A la suite de la publication dans « Tout est à nous » en juillet 2009 du dossier consacré aux « restructurations dans l’industrie automobile », la liste de débat écologie du NPA a publié des remarques critiques. Le plus important est d’éliminer les faux débats pour cerner les vraies divergences s’il y en a.
Nous sommes confrontés à une situation de crise dans l’automobile dont les racines tiennent à la combinaison dans ce secteur de la crise économique et de la crise écologique. Cela a été précisé dans les documents produits depuis cet hiver, y compris dans l’article de TEAN. Je ne crois pas qu’il y ait un désaccord autour de ce point.
Ceci posé, il faut bien répondre aux questions concernant la violence actuelle de la crise et des attaques contre les travailleurs : pourquoi cette intensité, pourquoi maintenant, pourquoi des moyennes entreprises sous traitantes polarisent en ce mois de juillet la situation sociale du pays, comment agir aujourd’hui contre licenciements et fermetures d’usines sans reporter les espoirs de victoire à des lendemains qui chantent (en vert et/ou en rouge...) ?
1. L’externalisation de la production des grands groupes vers des sous traitants ne trouve pas son explication dans la crise écologique, mais dans la volonté du capital de casser les collectifs de travail qui façonnent le mouvement ouvrier dans les grandes usines. Les délocalisations de petites entreprises comme Molex ne s’expliquent pas par la baisse des ventes ou de la production, mais par la rationalisation concurrentielle des outils de production à l’échelle européenne et/ou mondial. : l’attaque, dans son intensité et son moment, est déconnectée de la crise écologique. Idem pour les travailleurs de New Fabris. En ciblant les donneurs d’ordre PSA et Renault, ils ont ouvert le chemin à un tous ensemble. C’était de la responsabilité d’une organisation comme le NPA d’agir pour populariser ce mot d’ordre qui ouvre des perspectives nouvelles pour des centaines d’usines sous traitantes. Et si ce mot d’ordre de s’en prendre aux donneurs d’ordre a ainsi été posé, ceux qui l’avançaient depuis plusieurs mois y sont peut être pour un peu quelque chose.
2. La production dans les usines européennes baisse, dans les usines automobiles européennes plus vite que les ventes. UN écart très significatif de l’ordre de 30% En effet, pour maintenir profit et argent disponible, tous les constructeurs européens diminuent leur stocks. Question secondaire au regard de la crise écologique, peut-être, mais ces centaines de milliers de voitures produites en moins, ce sont autant d’heures de chômage partiel, et d’emplois supprimés non à cause de contraintes écologiques ou même de la baisse des ventes, mais à cause des seuls impératifs du profit. Pour Renault, cela représente pour les douze derniers mois 200 000 voitures non produites par ce seul effet « diminution du stock ». Va-t-on se féliciter de cette baisse de la production alors qu’elle est seulement motivée pour des raisons de maximisation du profit immédiat ?
3. Flexibilité et flux tendus contribuent à changer depuis une quinzaine d’années les conditions concrètes de l’organisation du travail et des relations entre grandes usines, équipementiers et sous traitants. L’intensité du travail prend d’autres formes que la seule augmentation des cadences à l’œuvre dans les années 60. Il y a aujourd’hui augmentation du stress, explosion des TMS inconnus jusqu’alors, et suicides : à nous de le dénoncer alors que, dans le discours dominant, les conditions au travail de millions de salariés sont occultées Analyser ces situations pour proposer objectifs et méthodes de lutte distincts de la complaisance des confédérations syndicales, c’est notre tâche au NPA.
Pourquoi donc dans de nombreuses luttes aujourd’hui, aux dires de ce qui s’est rapporté lors de la réunion automobile de juin, le NPA est une référence ? Le NPA a joué un rôle modeste peut être, mais un rôle, dans les tentatives de tous ensemble qui ont jalonné cette année de lutte. Ce sera aux copains directement impliqués, ce qui n’est pas mon cas, de le préciser.
Mais en tout cas, le texte de Romuald fait l’impasse sur ces tâches, le comment intervenir dans les situations où les suppressions d’emploi pleuvent par milliers. Son texte serait plus convaincant s’il proposait des moyens pour intervenir dans ces situations concrètes.
5. Il convient de marcher sur deux jambes : d’une part la lutte contre les attaques qui visent aujourd’hui conditions de travail et emploi, et d’autre part le possible d’une société où on serait débarrassé des cauchemars écologique et capitaliste. Deux jambes, pas l’une sans l’autre et qui peut se débarrasser de ces cauchemars si ce n’est la force collective des millions d’opprimés et exploités. Toute la difficulté d’une intervention politique est bien dans la combinaison, à un moment donné, des différentes tâches et impératifs. Pour prendre l’exemple du double page visé par Romuald, c’est le résultat d’un travail collectif à partir de matériaux comme la brochure « Construisons la riposte », les articles précédents de TEAN, d’Inprecor et d’autres sources, les feuilles d’entreprise qui sont diffusées régulièrement. Il a fallu choisir entre ces matériaux avec comme principaux critères de choix : : le plus utile vis à vis de ceux qui ont polarisé l’actualité sociale et politique (oui politique) de ce mois de juillet dans les usines appelant au tous ensemble, et posant même la question du contrôle ouvrier comme à Molex.
