En Tunisie, la répression monte encore d’un cran. À Kasserine, ville du centre-ouest du pays, la police a de nouveau fait feu sur les manifestants ce lundi matin, tuant quatre personnes, selon les informations recueillies par Mediapart. Joint par téléphone, l’avocat Amar Jabali confirme la mort de quatre personnes ce lundi matin. Parmi elles, un jeune de moins de 20 ans, Adel Sadaoui, a été tué dans le quartier de Hayzou, que la police avait préalablement encerclé, avant de tirer sur les habitants sortis manifester leur colère après les incidents d’hier.
À midi ce lundi, le cortège de plusieurs centaines de personnes, conduit par un collectif de 46 avocats grévistes, se dirigeait vers ce quartier populaire de la ville. Dispersée par les gaz lacrymogènes, la foule s’est ensuite scindée en petits groupes. « Vous entendez les tirs ? Ce sont les policiers qui font feu, raconte l’avocat Amar Jabali, joint à nouveau au téléphone par Mediapart peu avant 13h. Les ambulances circulent sans arrêt. Nous nous sommes réfugiés devant le tribunal, mais j’ai perdu la moitié de mes confrères dans la bousculade. C’est l’insurrection ici, je n’ai jamais vu ça. » Dans la ville de Kasserine, comme dans celle de Regueb ou de Thala, tous les magasins, bureaux et administrations étaient fermés ce lundi matin.
Au moins quatorze personnes ont été tuées dimanche et plusieurs blessées par balles à Thala et Kasserine, à 290 km au sud de Tunis. Plusieurs sources syndicales locales affirment que le bilan devrait s’alourdir dans les heures à venir en raison d’un « grand nombre de blessés graves ». Sur les huit tués dans des affrontements avec la police, trois l’ont été par balles, et identifiés. Il s’agit de Raouf Bouzid, Mohamed Amine Mbarki et Rabah Nasri, indique Sadok Mahmoudi, membre du bureau exécutif du syndicat régional de Kasserine.
Contacté par téléphone à Tunis par Mediapart, dimanche en milieu d’après-midi, Nizar Amami, dirigeant de la section PTT du syndicat de l’Union générale des travailleurs tunisiens, en pointe dans le mouvement, affirme que le bilan pour la seule ville de Thala serait « d’au moins 5 morts ». Ces personnes, ajoute-t-il, ont été tuées par des soldats tunisiens, qui ont « bouclé la ville, désormais sous couvre-feu total ». D’autres sources syndicales ont fait état auprès de l’AFP de 35 morts dans la région de Sidi Bouzid.
Joint à nouveau en fin d’après midi, le syndicaliste affirmait par ailleurs que les affrontements ont repris à Regueb, ville située non loin de Sidi Bouzid.
Selon Ahmed Nejib Chebbi, dirigeant du Parti démocratique progressiste (PDP, opposition légale), le bilan serait d’au moins 20 morts, des personnes tuées par balles dans des affrontements avec la police samedi et dimanche à Thala et Kasserine, situées au centre-ouest de la Tunisie, non loin de Sidi Bouzid, là où le mouvement a commencé le 17 décembre. De son côté, Le Monde dit avoir recueilli les identités de vingt-trois personnes tuées.
De son côté, le gouvernement a déclaré dans un communiqué , dimanche 9 janvier, que 14 personnes, et non 2, puis 8 comme l’affirmaient les précédents communiqués, étaient mortes au total dans des affrontements avec la police au cours des dernières 24 heures. Les autorités tunisiennes ont affirmé que la police avait ouvert le feu sur des « assaillants » dans un acte de « légitime défense ».
Lancée par des jeunes diplômés de Sidi Bouzid – une ville du centre-ouest tunisien, située à 265 km de Tunis et en proie à des manifestations depuis le 19 décembre –, la révolte s’est peu à peu étendue à l’ensemble du pays. Et à mesure que le mouvement montait en puissance, la répression est, elle aussi, allée crescendo. Ce fut tout d’abord l’encerclement des campus étudiants, à Tunis notamment, et les enlèvements et mesures d’intimidations contre les avocats, qui manifestent régulièrement devant les cours de justice, et appellent les autorités à cesser la répression. Le 24 décembre, la police a fait feu sur la foule, tuant Mohammed Ammari, 18 ans, et blessant grièvement Chawki Hidri, qui décédera deux jours plus tard.
Lors de son discours télévisé du 28 décembre, le président Ben Ali avait promis de « frapper fort » contre les « extrémistes » qui animaient le mouvement. Les observateurs attentifs de la Tunisie pouvaient déjà présager d’une répression dans le sang. Car depuis la grève générale de Gafsa en 2008-2009, et la mort d’un jeune manifestant tué par l’armée dans la ville de Redeyef, on sait en Tunisie ce que « frapper fort » veut dire.
Cette répression du week-end pourrait répondre à la crainte des autorités de voir le mouvement s’amplifier encore durant la semaine à venir. L’UGTT des PTT a appelé les Tunisiens à la grève générale à partir du mercredi 12 janvier. Les branches syndicales de l’enseignement supérieur et des médecins ont d’ores et déjà prévu de faire de même à la fin de la semaine. Et à Sfax, deuxième ville de Tunisie, la fédération locale de l’UGTT appelait dimanche soir les Tunisiens à faire grève dès le lundi 10 janvier, en réponse à la répression des autorités tunisiennes.
Pierre Puchot