Les autorités françaises ont enfin compris que le port du masque est utile, mais l’essentiel, à savoir l’identification rapide et généralisée des porteurs du virus par test PCR, n’est toujours pas à l’ordre du jour. La plupart des personnes infectées ne sont contagieuses que pendant une dizaine de jours ; pour réduire la transmission du virus, il faut donc les trouver dans cette période et les isoler.
Au lieu de chercher systématiquement les porteurs de virus, les autorités sont actuellement concentrées sur les foyers. Un foyer (ou cluster) est défini comme « la survenue d’au moins trois cas confirmés ou probables, dans une période de sept jours, et qui appartiennent à une même communauté ou ont participé à un même rassemblement de personnes, qu’ils se connaissent ou non ».
On voit bien qu’une partie de la circulation du virus échappe à cette surveillance : une personne contagieuse qui se déplace peut contaminer d’autres personnes ici où là, sans que ces contaminations correspondent à un foyer identifiable. C’est d’ailleurs pour cela que les foyers identifiés rassemblent des personnes repérables par leur appartenance à un groupe : rassemblements familiaux, entreprises privées et publiques, établissements de santé…
Echantillon représentatif
Le nombre de cas connus, la proportion de tests positifs, le taux d’incidence de la maladie et le nombre de reproduction effectif du virus sont des indicateurs calculés à partir du nombre de tests PCR positifs. Ils dépendent donc de la stratégie de test : si on teste plus largement la population, le nombre de cas cliniques connus et le nombre de tests positifs augmentent, mais la proportion de tests positifs diminue. Au début de l’épidémie en France, environ un tiers des tests étaient positifs, alors qu’aujourd’hui 2,5 % des tests sont positifs. Pour contrôler l’épidémie, il faut tester suffisamment pour que la proportion de tests positifs devienne très faible.
Le taux d’incidence, défini comme le nombre de personnes testées positives rapporté au nombre d’habitants, dépend aussi beaucoup de la proportion de la population testée. Cet indicateur n’estime l’incidence de la maladie, c’est-à-dire la fréquence des nouveaux cas dans la population, que si on teste un échantillon représentatif de la population. En dehors de cette situation, il n’est pas vraiment utile.
Enfin, le nombre de reproduction du moment est estimé à partir d’un modèle mathématique sur la base du nombre de tests positifs par semaine, il dépend donc lui aussi de l’intensité du dépistage par test PCR. Pour mesurer directement l’intensité du dépistage, on peut calculer la proportion de la population testée par PCR. Du 6 au 12 août, on a testé 610 000 personnes, donc moins de 1 habitant sur 100.
Le nombre de décès attribués au Covid-19 est un bon indicateur de l’étendue de l’épidémie, surtout si on le rapporte à l’effectif de la population. Il est cependant en retard de quelques semaines par rapport aux contaminations. On peut comparer les 30 000 décès décomptés en France jusqu’à présent, pour 67 millions d’habitants, aux 9 300 décès pour 83 millions en Allemagne, aux 7 décès pour 24 millions à Taïwan, aux 72 décès à Hongkong pour 7,5 millions, aux 26 décès pour 96 millions au Vietnam, aux 438 décès en Australie pour 25 millions, ou aux 232 décès pour 10 millions en Grèce.
Partie émergée de l’iceberg
La surmortalité globale, qui ne tient pas compte de la cause du décès, est évaluée en comparant les nombres de décès observés à la mortalité moyenne dans les quelques années précédentes. Entre le 2 mars et le 31 mai, on a observé 25 000 décès en plus. Cette estimation confirme l’estimation de 30 000 décès dus au Covid-19, dans la mesure où la mortalité globale intègre les décès évités pendant le confinement, notamment par accident de la route.
Du nombre de décès, on peut déduire un nombre total de personnes contaminées sur la base de la létalité de la maladie, estimée égale à 0,8 %. Ainsi, les 30 000 décès observés en France correspondent à 3 750 000 cas (30 000/0,8 %). Les 225 000 cas connus ne sont donc qu’une très faible fraction de l’ensemble des cas. Dans une étude espagnole, des tests sérologiques (recherchant les anticorps) réalisés sur un échantillon représentatif de la population ont révélé que 5 % de la population avait été contaminée, mais seulement 20 % de ces personnes avaient eu un test PCR. Les cas connus ne sont donc que la partie émergée de l’iceberg.
On peut aussi surveiller des indicateurs de recours aux soins : actes de SOS-Médecins, passages aux urgences pour suspicion de Covid-19, hospitalisations et admissions en réanimation pour Covid-19. Ces indicateurs sont bien mesurés, mais les deux derniers sont observés avec retard par rapport à la contamination. Pour contrôler l’épidémie, il faut chercher systématiquement les porteurs du virus en testant massivement la population. Les résultats de l’expérience lancée fin juin, consistant à envoyer 1,3 million de bons aux assurés sociaux de plusieurs communes d’Ile-de-France particulièrement touchées, n’ont pas été communiqués. Doit-on en déduire qu’ils sont très mauvais ?
A l’heure actuelle, les tests se font sans aucune stratégie identifiable : ils sont certes gratuits et sans ordonnance, mais les personnes les plus probablement positives ne sont pas particulièrement incitées à se faire dépister. Ce n’est pas ainsi que l’épidémie va être contrôlée.
Catherine Hill
Epidémiologiste