Coup de théâtre à la CGT : Bernard Thibault a été mis en minorité, vendredi 25 mai, sur sa succession, lors de la réunion extraordinaire de la commission exécutive, qui compte 54 membres. Un communiqué officiel fait état de cette grave défaite du secrétaire général : « Bernard Thibault, suite au processus de consultations engagées depuis plusieurs mois, a proposé la candidature de Nadine Prigent comme future secrétaire générale de la CGT. La commission exécutive confédérale n’a pas approuvé cette proposition par 20 voix pour, 21 voix contre et 5 abstentions. »
Conséquence de cet échec : M. Thibault ne pourra pas présenter la candidature de Mme Prigent lors de la réunion du comité confédéral national (CCN) qui doit se prononcer, le 31 mai, sur le ou la dirigeant(e) qui lui succédera à l’issue du congrès de Toulouse, en mars 2013. Tandis qu’une majorité d’organisations soutient la candidature d’Eric Aubin, 50 ans, secrétaire général de la fédération de la construction, M. Thibault pourrait, selon des sources internes, présenter la candidature d’Agnès Naton, 53 ans, retraitée de La Poste, directrice de La Nouvelle Vie ouvrière, l’hebdomadaire confédéral.
OBSTINATION
Le plus étrange dans cet épisode, c’est l’obstination de M. Thibault, cette volonté de passer en force pour imposer Nadine Prigent, 54 ans, ancienne infirmière (elle sera retraitée en 2013), secrétaire générale de la fédération de la santé. Le 17 avril, lors d’une précédente réunion de la commission exécutive consacrée à sa succession, il avait calé in extremis, et avait renoncé à faire part de son choix. Il avait alors annoncé une nouvelle phase de consultation des organisations de la CGT, ce qui l’avait conduit, jusqu’à ces derniers jours, à participer à neuf rencontres interrégionales.
C’est la raison pour laquelle M. Thibault a été très absent de la scène nationale, au moment même de l’entrée en fonctions de François Hollande et du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Ces consultations lui ont confirmé qu’Eric Aubin tenait la corde. Le « monsieur retraites » de la CGT a bâti sa popularité interne, non sur une différence de ligne – comme Mme Prigent et Mme Naton, il partage l’orientation « moderniste » de M. Thibault –, mais sur une critique acerbe de la « centralisation » du pouvoir par la direction confédérale, s’engageant à redonner de l’espace aux fédérations. Cette position explique que M. Aubin bénéficie du soutien d’une majorité de fédérations, dont celle des cheminots, dont est issu M. Thibault.
RÉFLEXE DE LÉGITIMITÉ
Cet état des lieux aurait dû conduire M. Thibault à opérer un repli stratégique. Mais, d’après différentes sources, il espérait, face à une commission exécutive composée à sa main et comptant sur un réflexe de légitimité, emporter la conviction de cette instance.
« Il pensait gagner le morceau », indique un dirigeant, qui explique qu’il a pris le risque de demander un vote – qui n’était que consultatif – tout en sachant que cette instance était divisée. « S’il avait eu un vote positif, ne serait-ce que d’une voix, il aurait pû tenter le tout pour le tout devant le comité confédéral national », poursuit ce responsable cégétiste. Mais M. Thibault a été mis en minorité, et c’est un battu qui va se présenter le 31 mai devant le parlement de la centrale, qui lui avait déjà infligé un sévère revers en 2005, lorsqu’il lui avait imposé d’appeler à voter non au référendum européen.
« TRÈS CASSE-GUEULE »
Toutes les cartes sont rebattues. M. Thibault ne peut plus défendre la candidature de Mme Prigent devant le parlement cégétiste, composé des représentants des fédérations et des unions départementales. Obligé de battre en retraite, il apparaît toujours décidé à ce qu’une femme lui succède, ce qui pourrait le conduire à présenter la candidature d’Agnès Naton. « C’est un calcul très casse-gueule », observe un dirigeant.
La directrice de l’hebdomadaire confédéral, qui est retraitée et a une personnalité peu charismatique, semble avoir peu de chances de l’emporter. En revanche, M. Aubin se trouve indéniablement conforté. Pour l’heure, M. Thibault a complètement manqué sa sortie. Et les dégâts sont considérables : la crise de la CGT s’est aggravée, et quelle que soit l’issue, elle laissera des traces, et la centrale se retrouve, en pleine alternance politique, totalement hors jeu.
Michel Noblecourt