Francisco Artacho – Comment expliques-tu l’irruption de Podemos sur la scène politique espagnole ?
Teresa Rodríguez – Elle montre le besoin d’alternative aux partis traditionnels. Ceux-ci sont des espaces fermés, difficilement accessibles aux citoyens, renfermés dans un cadre identitaire, mais en contradiction permanente lorsqu’ils gèrent les coupes budgétaires et perdent pied au sein de gouvernement axés sur le seul possible et la continuité. Nous avons construit cette candidature en récoltant 50 000 signatures en moins de 48 heures, en organisant des primaires ouvertes, un programme participatif et la construction de plus de 300 cercles populaires et citoyens.
Quelle sera la première initiative de Podemos au Parlement européen ?
Nous élaborons une proposition anti-corruption, la directive Villarejo. La corruption est une forme de gouvernement, et la meilleure manière de rompre avec elle consiste à s’en prémunir. Le vaccin, c’est le contrôle collectif. Nous proposons la limitation des salaires pour les mandats publics, la révocation par les militant-e-s, la limitation du nombre de mandats et le refus des tournus. Nous le pratiquerons nous-mêmes et nous ne toucherons pas individuellement le salaire de 8000 euros attribué aux élu-e-s du Parlement européen. D’une certaine manière, un tel salaire autonomise l’élu par rapport à ses électeurs·trices, s’il a des conditions de vie qualitativement différentes. Je recevrai toujours mon salaire d’enseignante : 1700 euros.
Nous avons aussi commencé à établir des alliances avec d’autres forces européennes qui refusent de payer la dette illégitime. Il est nécessaire de construire des institutions européennes totalement différentes. Car on ne peut exercer aucun contrôle citoyen sur les actuelles institutions européennes, une Commission composée de technocrates élus en vase clos et totalement contrôlée par les pouvoirs financiers. Il faut aussi démocratiser la Banque centrale européenne, un organisme obscurantiste à direction technocratique.
Crois-tu qu’on peut changer quelque chose dans un Parlement européen sans capacité de décision ?
Effectivement, nous ne changerons pas les choses au Parlement européen. Mais cela nous donne l’occasion de rendre visibles un discours et une pratique politique déterminée, qui se traduiront lors des prochains scrutins (nationaux, régionaux et municipaux). Cela nous permettra de faire des propositions avec d’autres pays, parce que le chemin de la désobéissance à la Troïka est dur, et nous voulons nous lier aux forces politiques qui, à l’échelle européenne, proposent des alternatives similaires. D’autre part, c’est un bon espace pour dénoncer une caste politique qui échappe à tout contrôle citoyen et qui se développe en toute impunité, notamment dans les institutions européennes.
Podemos utilise beaucoup le terme « caste politique ». Mais tu as maintenant tous les avantages d’un parlementaire européen. Crains-tu de devenir membre de la caste ?
Nous avons déjà des vaccins pour éviter ce sort, comme de recevoir un salaire normal (un maximum équivalant à trois salaires minimums). Cela évitera de s’habituer à un statut institutionnel. Nous limiterons le nombre des mandats, car après deux mandats la représentation publique se professionnalise. Nous avons aussi la possibilité de révoquer à tout moment un·e élu·e de notre mouvement. Tous les candidat·e·s ont signé ces engagements avant les élections.
A quoi est dû le succès électoral de Podemos ? Certaines analyses l’attribuent à la présence continuelle de Pablo Iglesias à la télévision.
Effectivement, ce succès est dû à la visibilité médiatique d’un discours déterminé de confrontation avec la politique de la Troïka et avec les mesures agressives que celle-ci applique depuis le début de la crise. Mais c’est aussi dû à une sorte de moment Podemos. Un moment où les conditions de vie de la population sont hyper-dégradées, où la violence des faits en termes sociaux est toujours plus dure et se conjugue à un manque d’attentes et à un manque de confiance dans la politique professionnelle. Le moment Podemos correspondait exactement à cette situation et la réponse consistait à présenter des mesures programmatiques d’urgence : non-paiement de la dette illégitime, fin des paradis fiscaux, poursuite de la fraude et de l’évasion fiscale, réforme fiscale progressive, contrôle des entreprises stratégiques.
Propos recueillis par Francisco Artacho le 27 mai 2014