Lors de la Convention nationale républicaine (RNC), Donald Trump a offert une image d’une société américaine au bord de la catastrophe ; une situation qui peut toutefois être rectifiée s’il est élu président.
Il a promis de rétablir la « loi et l’ordre » face à la « criminalité endémique » et aux protestations contre la violence policière. La « paix » qu’il a juré d’établir dans les rues d’Amérique serait doublée d’efforts renouvelés visant à protéger la patrie : des interventions militaires supplémentaires à l’étranger pour combattre les méchants et un mur à la frontière pour maintenir au loin les immigrés mexicains.
Alors que Melania Trump a chapardé des parties entières du discours de 2008 de Michelle Obama – qui appelait les victimes de la société américaine à prendre leur sort en main – Donald Trump volait l’ensemble de la plateforme de l’ancien président Richard Nixon (jusqu’à sa promesse d’être une voix pour la « minorité silencieuse » et sa formule d’un « plan secret » pour défaire l’Etat islamique).
Pour Hillary Clinton, la RNC représentait un rêve devenu réalité, arrivant juste au moment où elle cherchait une voie pour donner du cœur aux partisans mécontents de Bernie Sanders afin qu’ils transfèrent leur allégeance à sa campagne.
Le caractère sinistre de la RNC – avec ses refrains sur le désordre social, ses slogans scandés tels que « Construis le mur ! » ainsi que son alarmisme envers des attaques terroristes imminentes – a apporté à Clinton le message parfait pour tous ceux qui sont effrayés par les républicains réactionnaires : « Votez pour moi, car je ne suis pas lui. »
Bien que Trump se présente comme un « gagnant » fortuné et impitoyable, il a encore l’audace d’affirmer qu’il est le candidat le mieux placé pour protéger les opprimés. « Je suis entré dans l’arène politique pour que les puissants ne puissent plus s’en prendre à ceux qui ne sont pas capables de se défendre », a-t-il déclaré lors de la convention (même si c’est exactement ainsi qu’il a bâti son empire commercial).
La réplique de Clinton consiste à se présenter comme l’alternative « sûre ». A la différence de « l’extrémisme » et du « manque d’expérience » de Trump, elle prétend être une vétéran du système de Washington, à même de savoir ce qui est possible et comment l’atteindre.
Plus important encore, elle affirme savoir ce qui n’est pas possible : l’Etat américain peut trouver de l’argent supplémentaire pour mener de nouvelles guerres, mais une couverture médicale universelle ainsi que la gratuité de l’éducation sont deux choses hors d’atteinte.
En réponse au slogan de Trump « rendre l’Amérique à nouveau grande », le refrain permanent entendu lors du couronnement de Hillary Clinton à la convention démocrate était que « l’Amérique est déjà grande ». Il ne fait pas de doute que cela ne semble pas être le cas pour les millions de membres de la classe laborieuse qui font face à une dégradation de leurs conditions d’existence au moment même où les riches deviennent massivement, de manière obscène, plus riches.
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Pour des millions de personnes dont les démocrates espèrent le vote en novembre 2016, l’attrait éprouvé du « moindre mal » (vote pour nous, non parce que nous sommes ce que tu veux, mais parce que tu ne veux en aucun cas l’autre type) sonne creux.
Nombreux sont ceux qui ont été inspirés par le message de gauche de Bernie Sanders. Le fait que sa campagne en tant qu’outsider n’ait pas abouti n’entame en rien la force de ses attaques contre Hillary Clinton en tant que candidate de Walmart, Wall Street et de la guerre.
Dès le début de sa campagne, Sanders avait promis qu’il soutiendrait le gagnant final et il a ainsi collaboré, lors de la convention démocrate, à l’effort visant à vendre Hillary Clinton comme une « présidente formidable », pour reprendre ses termes, malgré le mécontentement de ses partisans face à l’attitude arrogante de l’appareil du Parti démocrate.
D’ici à novembre, la grande majorité des partisans insatisfaits de Sanders auront probablement la sensation qu’ils n’ont pas d’autre choix que de voter Clinton pour empêcher Donald Trump d’entrer à la Maison-Blanche.
Mais ils ont en réalité une possibilité de voter pour ce qu’ils veulent en déposant dans l’urne un bulletin en faveur de la docteure Jill Stein. Cette dernière sera officiellement nommée candidate présidentielle du Parti Vert (Green Party) lors de la convention qui se tiendra ce week-end [4-7 août] à Houston.
La plateforme de Stein (en faveur d’un salaire minimum horaire de 15 dollars, une taxation des riches, des mesures fortes pour s’attaquer au changement climatique, etc.) est manifestement bien plus proche des idées de Sanders que de celles d’Hillary Clinton. Lors de la convention démocrate, des partisans de Sanders en colère ont été attirés par l’alternative représentée par le Parti Vert (une dissidence de plus de 100 délégués a été saluée mardi soir par un rassemblement de la campagne Stein).
