Le président de la république portugaise a confirmé dans son poste le premier ministre sortant Pedro Passos Coelho. Mais la gauche majoritaire va déposer une motion de censure et a fait le plein de ses voix pour la présidence de la chambre ;
Le président de la République portugais, Anibal Cavaco Silva, a donc décidé de passer jeudi soir en force. Alors que les leaders des trois formations de gauche (Partis socialiste et communiste et bloc de gauche) majoritaires au parlement lui ont affirmé mardi et mercredi qu’ils étaient « en mesure de former un gouvernement stable », il a finalement décidé de confirmer le premier ministre sortant, Pedro Passos Coelho, à la tête du gouvernement.
Provoquer une scission au PS
Ce dernier se retrouve donc à la tête d’un gouvernement minoritaire soutenu uniquement par l’alliance de droite Portugal à Frente (PàF) qui a obtenu le 4 octobre dernier 38,4 % des voix et 107 des 230 sièges de l’Assemblée de la République, le parlement monocaméral portugais. La stratégie d’Anibal Cavaco Silva, lui-même ancien premier ministre conservateur de 1985 à 1995 consiste donc à passer en force pour éviter une alliance des trois forces de gauche qui, pourtant, serait sur le point d’être finalisée. Son idée est de provoquer une scission interne au Parti socialiste (PS) en invitant la droite de ce parti à ne pas voter la motion de censure qui va être inévitablement déposée contre Pedro Passos Coelho.
Utiliser l’euro comme levier
Pour les convaincre de pratiquer cette rupture, le président de la République a joué sur l’Europe. « L’observation des engagements internationaux est décisif et cruciale pour le financement de notre économie et la croissance de l’emploi. Hors de l’euro, le futur du Portugal sera catastrophique », a indiqué Anibal Cavaco Silva [1] qui tente donc de transformer le choix de gouvernement en un choix pour ou contre l’euro. « C’est aux députés de décider en conscience et en prenant en compte les intérêts supérieurs du Portugal, si le gouvernement doit ou ne doit pas assumer pleinement les fonctions que je lui confie », a-t-il indiqué. La stratégie de la droite, appuyée par le président de la République est donc de faire de la motion de censure un vote sur l’euro et l’UE afin de convaincre la portion la plus europhile du PS de s’abstenir.
Les conditions de la censure
Pour éviter la censure, le gouvernement portugais doit éviter qu’une majorité absolue des députés vote cette motion, selon l’article 195 de la Constitution [2], soit 116 voix. Les trois partis de gauche détiennent ensemble 122 sièges. L’abstention de 7 députés PS sur 86 serait donc suffisante. Compte tenu de l’attitude encore incertaine du parti animaliste PAN [3], qui dispose d’un siège, il faudrait la défection de huit députés PS pour que le gouvernement de droite survive à cette motion. C’est ce que la dramatisation de l’enjeu vise à obtenir.
Le PS affirme sa détermination
La balle est désormais dans le camp d’Antonio Costa, le leader du PS, qui va devoir convaincre l’ensemble de ses troupes, et notamment sa droite, de voter la censure et de respecter la discipline du parti. Antonio Costa pourra avancer qu’il a déjà obtenu du Bloc de gauche (BE) et du parti communiste (PCP) l’acceptation du « cadre budgétaire européen » et qu’il fera du maintien dans l’euro la condition sine qua non de la coalition future. En tout cas, dès ce vendredi 23 octobre à deux heures du matin, le PS a répondu vigoureusement à la décision du président de la République [4]. La Commission politique du parti a décidé de demander au groupe parlementaire socialiste de déposer une motion de censure. Parallèlement, elle a donné le feu vert officiel à Antonio Costa pour achever les discussions avec le PCP et le BE.
Rien ne dit que les élus PS suivront tous la discipline de parti, mais vendredi, la gauche a envoyé une réponse claire en élisant un député PS à l’Assemblée de la République, Ferro Rodrigues [5]. Ce dernier a obtenu 122 sièges et a donc fait le plein des voix de gauche. De bon augure pour la motion de censure qui sera déposée par Antonio Costa. Et un désaveu pour Anibal Cavaco Silva.
Dans ces deux partis, on se dit déterminés à faire tomber Pedro Passos Coelho, mais cela ne dépend guère d’eux, mais plutôt des députés PS. Leur rôle sera plutôt désormais de donner des gages de leur bonne volonté et de leur refus de sortir de l’euro, de l’UE et de l’OTAN dans le cadre du prochain gouvernement à la droite du PS. D’une certaine façon, la décision d’Anibal Cavaco Silva pourrait aider Antonio Costa à contenir les exigences de ses deux partenaires de gauche pour arracher l’accord de tout le groupe parlementaire PS.
Tenir neuf mois
Le calcul du président de la République peut paraître à courte vue, car sans majorité, le gouvernement aura une marge de manœuvre réduite. Même si, en effet, il n’y a pas de majorité absolue pour renverser le gouvernement, ce dernier risque de ne pas disposer d’une majorité relative pour faire adopter ses voix, sauf si les défections atteignent plus de 15 députés. Mais Anibal Cavaco Silva vise à gagner du temps pour permettre une dissolution dès qu’elle sera possible, autrement dit six mois après l’élection présidentielle prévue en janvier. L’article 172 de la Constitution interdit toute dissolution six mois avant et après une élection présidentielle.
Instrumentalisation de l’euro
D’un point de vue européen, la situation portugaise ne manque pas d’intérêt. La droite portugaise tente en effet de contourner le vote du 4 octobre en instrumentalisant l’euro et l’UE. En faisant de la motion de censure un vote pour ou contre l’euro, l’hôte du palais de Belém tente de donner à la droite la majorité que les urnes ne lui ont pas accordé. Il s’agit, en réalité, de briser toute possibilité de constitution d’une politique alternative à celle menée depuis quatre ans par Pedro Passos Coelho, en créant une identité entre politique différente et appartenance à l’euro. C’est un jeu qui, à moyen terme, semble très périlleux.
Romaric Godin