
La force d’un simple dessin
Un simple dessin comme celui de Carine Lai sur la couverture de l’ouvrage ci-dessus suffit à résumer toute une période de l’histoire hongkongaise. On y voit à droite le 27e gouverneur de Hong Kong, David Wilson (1987-1992), accueillir en grand costume colonial traditionnel Deng Xiaoping, débonnaire, et Margaret Thatcher, hautaine et pincée, négociant le retour à la Chine de la colonie britannique de Hong Kong. Au centre, le dernier gouverneur de Hong Kong, Chris Patten ( 1992-1997) en simple costume de ville, qui tenta de démocratiser un peu trop tardivement le système colonial, décontracté mais menacé cependant avec un gourdin tenu par son ennemi juré, le directeur des affaires de Hong Kong et Macao du gouvernement de Pékin, Lu Ping, qui le traita de « plus grand pécheur de 1000 ans ». Aux côtés de Chris Patten, son chef de l’administration en nœud papillon, Donald Tsang, et à droite le premier chef de l’exécutif hongkongais après la rétrocession, l’armateur et homme d’affaires Tung Chee-hwa (1997-2005), entraîné vers la mer par sa ministre de la Sécurité nationale, Mme Regina Ip, dont la tentative de mettre en pratique l’article 23 antisécession et subversion provoquera une manifestation monstre de 500 000 Hongkongais craignant pour leur liberté le 1er juillet 2003. Tout est dit dans ce simple dessin.
Les caricaturistes dans la politique hongkongaise
Cet ouvrage bilingue anglais-chinois intitulé en anglais The Rise of Hong Kong Politics, the view through political cartoons (1984-2005) est partagé en plusieurs parties couvrant l’époque de 1984 à 2005. Il reproduit les œuvres des principaux dessinateurs travaillant dans la presse hongkongaise et résidant à Hong Kong, qu’ils soient d’origine chinoise ou étrangère.
L’ouvrage se lit comme une histoire de la société et de la politique hongkongaises. Sur ces dessins apparaissent aussi les hommes politiques de Hong Kong et de la Chine populaire ainsi que les leaders internationaux intervenant dans cette politique.
On y rencontre les œuvres des plus grands dessinateurs de cette époque, comme ceux de la presse anglophone, Paul Best, Gavin Coates, Templar et son Basher. Larry Feign et sa fameuse bande dessinée, The World of Lily Wong, Harry Harrisson, qui fête ce mois juste ses vingt ans de dessins au South China morning Post en publiant un ouvrage de 150 dessins, Add ink : Cartoon chronicles of life in hongkong, qui couvre les récentes manifestations étudiantes, l’arrivée du Covid et de la Loi sur la sécurité nationale. Il s’inspire pour ses personnages autant de scènes de rue, avec de vieilles femmes qui récupèrent les vieux cartons, que de deux compères qui commentent la vie sociale et politique sous une cage à oiseaux, alors que le gouvernement chinois de Pékin est représenté par de gros pandas. Son œil apporte chaque matin une dose d’humour à une actualité plutôt sombre en ce moment de répression politique.
La presse chinoise hongkongaise est tout aussi riche avec de grands dessinateurs chinois très connus comme Malone, Emu, Yat Wan, pour certains internationalement, comme Zunzi, autrefois célèbre pour ses portraits inimitables de Deng Xiaoping, admirés par Cabu qui fit son portrait lors de son passage à Hong Kong et le publia dans Cabu en Chine (éditions du Seuil, coll. L’histoire Immédiate, textes de Pierre-Antoine Donnet).
Ces dessinateurs ont travaillé ou travaillent encore pour Hong Kong Daily news, Hong Kong Economic Times, Singtao Daily, Ming Pao, Apple Daily. Beaucoup ont aussi publié des albums rétrospectifs de leurs œuvres,
La loi de la sécurité nationale, une menace pour la liberté de pensée et le développement intellectuel futur des jeunes Hongkongais
Tous ces dessinateurs ont accompagné les grands moments de Hong Kong, comme la rétrocession. Mais aussi les évènements dramatiques, comme le massacre de Tiananmen, la montée des mouvements prodémocratie, créant un nouveau dessin politique engagé à l’opposé de la Chine, où la caricature politique est interdite et considérée comme une offense criminelle.
Mais avec le retour à la Chine de Hong Kong l’atmosphère politique a changé. Beaucoup de journaux n’osent plus publier de dessins ou caricatures politiques et la presse doit se battre pour défendre sa liberté de plus en plus menacée.
Et pourtant, la caricature jette un courant d’air frais sur la scène politique. Elle permet de remettre à leur place les leaders qui se prennent trop au sérieux car le rire, l’humour et la dérision font tomber les masques et dévoilent bien des mensonges. Zunzi dit qu’il dessine des images peu flatteuses des leaders politiques : il dessine leur côté pitoyable et stupide plutôt que l’image puissante et effrayante qu’ils veulent se donner. Par exemple, alors qu’il dessinait Carrie Lam avec dignité à ses débuts, il la dessinemaintenant comme une simple servante, la théière à la main, toujours prête à répondre aux moindres désirs de Xi Jinping. “Je pense que le peuple chinois a spécialement besoin de l’ironie des caricatures pour faire tomber les masques de ses leaders”, dit Malone.
Mais la situation de la presse à Hong Kong est de plus en plus mauvaise, estime Zunzi. “Ces dernières années, il y a de moins en moins de journaux prêts à publier des dessins satiriques. Deux ou trois seulement acceptent de publier des dessins comme les miens.” Il est très difficile pour les jeunes dessinateurs ou artistes de trouver un média accueillant. Ces deux dernières années, ils n’ont pu montrer leurs œuvres que sur des posters ou des affiches dans les manifestations de rue. Il y a pourtant de très bons dessins, mais on ne peut plus les voir…
Carine Lai Man-yin
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