Déroute sur les marchés, ralentissement industriel, transition douloureuse... La Chine serait-elle en train de s’assoupir ? C’est l’impression diffuse que donne le début 2016. Impression trompeuse qui oublie l’activisme de ses industriels. Et dans ce domaine, le champion toutes catégories s’appelle ChemChina. Sur le seul mois de janvier, il a déjà annoncé deux investissements majeurs et serait sur le point de surenchérir pour mettre la main sur le groupe d’agrochimie Syngenta. Ce serait alors la plus grosse acquisition étrangère de tous les temps pour une entreprise chinoise.
Selon le Financial Times, ChemChina, qui a essuyé un premier refus après son offre à 42 milliards de dollars en 2015 (39 milliards d’euros), s’apprêterait à repartir à l’assaut du géant suisse, également convoité par son concurrent américain Monsanto. Ce n’est pas du goût de tout le monde. Dans une lettre adressée au conseil d’administration, un groupe d’actionnaires met les pieds dans le plat : « On est raisonnablement en droit de se demander si le conseil a vraiment bien réfléchi aux conséquences d’une nationalisation de Syngenta via la cession de l’entreprise à une entreprise publique d’un pays communiste. »
L’empire du Milieu ne fait (presque) plus peur
Car ChemChina, le plus agressif des prédateurs chinois, est une entreprise d’Etat fondée et dirigée par l’un des plus talentueux entrepreneurs du pays. Une image parfaite du « bol de nouilles » du capitalisme à la sauce pékinoise où s’entremêlent inextricablement intérêts publics et privés. Comme ses compères fondateurs de Lenovo (informatique), Haier (électroménager) ou Huawei (télécommunication), Ren Jianxin a démarré comme fonctionnaire avant de monter son entreprise dans les années 1980, grâce à un prêt de l’Etat. Puis il a racheté une centaine d’usines chimiques dans le pays, avant de partir dans les années 2000 à la conquête de l’international. Il est aujourd’hui à la tête des plus importants conglomérats du pays, avec 42 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 140 000 employés.
Sa conquête de l’Ouest a démarré en France, en 2006, par l’acquisition d’une filiale de Rhône-Poulenc et de la branche silicone de Rhodia. Il a ensuite mis la main sur un spécialiste israélien de l’agrochimie, avant, en 2014, de jeter son dévolu sur le célèbre fabricant de pneumatiques italien Pirelli pour plus de 7 milliards d’euros. 2016 démarre sur les chapeaux de roues avec l’acquisition du fabricant allemand de machines-outil KraussMaffei et de 12 % du courtier suisse Mercuria.
Cette vague d’acquisitions chinoises en Europe devrait s’amplifier cette année. Compte tenu de la baisse de l’euro, le montant colossal de devises chinoises placées à l’étranger permet de s’offrir à bon prix talents et technologies. D’autant qu’à la différence des Etats-Unis, le vieux continent est bien plus ouvert aux investissements chinois. L’empire du Milieu ne fait (presque) plus peur. Et pour ses entrepreneurs les plus audacieux, pas question de s’endormir.
Philippe Escande
Journaliste au Monde