Le scrutin a renforcé la prédominance de deux partis. D’abord, avec 36 sièges sur 108, le Parti unioniste démocratique (DUP) du pasteur protestant Ian Paisley, octogénaire mais toujours aussi farouche défenseur de la religion protestante et de l’union avec Londres. Ensuite, côté catholique, avec 28 sièges, le Sinn Féin, parti républicain et partisan de l’unification de l’Irlande, dont les liens avec l’Armée républicaine irlandaise (IRA) ne sont un mystère pour personne.
La formation d’un gouvernement s’annonce difficile. L’Assemblée, créée en 1998 suite aux accords dits du Vendredi saint, est dotée d’une large autonomie. Elle est censée organiser le gouvernement de la province par un partage des pouvoirs entre les principaux partis, c’est-à-dire entre les partis représentant les communautés unioniste (protestante et majoritaire) et nationaliste/républicaine (catholique). Depuis sa création, l’Assemblée n’a jamais fonctionné de manière stable et la province est actuellement gouvernée directement par Londres. Aux élections de 2003, le Sinn Féin et le DUP ont émergé comme les partis majoritaires de leurs communautés. Le DUP a accepté le cadre de l’Assemblée mais rechigne à gouverner avec le Sinn Féin. Pourtant, les raisons de refuser sont de moins en moins évidentes. En 2002, les unionistes se plaignaient que l’IRA n’ait pas désarmé, même si un cessez-le-feu était en vigueur depuis 1997. Mais l’IRA a détruit ses armes en 2005 - ce que n’ont pas encore fait les principales milices protestantes. Et, dans le cadre des accords conclus à Saint Andrews en octobre dernier visant à relancer l’Assemblée, le Sinn Féin a pris en janvier la décision, à l’encontre de toute son histoire, de reconnaître l’autorité de la police nord-irlandaise.
Les élections ont donné un résultat paradoxal. D’un côté, les courants de chaque parti qui s’opposaient au partage des pouvoirs ont été complètement marginalisés. De l’autre, chaque communauté a choisi majoritairement le parti le plus dur. Presque personne ne veut revenir à la guerre qui a duré trente ans, mais les deux communautés vivent largement en s’ignorant et en se méfiant, séparées physiquement et psychologiquement. Avec sept sièges, le seul parti significatif non étiqueté « catholique » ou « protestant » est le Parti de l’alliance, qui attire surtout une partie des couches moyennes. Il y avait peu de candidats de gauche et le seul à obtenir un résultat respectable, avec 5 %, a été le militant historique du mouvement des droits civiques, Eamonn McCann, à Derry. On saura bientôt si Ian Paisley acceptera de gouverner avec ses anciens ennemis - qui, eux, y sont prêts. Sinon, cela peut signifier la fin de l’Assemblée et un système de gouvernement par Londres avec un rôle accru pour le gouvernement de la République d’Irlande à Dublin.
Il est ironique qu’à part les divergences historiques, les principaux partis ont beaucoup de points d’accord. À l’époque de la mondialisation, ils veulent rattraper le train en marche et attirer l’investissement étranger, à l’image du prétendu « tigre celtique » au Sud. Tous sont d’accord pour réduire l’impôt sur les sociétés à 12,5 % et les nouvelles routes en construction sont payées par Dublin. Les droits des salariés passeront par pertes et profits. L’unification économique de l’Irlande est bien en route, son éventuelle unification politique viendra sans doute beaucoup plus tard. En Irlande du Nord, ceux d’en haut, les anciens ennemis, vont collaborer d’une manière ou d’une autre. C’est surtout ceux d’en bas qui restent pour l’instant prisonniers de la ghettoïsation de leur société.