Imaginez un paysage où les collines éventrées semblent avoir été frappées par un cataclysme et où l’eau qui s’écoule des ruisseaux est rouge. Ce paysage surréaliste, écrit l’hebdomadaire roumain Revista appartient au massif des Carpates, dans le village de Rosia Montana, la plus grande mine d’or à ciel ouvert d’Europe, une histoire d’or qui, paradoxalement, empoisonne le pays.
Le gouvernement roumain prépare en effet une loi autorisant l’exploitation de cette mine au cyanure via une société canadienne. Or on estime notamment à 12000 tonnes la quantité de cyanure par an nécessaires pour ce projet, sans compter le déplacement de centaines de familles et la destruction partielle de quatre montagnes. D’où cet air de révolte qui flotte à présent en Roumanie, commente le Courrier des Balkans. Voilà une semaine maintenant que tous les soirs, des milliers de personnes se retrouvent pour manifester contre ce projet. Un projet, précise le 8 septembre 2013, La Tribune de Genève, que le Premier ministre de centre-gauche (Victor Ponta), lors de sa campagne électorale, s’était pourtant engagé à bloquer.
Le dit projet doit encore obtenir l’aval du Parlement, mais hier encore, ils étaient des milliers dans les rues de Bucarest à protester. Et le plus étonnant, raconte le site d’information Hotnews cité par Presseurop, c’est que d’une cause qui mobilisait jusqu’à maintenant surtout les écologistes, Rosia Montana est subitement devenue un sujet d’intérêt général. La portée du mouvement de protestation, qui a débuté le 1er septembre 2013, va désormais bien au-delà de la question strictement ponctuelle de l’exploitation de la mine et touche à présent non seulement au modèle de développement économique, mais aussi à la manière de légiférer, voire, à la démocratie elle-même.
Et de fait poursuit le site d’information, il existe parfois des décisions politiques tellement ulcérantes, dit-il, qu’elles arrivent à mobiliser contre elles des gens que, autrement, des années-lumière séparent en termes de valeurs et de positions doctrinales. Ainsi, tandis que les groupes nationalistes sont aujourd’hui poussés dans la rue par le slogan traditionnel « Ne vendons pas notre pays ! », les libéraux de droite, eux, dénoncent la violation des limites de l’Etat de droit et du principe de propriété privée. Quant aux anti-capitalistes, leur chemin est évidemment tout tracé pour dénoncer les privilèges accordés aux grandes firmes.
Pire encore, puisque les dispositions du projet de loi sont également de nature à attiser la colère de ceux-là même qui se disaient jusqu’à présent favorables à l’exploitation de la mine. En cause, les risques d’expropriation qui pèsent désormais sur les habitants du site. Si le projet de loi est validé par le Parlement, la firme chargée d’exploiter la mine, composée d’une société canadienne et d’une entreprise publique roumaine pourra directement être mandatée par l’Etat pour les procédures d’expropriation. En clair, elle pourra exproprier tout résident refusant de lui vendre sa propriété. Une prérogative qui incombe, par définition, à l’Etat, mais qui se trouve de facto transférée ici avec légèreté, commente le journaliste, vers une société privée. Ainsi, en seulement 45 jours estime le journal, l’entreprise pourra devenir propriétaire de tout immeuble de l’Etat roumain nécessaire à son exploitation de la mine.
Bien sûr se réjouit l’article, le mouvement de protestation, qui a fait sortir dans les rues quelque 15’000 personnes par jour est en soi un motif d’optimisme. D’autant que l’entreprise chargée d’exploiter la mine a pompé des millions dans les trusts de presse, se mettant ainsi les chaînes de télévision dans la poche. Et, de fait, la grande majorité d’entre elles se disent aujourd’hui favorables au projet de loi du gouvernement. Même les silences des chaînes de télé sont éloquents lorsque, par exemple, pendant les manifestations, certaines préfèrent diffuser des nouvelles sur l’hospitalisation de l’empereur des Roms ou sur la naissance du petit-fils du président.
Thomas Cluzel