Tel-Aviv Envoyé spécial
De guerre lasse, et en espérant que ce versement serait considéré comme solde de tout compte, trois banques israéliennes ont versé, fin octobre, 25 millions de shekels (4,7 millions d’euros) à la Holocaust Victims Assets Restitution Company, la société qui a été chargée par la loi israélienne de retrouver les biens des victimes de la Shoah et de les restituer à leurs bénéficiaires. Pour Zvi Kanor, le président de cette société créée en août 2006, ce remboursement représente une première victoire dans un long processus.
« Les banques israéliennes, rappelle-t-il, n’ont jamais entrepris la moindre démarche pour retrouver les rescapés de la Shoah, ou leurs héritiers. » Quant à l’Etat israélien, ajoute-t-il, il avait en sa possession, dès sa création en 1948, des dossiers sur les biens spoliés pendant la Shoah, et sans doute aussi les moyens de retrouver une partie des bénéficiaires. Or il n’a rien dit, rien fait. Le double constat iconoclaste dressé par Zvi Kanor remue beaucoup de souvenirs, et de mauvaise conscience.
Les poursuites engagées par les autorités israéliennes contre les banques suisses qui détenaient des avoirs juifs aboutiront à un règlement en juillet 1997. En Israël, il faudra cependant attendre le début de l’année 2000 et la publication d’un livre du professeur Yossi Katz, de l’université Bar Ilan, pour que commencent à être pointées du doigt les responsabilités de l’Etat et des banques privées, qui détiennent les « biens de la Shoah ».
En 2002, la Knesset, le Parlement israélien, crée une commission d’enquête, présidée par Colette Avital. C’est de ses travaux que naîtra, à l’issue d’un nouveau délai de quatre ans, la compagnie présidée par Zvi Kanor. Trois ans plus tard, en novembre 2009, ce dernier ferraille toujours avec les banques pour récupérer les centaines de millions de shekels qui ont fructifié pendant plus de soixante ans sur des « comptes dormants ».
Cinq institutions financières israéliennes détiennent toujours d’importants avoirs (terres, immeubles, actions et comptes bancaires) appartenant aux survivants de la « solution finale » ou à leurs descendants : les banques Leumi, Hapoalim, Discount, Hamizrahi et Mercantile.
Ce sont les trois premières qui ont fait ce geste de 25 millions de shekels (dont 20 millions pour la Leumi). Les deux autres établissements n’ont encore admis aucune responsabilité : « Jusqu’à une date très récente, précise Zvi Kanor, les banques ne voulaient pas nous parler, prétextant que nous n’avions aucune preuve. »
On comprend pourquoi : à la seule banque Leumi (ancienne Anglo Palestine Company), la Compagnie pour la restitution des biens des victimes de l’Holocauste réclame 350 millions de shekels, qui seraient disséminés sur quelque 3 500 comptes bancaires. Nul ne sait avec exactitude le montant total des biens spoliés, d’autant qu’il n’est pas encore question d’ouvrir le dossier, ô combien sensible, des intérêts générés par ces avoirs, lesquels se présentent aussi sous forme d’actions au capital desdites institutions financières !
« Non seulement les banques n’ont rien fait pour retrouver les survivants ou leurs héritiers, souligne Mme Avital, mais pendant des années, elles ont opposé une fin de non-recevoir à ceux qui venaient les voir avec des documents, des lettres, des carnets, de leur père ou grand-père, prouvant leur droit de propriété. »
Aujourd’hui, une âpre bataille judiciaire se déroule entre les avocats des banques et ceux de la société présidée par Zvi Kanor. Celle-ci a déjà identifié quelque 740 millions de shekels d’avoirs divers revenant de droit aux victimes de la Shoah et à leurs héritiers.
Plus de 200 millions de shekels ont déjà été versés aux plus démunis d’entre eux, mais on est loin du compte. L’identification des survivants et de leurs familles reste un défi majeur. Une campagne internationale de sensibilisation, dans les journaux et les communautés juives à travers le monde, va être lancée début décembre.
Par souci de couper court à une fâcheuse publicité, les banques pourraient se résoudre à un règlement amiable. Il restera alors à l’Etat d’Israël à expliquer pourquoi il a gardé un silence assourdissant pendant plus de soixante ans sur les biens des survivants de l’Holocauste.
Laurent Zecchini