Du 6 au 8 décembre 2005, se sont tenues des rencontres syndicales internationales de cheminots à Dakar, organisées par Transnational Information Echanges (TIE International, TIE Afrique) et SUD-rail.
Etaient présentes les délégations suivantes :
– Sénégal : Fédération des travailleurs du rail (FET-Rail/CNTS) - Syndicat national des travailleurs du petit train de banlieue (SYNAT-PTB/CNTS) - Regroupement des Cheminots Déflatés (RCD)
– Mali : Syndicat des travailleurs du rail (SYTRAIL) - Collectif Citoyen pour le Développement Intégré du Rail Malien (COCIDIRAIL)
– Burkina Faso : Syndicat libre des cheminots du Burkina (SLCB)
– R. D. Congo : Lutte ouvrière (LO).
– Maroc : Fédération des travailleurs du rail (FDR-UDT) - Association des cheminots.
– Espagne : Syndicat fédéral des cheminots CGT (SFF-CGT)
– France : Fédération des syndicats SUD-rail (SUD-rail/union syndicale Solidaires)
Chaque délégation a exposé la situation sociale, syndicale et aussi du rail dans son pays. Le débat a mis en évidence des points importants, qui nous sont communs, au-delà des frontières.
Les conséquences du capitalisme.
Les politiques économiques élaborées par le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce, déterminent désormais les politiques sociales et de l’emploi sur toute la planète.
Ces politiques visent notamment d’abord à déréguler les services publics en dérogeant au cadre légal existant (droit du travail, droits syndicaux, protection de l’environnement, santé publique, éducation publique, services sociaux aux plus démunis, etc.) et ensuite à les privatiser, tout cela avec l’accord et la complicité des gouvernements des Etats.
Les chemins de fer sont directement confrontés à cette situation, qui est la conséquence de l’état du rapport de forces entre le mouvement ouvrier et ceux qui veulent « gouverner le monde ».
La privatisation correspond aux besoins actuels du système capitaliste pour survivre, se développer, imposer son modèle. Il s’agit de choix politiques, non de décisions neutres qui ne reposeraient que sur des critères « techniques » ou d’efficacité.
Les institutions telles que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, etc. organisent ces privatisations qui appauvrissent les plus pauvres des pays et les plus pauvres des citoyens dans chaque pays.
Si les rythmes et les situations sociales sont différents, la recette du capitalisme est la même partout : les services rentables pour les sociétés privées et leurs actionnaires sont privatisés, les autres sont abandonnés. Les gouvernements, soumis aux ordres des institutions monétaires, organisent ces privatisations. Les conséquences sociales sont lourdes pour :
– Les salariés des entreprises ferroviaires : licenciements, précarisation, déréglementation, non-respect des normes internationales du travail, gaspillage des savoirs, etc. Ceci se répercute aussi gravement sur leur entourage : femmes, enfants (divorces, scolarité des enfants compromises, ...) Là où les privatisations ont été imposées, les accords négociés entre direction et syndicat, pour préserver les intérêts des salariés, voient le plus souvent leur application retardée ou dévoyée.
– Les populations : désertification, déstructuration du tissu social, accentuation de la pauvreté oppression accrue des femmes, ...
– Les pays : dépendance accrue des pays du Sud vis-à-vis de ceux du Nord, endettement, bradage du patrimoine, etc.
Les organisations syndicales doivent défendre les services publics : des services publics qui correspondent à un besoin social et disposent des moyens pour accomplir leurs missions.
Face aux sociétés déjà privatisées, les organisations syndicales doivent continuer à défendre les intérêts des travailleurs pour de bonnes conditions de travail, de rémunération et de représentativité.
– Un syndicalisme qui propose :
– La construction d’organisations syndicales prenant réellement en compte la volonté des travailleurs.
– Un syndicalisme démocratique, pluraliste, sans compromission avec gouvernements ou directions. Débattre des divergences, confronter les opinions, doit favoriser la recherche de solutions unifiantes, permettre des actions communes.
– La recherche de l’unité d’action la plus large au sein du mouvement syndical et aussi avec le mouvement associatif, pour promouvoir une plate-forme revendicative commune
Nous proposons la plate-forme commune suivante :
1. - Le chemin de fer doit être propriété publique, parce c’est la société qui avec ses efforts l’a construit, développé et maintenu. La privatisation est un détournement de bien public au profit d’intérêts particuliers d’une minorité.
2. - Le chemin de fer doit avoir pour but le service public, sa rentabilité est sociale, non économique. Il ne doit pas favoriser les intérêts particuliers sur les intérêts généraux.
3. - Le chemin de fer doit être administré par des entreprises publiques, qui doivent gérer conjointement l’infrastructure, le transport et les services en respectant strictement les normes de la bonne gouvernance. L’éclatement met en danger tant la sécurité que la viabilité du transport ferroviaire.
4. - La sécurité doit être un objectif prioritaire du transport ferroviaire et ne peut pas se réduire à des équations, des bénéfices ou des calculs de probabilités, qui finissent toujours par avoir des conséquences tragiques. Les investissements nécessaires pour atteindre un niveau maximum de sécurité dans tout le chemin de fer doivent être effectués.
