Les 55 000 collecteurs d’impôts fonciers dépendant des collectivités locales sont les premiers à être parvenus à constituer un syndicat indépendant, suite à leur grève massive et victorieuse de 2007.
Dès la fin de la grève, le Comité national de grève, où sont représentés les comités de grève de tous les Gouvernorats, décide de constituer un nouveau syndicat national. Celui-ci est « un bébé dont la mère est la grève » (1).
Les principes suivants sont adoptés :
► indépendance envers les institutions syndicales pro-gouvernementales,
► adhésion libre, contrairement aux syndicats officiels,
► instances élues et mandatées démocratiquement, les mandats émanant des sections locales,
► règles bien définies pour le renouvellement des représentants, ce qui n’existe pas dans les autres syndicats. (1)
Environ 30 000 salariés signent alors un appel à la création du syndicat indépendant. Des comités syndicaux locaux sont élus au niveau des gouvernorats.
Le 20 décembre 2008, plus de 1 000 agents venant de toute l’Egypte se réunissent au Caire et annoncent la création du syndicat, sous le nom d’IGURETA (Syndicat national indépendant des collecteurs d’impôts fonciers). Kamal Abu ‘Eita et la plus grande partie du Comité de grève en constituent le Comité d’animation.
Le 21 avril 2009, ce Comité soutenu par une manifestation de 300 adhérents, remet à la ministre une demande d’enregistrement. Après d’intenses négociations, celle-ci accepte. Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, un premier syndicat indépendant du pouvoir existe en Egypte.
Deux raisons ont facilité cette décision du pouvoir : d’une part un conflit personnel entre la ministre et le secrétaire général de l’ETUF, d’autre part le poids des critiques émises envers l’Egypte et l’ETUF lors de la réunion annuelle de l’OIT en 2008, ainsi que dans d’autres rencontres internationales.
Mais la raison essentielle est qu’en s’arrêtant momentanément de percevoir les impôts, les salariés collecteurs mettent directement en danger les ressources de l’Etat.
Le Président de l’ETUF ayant échoué à empêcher la création du nouveau syndicat, il lui propose alors de s’affilier à l’ETUF ! Mais les dirigeants de l’IGURETA rejetent cette offre et expriment fermement leur volonté de rester indépendants. En guise de représailles, l’ETUF fait pression sur l’administration des impôts fonciers pour qu’elle suspende les activités de l’IGURETA, et entame des poursuites judiciaires contre son president, Kamal Abu ‘Eita, ainsi que contre des responsables syndicaux de deux gouvernorats. Le motif invoqué est d’avoir appelé à la création d’un syndicat alors que c’est interdit par la loi...ce qui était, bien sûr, factuellement vrai !
Après légalisation du syndicat IGURETA, les cotisations à l’ETUF ont continué à être déduites automatiquement de la paye des adhérents et, simultanément, l’IGURETA était empêchée de collecter des cotisations. « Lorsque nous essayons de collecter des cotisations syndicales, nous sommes poursuivis pour collecte illégale de fonds » explique le trésorier-adjoint. Il ajoute même que des hommes de main travaillant pour le syndicat national affilié à l’ETUF ont insulté et agressé physiquement des représentants de l’IGURETA dans deux gouvernorats.
Le 27 juillet 2009, le ministre des Finances finit par reconnaître à l’IGURETA le droit de constituer une Caisse de retraite complémentaire comparable à celle dont disposent les autres syndicats. Le président de l’ETUF s’oppose à cette décision et fait alors pression sur le ministre des Finances. Résultat, le 5 août, le ministre des Finances change d’avis et reverse à l’ETUF les fonds collectés par l’IGURETA ! Afin de protester contre cette décision, 37 000 syndiqués de l’IGURETA se mettent en grève dans toute l’Egypte. Un millier d’entre eux font un sit-in devant l’Assemblée nationale. Ils dénoncent les présidents de l’ETUF et du syndicat national GUBIFE comme faisant de l’obstruction à l’activité du nouveau syndicat.
La grève est suspendue au bout d’une journée, suite à la promesse du ministre des Finances de prendre en considération les revendications de l’IGURETA.
De façon inattendue, le gouvernement dans ce cas précis a davantage toléré le syndicalisme indépendant que ne l’a fait l’ETUF. Dans sa plainte auprès de l’OIT, l’IGURETA accuse notamment l’ETUF d’avoir incité les autorités gouvernementales à avoir une attitude discriminatoire à leur égard : l’ETUF avait en effet demandé l’ouverture d’une enquête contre les dirigeants de l’IGURETA aux motifs qu’ils avaient mis en place leur syndicat en dehors du cadre juridique en vigueur...ce qui était évidement le cas !
Les collecteurs d’impôts ont recherché la solidarité internationale de la classe ouvrière. En avril 2009, ils ont, par exemple, demandé et obtenu l’affiliation de leur syndicat à l’Internationale des services publics (ISP/PSI). En janvier 2010, ils ont également rencontré le Réseau syndical euromaghreb auquel participent notamment le SNAPAP (Algérie), la CGT d’Espagne et l’Union syndicale Solidaires. [1]
Les collecteurs d’impôts fonciers se sont énormément appuyés sur les Conventions internationales ratifiées par l’Egypte pour soutenir leur revendication du droit à constituer un syndicat indépendant.
La direction de l’IGURETA avait choisi de faire sa demande de légalisation en juillet 2009, au moment où une délégation de l’OIT était justement venue en Egypte pour discuter avec le gouvernement du peu de respect des normes internationales concernant le monde du travail. Cette présence de l’OIT a facilité un réponse positive du gouvernement.
Depuis le départ de Moubarak, l’IGURETA continue de se renforcer comme le représentant de la grande majorité des collecteurs d’impôts fonciers, en dépit de l’opposition persistente des dirigeants de l’ETUF et de son syndicat national GUBIFE.