- Qu’est-ce que le collectif Femmes-mixité ?
Pascale Dubois - Notre collectif existe depuis neuf ans et regroupe des collectifs de base dans une dizaine de régions en France. Son but est de prendre en compte tout ce qui touche à la vie des femmes dans les entreprises : les discriminations sur le salaire, l’emploi et les conditions de travail. Nous l’avions appelé collectif « mixité » pour que des hommes y participent. Finalement il n’y en a pas. Il faut s’organiser par nous-mêmes pour que cela change. Personne ne fera les choses à notre place.
Je n’ai pas connu 1968, je l’ai vécu par mon entourage comme quelque chose d’excessif. Mais j’ai changé d’opinion : le mouvement des femmes a amené des choses positives, c’est évident. Je l’ai vu lors de la Marche mondiale des femmes en France, puis à Bruxelles et à New York. Nous formions presque la moitié de la délégation CGT. On a tout investi ! Nous avons rencontré des militantes CGT membres d’associations féministes : cela veut dire qu’à un moment donné, la CGT n’a pas répondu à leur appel. Elles sont allées voir ailleurs. Je me retrouve nettement mieux dans un milieu de femmes, dans les mouvements féministes. Je sens qu’il y a des choses vécues, partagées, que je ne retrouve pas forcément dans mon organisation. Dans la marche mondiale, nous avons découvert un autre monde. Je me sens souvent isolée dans la CGT et là je me retrouvais avec des femmes du monde entier. Cela vaut le coup de poursuivre la lutte, on n’est pas toutes seules !
Yolande Mazzega - Il y a un profond besoin de changement de mentalités. La culture distillée à l’école, dès la maternelle pratiquement, véhicule encore l’image de l’homme fort et de la femme au foyer. Des filles qui rentrent dans les entreprises se résignent à n’avoir aucune chance de progresser. Elles n’envisagent nullement d’agir, elles le prennent comme une fatalité. Les petites filles sont orientées vers des rôles précis : ma fille a voulu faire des études techniques, elle y a passé une année. Mais tout a été fait pour la dégoûter. Certains copains peuvent faire des écrits sur l’égalité mais, dans la pratique, c’est autre chose !
- Que pensez-vous de l’adoption de la parité dans la commission exécutive confédérale ?
P. Dubois - C’est mieux pour la représentation, mais je préférerais des pratiques plus efficaces.
Danièle Gautier - Si on met une femme pour mettre une femme, je suis contre. Quand on parle d’égalité à la CGT, on voit bien que certains métallos se mettent à sourire Ils pensent sans doute que les « bonnes femmes » n’ont qu’à retourner au fourneau.
Y. Mazzega - Mettre la moitié des femmes dans une structure pour finalement ne pas tenir compte de leurs espérances, cela ne sert à rien. Le mot parité est mal employé ou mal appliqué. Cela peut être vide de contenu. Nous avons des difficultés à faire comprendre aux copains la nécessité de se battre pour les revendications spécifiques des femmes. Si on arrivait à les faire aboutir, elles amélioreraient pourtant la situation de tous.
- Quel bilan portez-vous sur les lois Aubry ?
P. Dubois - En ce qui conçerne les accords sur les 35 heures, nous sommes incapables de comptabiliser les emplois féminins créés. La loi Aubry autorise la formation en dehors du temps de travail. Or pour la plupart des femmes, s’il faut choisir entre les gosses et une formation, le choix est vite fait. Avec 23% d’emplois féminins dans la métallurgie, nous sommes en régression. Il y a eu les plans de licenciements à Brandt, Moulinex, Philips, Alcatel Mais il n’y a pas que cela : 7% de techniciennes à Alstom Qu’on ne vienne pas dire que c’est à cause de la pénibilité que les femmes sont absentes. Dans la sidérurgie, le travail est de plus en plus réglé par commande numérique. Tout le monde peut le faire ! L’argument de la pénibilité physique, on pourrait à la rigueur l’admettre pour la grosse manutention. Mais cela ne peut se justifier pour les postes de techniciens ou de dessinateurs industriels !
L’histoire des 35 heures est une arnaque avec la généralisation de la flexibilité. Quand il faut faire des journées de dix heures et qu’on doit caser nos mômes, qu’on ne nous parle pas de temps libre ! Dans ma boîte, à 42 ans de moyenne d’âge, les femmes qui travaillent à la chaîne sont démolies. Nous avons beaucoup de difficultés à faire reconnaître les maladies professionnelles. Dans une petite entreprise, près de Douai, les femmes doivent pointer pour aller aux toilettes et ce temps est décompté du temps de travail effectif ! Dans mon entreprise, nous avons eu quarante embauches, mais c’est parce que nous nous sommes battues.
Une loi est votée depuis le 9 mai 2001 sur l’égalité professionnelle et sur le travail de nuit. Mais les copains se saisissent rarement de l’obligation de négocier sur des mesures concrètes visant l’égalité professionnelle. Le patronat de l’Union des industries métallurgiques et minières a profité de cette loi pour généraliser et banaliser le travail de nuit. La loi explique que le recours au travail de nuit doit être exceptionnel et doit prévoir des contreparties. Or celles-ci étaient franchement ridicules. Nous avons donc refusé d’entrer dans un jeu de négociations qui consisterait une nouvelle fois à régresser sur les droits : si on est enceinte, par exemple, on peut avoir accès à un poste de jour et, en l’absence d’un poste de jour, il y a « suspension » du contrat de travail. C’est très grave !
Alors que le travail de nuit est contraire aux rythmes biologiques naturels et entraîne des dérèglements hormonaux, notamment pour les femmes, celles-ci préfèrent travailler la nuit pour deux raisons. L’une financière, parce qu’elles stagnent dans les bas salaires : les femmes représentent 84% des salariés qui gagnent moins de 3 600 francs par mois ; je travaille depuis 25 ans dans la même entreprise et je touche 5 000 francs nets si on me retire ma prime d’ancienneté ! La deuxième raison est un problème de garde d’enfants : elles travaillent la nuit pour s’occuper des enfants dans la journée.
Si les lois peuvent aider, on ne réglera le problème que par la lutte.