5. - Les avantages du chemin de fer doivent être reconnus, en prenant en compte les coûts sociaux : respect de l’environnement, moindre occupation du sol, service offert à la communauté, moindre consommation énergétique, moindre dépendance du pétrole, développement de l’aménagement du territoire et surtout moins de risques d’accident.
6. - Les avantages du chemin de fer doivent avoir une répercussion sur les usagers et sur la société en général : tarifs abordables et subventionnés, égalité de traitement quelle que soit la zone géographique (péréquation tarifaire), services correspondants aux nécessités sociales et investissements suffisants. Le chemin de fer doit être privilégié comme mode de transport, tant pour les voyageurs que pour les marchandises.
7. - Il faut favoriser l’accessibilité au chemin de fer, notamment pour les personnes qui vivent dans des zones relativement isolées, là où la carence du transport est le plus durement ressentie et aussi pour les populations qui ont une plus grande dépendance vis-à-vis du transport public (ceux qui pour des raisons d’âge, de problèmes de santé par exemple, ne peuvent pas ou ne souhaitent pas utiliser des moyens individuels de transport), les personnes avec de faibles revenus et celles qui ont une mobilité réduite.
8. - Le chemin de fer doit disposer d’un effectif suffisant, d’emplois stables et avec des droits sociaux forts, des fonctions bien définies et une formation adéquate.
9. - Usagers et salariés du chemin de fer, nous devons prendre une part active et directe aux décisions qui concernent le chemin de fer qui est un patrimoine collectif et qui doit être au service de la Communauté.
Solidarité internationale
Notre syndicalisme est soumis à une forte répression de la part des gouvernements et directions auxquels il s’oppose. Nous apportons notre entière solidarité aux camarades victimes des mesures iniques telles que déplacements arbitraires (Maroc), sanctions administratives (Mali, Sénégal, Burkina, R.D. Congo ...)
La situation des cheminots déflatés (licenciés) nous touche aussi directement, et nous appuyons toutes les démarches de nos camarades qui luttent pour faire reconnaître leurs droits, et exigeons que les accords signés soient respectés.
Nous voulons construire un réseau international des syndicats de travailleurs du rail, pour renforcer les luttes de chacun, développer les luttes communes.
Nous voulons développer la confrontation entre nos histoires et nos cultures syndicales et ferroviaires, pour une meilleure connaissance mutuelle. C’est indispensable pour mieux lutter contre le développement des politiques libérales et pour la mise en œuvre de véritables services publics répondant aux besoins de l’ensemble de la société.
Notre coordination est sur le champ professionnel du ferroviaire, en englobant l’ensemble des travailleurs quelles que soient les divisions imposées par les patrons et les gouvernements : travailleurs d’entreprises publiques ou privées, avec des contrats stables ou temporaires, cheminots en activité, en retraite ou licenciés (déflatés) Mais notre syndicalisme est interprofessionnel ; nous appuierons toutes démarches permettant d’étendre au-delà de notre champ professionnel la dynamique que nous initions.
Notre coordination repose sur l’autonomie des organisations qui y participent et se fonde sur les principes de solidarité, de justice sociale, d’égalité, de démocratie, d’autonomie vis-à-vis des partis politiques. Le combat pour la paix, l’écologie font partie des valeurs fortes que nous défendons.
Nous affirmons qu’un autre Monde ferroviaire est possible, un Monde dans lequel on respecte les acquis sociaux, les conditions de travail, la sécurité, le service public, le droit au transport pour tous, les libertés syndicales.
Les organisations signataires s’engagent à poursuivre et développer le travail commun :
Dans chacun de nos pays, nous recherchons l’unité d’action syndicale. Unis, nous sommes plus forts pour imposer la prise en compte de nos revendications, de nos propositions.
Entre syndicats de pays différents reliés par une même ligne de chemin de fer, souvent une même société, il est indispensable de construire des plates-formes revendicatives communes et d’agir ensemble.
En Europe, une coordination du syndicalisme alternatif dans le rail a été mise en place, nous soumettons à chacune de nos organisations la proposition de faire de même en Afrique, en restant ouverts aux composantes non présentes aujourd’hui.
Notre volonté est de bâtir un réseau international ; cela nécessite de renforcer le travail déjà effectué en Europe, commencé en Afrique, et de l’étendre aux autres continents en utilisant les contacts déjà pris par certaines de nos organisations.
L’échange d’information est une priorité. Nous devons dégager les moyens nécessaires à une circulation de celle-ci entre nos organisations, mettre en place un observatoire international.
La formation syndicale est indispensable pour avoir des syndicats réellement démocratiques. Nous poursuivrons les sessions comme celle-ci, en essayant de les démultiplier pays par pays, pour toucher un grand nombre de militants.
La défense des services publics concerne l’ensemble des citoyens ; le travail commun avec les associations qui agissent sur ce terrain est une nécessité pour le mouvement syndical.
Fait et adopté à Dakar, le 8 décembre 2005.