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Dans les semaines qui ont précédé la convention démocrate, Jill Stein a bénéficié d’une hausse des soutiens et de l’attention inconnue pour un troisième parti de gauche depuis la candidature de Ralph Nader en 2000.
Bien que la campagne pour les élections générales n’en soit qu’à ses débuts, de nombreux sondages ont montré que Jill Stein obtient un soutien plus important que celui de Nader, alors même qu’elle n’est pas aussi bien connue auprès des électeurs. Un sondage, publié fin juin par la CNN et l’Opinion Research Corporation, a montré que Stein recevait 7% des suffrages. Parmi les électeurs de moins de 45 ans, elle franchit même la barre des deux chiffres. Même des projections plus modestes – 3,5% de soutien sur la moyenne des sondages calculés par le site internet RealClearPolitics – montrent un soutien largement supérieur à tout candidat de gauche indépendant depuis 2000.
Après que Sanders a formellement appuyé Clinton, début juillet, J. Stein a plaidé devant les partisans de Sanders que le « faux pragmatisme » de leur candidat « n’est pas la voie d’un changement révolutionnaire, mais consiste plutôt en un gradualisme qui nous maintient piégés, votant pour le moindre mal, encore et encore. Chaque fois qu’un adversaire progressiste tel que Sanders – Dennis Kucinich [2008] ou Jesse Jackson [1984 et 1988] – inspirait l’espoir d’un changement réel, le Parti démocrate l’a saboté tout en se déplaçant vers la droite, devenant toujours plus favorable aux intérêts des entreprises et militariste à chaque cycle électoral. »
En même temps, la campagne Stein a lancé une collecte visant à rassembler 500’000 dollars en un mois – somme qui doit être compensée par le gouvernement fédéral en vertu des règles du système électoral. Les dons ont afflué, le plus souvent des petites sommes, comme la campagne Sanders l’avait déjà démontré. La campagne Stein a atteint son objectif en seulement deux semaines.
Stein a aussi obtenu le soutien de personnalités comme l’auteur et activiste Cornel West et l’acteur Viggo Mortensen. Ainsi que l’a écrit Cornel West dans le quotidien The Guardian : « Nous avons besoin d’un changement ce mois de novembre. Nous sommes pourtant enchaînés dans un choix entre Trump, qui serait une catastrophe néofasciste, et Clinton, un désastre néolibéral. C’est pour cela que je soutiens Jill Stein. Je suis avec elle – la seule femme progressiste dans la course – parce que nous devons dépasser cette situation où l’on est pris en tenaille. J’ai beaucoup d’amour pour mon frère Bernie Sanders, mais je ne suis pas d’accord avec lui concernant Hillary Clinton. Je ne pense pas que cette dernière sera une « présidente formidable ». Son militarisme rend le monde moins sûr […] Nous entrons dans un réveil moral et spirituel. Il nous offre une espérance démocratique. Il ne s’agit pas tant d’avoir de l’espoir que d’être l’espoir. Il est temps de passer du statut de spectateur à celui d’acteur. »
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Pour reprendre les termes de feu le militant socialiste Peter Camejo « l’énorme succès du système politique bipartisan, en faveur du capital, développé aux Etats-Unis consiste à ce que la moitié des gens ne vote tout simplement pas alors qu’il contraint ceux qui le font – même lorsqu’ils sont opposés à la domination des grandes firmes – à voter en faveur de ceux qu’ils rejettent ».
Les lecteurs de ce site internet [SocialistWorker], en revanche, auront de nombreux points communs avec la vision politique radicale de Stein, même si nous avons quelques divergences. Par exemple, tout en s’opposant à l’intervention américaine au Moyen-Orient, Stein a parfois minimisé le rôle d’autres forces impérialistes, telle la Russie [1], qui interviennent pour préserver leurs propres intérêts.
Ajuma Baraka, le colistier de J. Stein, a annoncé il y a peu qu’il est un combattant dévoué pour la libération des Noirs, un opposant à l’impérialisme des Etats-Unis et un partisan de la lutte des Palestiniens. Mais il a rédigé des articles minimisant l’échelle de la répression menée par le régime de Bachar el-Assad en Syrie contre l’opposition révolutionnaire, tout en renforçant le mythe que le régime Assad est l’expression de la « souveraineté nationale » en lutte contre l’impérialisme des Etats-Unis. Ces opinions irrecevables ne feront qu’éloigner des personnes portées par la vision de Stein d’une lutte démocratique pour changer les Etats-Unis.
