Philippe Grangereau – Quel est l’impact du ralentissement de l’économie chinoise ?
Geoffrey Crothall – Pendant la crise de 2008, vingt millions d’ouvriers migrants sont rentrés chez eux faute de travail, mais il serait surprenant, cette fois-ci, que les choses aillent aussi mal. Certaines entreprises ferment, mais d’autres continuent d’embaucher. La différence est que, naguère, les ouvriers se laissaient faire. Là, ce n’est plus le cas. Leur pouvoir de négociation s’est accru en raison d’une pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans un nombre croissant de secteurs. De plus, ils n’hésitent plus à réclamer leurs droits et s’organisent de mieux en mieux.
D’où proviennent ces pénuries de main-d’œuvre ?
La principale raison est démographique. Il y a de moins en moins de jeunes sur le marché du travail, or les entreprises n’embauchent que les moins de 30 ans.
Combien y a-t-il de grèves en Chine ?
On recense environ 30’000 grèves et arrêts de travail par an, mais on en attend davantage, car les entreprises en difficulté suppriment les heures supplémentaires, sans lesquelles les ouvriers ne gagnent pas assez pour vivre. D’autres protestent contre le transfert de leur usine dans des régions meilleur marché, car les patrons en profitent pour leur faire signer des contrats moins « avantageux ».
Combien gagnent les ouvriers ?
Au cœur de la zone industrielle chinoise, dans le Guangdong, un ouvrier gagne entre 1200 et 1400 yuans mensuels (140 à 165 euros ; soit entre 171 et 201 CHF) et 2000 yuans (235 euros, soit 287 CHF) avec les heures supplémentaires – soit dix heures par jour et six jours par semaine.
Comment les ouvriers s’organisent-ils puisque les syndicats libres sont interdits ?
Avec les microblogs et les téléphones mobiles, souvent en très peu de temps. Quelques volontaires suffisent à lancer un mouvement de milliers d’employés, car tous font face aux mêmes problèmes.
Comment se terminent les grèves ?
Généralement par un accord a minima entre la direction et les délégués des grévistes. Bien qu’ils ne soient pas officiellement reconnus [des syndicats contrôlés par le Parti], ces derniers s’asseyent souvent à la table des négociations. Mais ces délégués sont parfois harcelés ou contraints à la démission. Il arrive aussi que le gouvernement local agisse en médiateur. Cet été, nombre d’ouvriers ont remporté de grandes victoires, avec des augmentations de salaire de 50%, mais ce genre de concessions n’est plus envisageable en raison du ralentissement économique.
Existe-t-il des fédérations syndicales clandestines ?
Tant que la mobilisation ouvrière se fait usine par usine, les autorités ne s’en inquiètent pas trop. Mais si des fédérations clandestines se constituaient, elles seraient immédiatement réprimées.
Pourtant, désormais, les autorités répriment rarement les grèves…
Elles emprisonnent quand des violences éclatent. Sinon, c’est rare, car il y a trop de grèves, et les prisons seraient pleines. En revanche, elles imposent un black-out médiatique.
Pékin vient d’annoncer un renforcement de sa « gestion sociale ». A quoi peut-on s’attendre ?
Le gouvernement chinois va sans doute accroître la surveillance afin de mieux prévenir les grèves et les conflits sociaux. La police a jusqu’alors échoué de ce point de vue, et il n’y a pas de raison de penser qu’elle réussira cette fois. Les autorités n’ont pas encore compris que pour réduire les conflits du travail, il est nécessaire d’établir un système de communication entre les employés et la direction des entreprises, et cela n’est possible qu’au travers de syndicats représentatifs qui défendent réellement les intérêts des ouvriers. Tant qu’un tel mécanisme n’existe pas, il y aura de plus en plus de conflits du travail.