la laisserons pas entre vos mains. Nous savons bien que nous voyons fleurir cette joie, cette grande célébration du jour de l’indépendance. »
Il est difficile de prédire l’avenir des contestations actuelles en Iran. Mais différents espaces de mobilisations politiques sont aujourd’hui en cours de constitution.
Les espaces universitaires en restent un foyer important. Comme le souligne la militante féministe Azadeh Shabani dans un texte publié en ligne pour le collectif de gauche Pecritique le 4 septembre : « Au milieu des ténèbres, il y a ceux qui ne laissent pas les braises de l’espoir s’éteindre par les rafales de lâcheté. Ce sont eux qui résistent aux ombres intruses, comme des sentinelles par une nuit sans lune. Ils ne se retranchent pas derrière les murs de leur confort, mais entrent dans la bataille avec la détermination des guerriers. »