D’une manière générale, la plateforme de Stein est clairement marquée à gauche et elle représente une alternative indépendante au bipartisme. Stein n’a pas de chances réalistes de remporter l’élection présidentielle de 2016 et de mettre son programme en œuvre. Mais elle mérite le vote de ceux qui la soutiennent – car, s’ils votent Clinton à la place, leur programme sera retardé.
Avant même les élections, Clinton se déplace vers la droite avec une stratégie visant à gagner les électeurs conservateurs « hésitants ». Lors de la convention démocrate, après un premier jour où c’est le thème de « l’unité » qui a été mis en avant et le discours de ralliement de Sanders, la campagne Clinton se focalise sur des appels de pied à ceux qui se situent plus à droite qu’elle.
Clinton et son parti estiment que la base liberal du Parti démocrate votera pour eux parce qu’ils n’ont pas d’autre choix « réaliste » – elle ne sera donc pas mise sous pression pour rendre des comptes. Si Clinton devient présidente, elle n’aura pas à répondre aux convictions et aux revendications de ceux qui ont accordé leurs suffrages aux démocrates. Elle sera libre de servir les maîtres capitalistes du Parti démocrate.
Un vote en faveur de Clinton n’arrêtera même pas Donald Trump, bien que réside là le message principal des organisations liberal. Trump perdra les élections si Clinton gagne, c’est entendu. Mais le trumpisme pourra tout à fait prospérer sous une présidence néolibérale et impériale de Clinton.
Comment donc ? Hillary Clinton s’est engagée à maintenir le statu quo qui nourrit l’anxiété économique et alimente le cycle violent de la guerre et des représailles. Un grand nombre de personnes en ont conclu que le système était brisé. A gauche, ces gens ont apporté leur soutien à Bernie Sanders ou se sont engagés dans des luttes à la base pour le changement (ou ont fait les deux). Mais, à droite, le mécontentement envers le statu quo a pavé la voie à la montée de Trump.
Une présidence Clinton qui continue à décevoir tout le monde à l’exception du 1% et de leurs valets alimentera les conditions mêmes qui ont permis à des démagogues de droite comme Trump de gager une audience.
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Un vote en faveur de J. Stein, de l’autre côté, ne sera pas un vote en faveur du candidat gagnant en 2016. Mais cela enverra un message – avant tout en direction des millions d’Américains qui attendent une alternative politique, pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls – et constituera un petit pas en direction de la construction d’une opposition indépendante plus efficace à l’avenir.
Voter en novembre ne constitue qu’une partie de la lutte pour changer le cap de ce pays. Ainsi que l’écrivait l’historien Howard Zinn : « Il n’est pas de leçon plus importante que les gens peuvent apprendre que le fait véritablement central n’est pas tant qui est assis à la Maison-Blanche mais qui fait des sit-in [l’anglais utilise les mêmes termes pour « être assis » à la Maison-Blanche et s’asseoir dans les rues, faire des sit-in] dans les rues, les cafétérias, dans les allées du gouvernement, dans les usines. Qui proteste, qui occupe les bureaux et manifeste ; voilà ce qui détermine le déroulement des choses. »
Soutenir une candidate de gauche indépendante contre le bipôle des deux partis le jour des élections doit faire partie de la construction d’une alternative sur le long terme, y compris celle de mouvements sociaux à même de défier le futur président, quel qu’il/elle soit.
Les élections présidentielles déterminent quel individu se trouvera au sommet du système de pouvoir des Etats-Unis et ces individus forgent les termes mêmes avec lesquels les batailles politiques sur l’avenir sont menées. Mais c’est ce que font également les luttes : les mouvements contre la violence policière, les grèves menées par des syndicalistes et par ceux qui cherchent la reconnaissance d’un syndicat, les marches massives pour la défense de l’environnement.
Lorsque cette résistance est en marche, elle peut se faire sentir, indépendamment du parti au pouvoir.
Tout au long de l’histoire des Etats-Unis, les changements les plus importants pour des améliorations réelles ne sont pas venus d’un vote « pour le moindre mal ». Au contraire, ils sont issus de luttes sur les places de travail et dans les quartiers. Les années 1930 et 1960, époques de résistances et de luttes massives aux Etats-Unis, ont obtenu des changements progressistes en s’appuyant sur la vérité contenue dans les paroles de l’abolitionniste Frederick Douglass [1818-1895 ] : « Sans lutte, il n’y a pas de progrès. »
La campagne Bernie Sanders a démontré encore plus qu’il y a un grand nombre de personnes qui sont mécontentes avec le système et qui sont prêtes à faire quelque chose pour le changer.
Si ce n’est pas maintenant, quand ? Si ce n’est pas nous, qui ?
Votre vote le 8 novembre pour une alternative de gauche authentique est un pas en direction de la construction des mouvements pour le changement. Mais la lutte doit continuer aussi tous les autres jours de l’année.
Editorial du Socialist Worker en date du 3 août 2016