6. Beaucoup de choses restent à approfondir. Et j’espère bien que la commission écologie y contribuera. Une urgence : démontrer l’impossibilité d’un capitalisme vert comme issue à la crise. Cela concerne bien sur tous les secteurs, mais cela a des implications concrètes par rapport à l’automobile. D’autant plus nécessaire que le brouillage des repères peut conduire à des illusions sur la crédibilité d’une telle relance capitaliste. Il faudrait mieux préciser l’impasse que constitue le véhicule électrique comme solution globale à l’épuisement du pétrole Il faudrait détailler pourquoi l’automobile, malgré la diminution en vingt ans des émissions carbonées, reste l’un des premiers vecteurs du changement climatique.
7. Je ne crois ni juste, ni pédagogique de tenir comme une fatalité inhérente au capitalisme de produire des voitures dans un pays donné. Le propre du capitalisme, c’est de produire dans le même moment valeur d’usage et valeur d’échange. La production de la valeur d’usage que représente la voiture n’a d’intérêt pour un capitaliste et un actionnaire que si elle génère une valeur d’échange pour un profit justifiant les investissements en capital. Alors qu’il y a parmi les travailleurs de l’automobile un penchant, cultivé aussi par la direction de la CGT, à défendre la bagnole, je crois qu’il est de bonne pédagogie d’insister sur le fait que les patrons ne sont pas mariés à la voiture mais à leur profit.
Les fonds de pension présents chez Renault et PSA n’y resteraient pas longtemps s’ils avaient l’opportunité de placements pérennes et plus rentables. Idem pour vieille famille Peugeot. Et en Angleterre, l’un des principaux pays capitaliste, des secteurs entiers de l’industrie automobile ont été détruits pour investir le capital ailleurs. De nombreux autres pays européens vivent l’usage du tout automobile sans disposer d’une industrie automobile.
Il convient donc de s’interroger sur la nature du « fin de cycle » que connaît aujourd’hui l’industrie automobile capitaliste. J’ai employé cette expression d’avantage d’un point vue de commentaire et d’agitation que d’une analyse rigoureuse. L’industrie automobile a été une branche caractéristique de l’onde longue de des trente glorieuses des années 1945 – 1975. Consommatrice de biens d’équipement (secteur 1) et productrice de biens de consommation (secteur 2), cette branche a été l’un des moteurs de la croissance de cette période révolue. L’entrée dans l’onde longue récessive en 1975 a été particulièrement marquée pour l’automobile parce que cela a été concomitant avec le premier choc pétrolier de 1973. Dès 1974, Ernest Mandel expliquait dans « Introduction au marxisme » (réédité en 2007 avec une préface de Daniel Bensaïd) que la péréquation du taux de profit entre les branches conduisait les capitaux à se désinvestir de l’automobile faute de rentabilité suffisante. Et cela fait plus de trente ans que cela dure de crise en crise. Le choc actuel inaugure d’une nouvelle période.
Dans quelle mesure cette nouvelle période va entraîner un changement de la place de la branche automobile parmi les secteurs de l’économie du point de vue de la valorisation du capital : c’est une question à documenter. Et cela pour mesurer et anticiper ce qui se prépare comme attaque contre les travailleurs.
Dans ce monde de profit, les travailleurs n’ont pas à être partie prenante d’une quelconque union sacrée en défense de l’automobile. Et cela est répété dans les différents documents produits depuis cet hiver. Mais de façon symétrique aucune convergence n’est possible avec les tenants d’un redimensionnement capitaliste de l’industrie automobile effectué en France contre des centaines milliers de travailleurs.
8. La situation de l’automobile, en quarante ans, évolué en quarante ans depuis la publication dans les années 60 et 70 des ouvrages d’André Gorz, d’Ivan Illich ou de Jean-Pierre Dupuy, cités dans les échanges de la liste écologie. Comme précisé plus haut, première différence d’avec les années 60, l’industrie automobile capitaliste a dépassé son âge d’or. Mais autre écart, en quarante ans, l’usage du tout automobile s’est généralisé dans tous les pays occidentaux pour se stabiliser depuis une dizaine d’années environ. L’industrie automobile mondialisée n’est plus tirée que par la croissance des ventes dans les zones géographiques extérieures à la triade Etats-Unis – Japon – Europe occidentale. (voir l’indicateur de la montée du taux d’équipement en voitures) .
Les « prophéties » critiques des auteurs précédents ne sont plus prévisions : elles se sont déjà largement réalisées avec leur conséquence en terme d’irrationalité, de gaspillage, de dégâts pour la planète et de contraintes et fatigue pour la majorité de la population. Et le capitalisme est toujours là. Même si leurs critiques demeurent pertinentes, n’oublions pas non plus les « adieux au prolétariat » d’André Gorz
Aujourd’hui, c’est effectivement le tout automobile qui prime. Il n’est pas choisi mais contraint. Un contre exemple est celui de Paris ville où moins de la moitié des habitants possède une voiture parce que cette ville dispose d’un maillage de transport en commun qui permet de s’affranchir du tout automobile. A quelques kilomètres de là dans les départements de banlieue contigus, l’usage de l’automobile y est contraint faute de transports collectifs satisfaisants. Sans parler des départements ruraux où la liquidation des services publics, dont les transports, condamne à l’usage de la voiture individuelle
Dans les pays capitalistes développés, l’usage du tout automobile stimule de moins en moins une envie individualiste de posséder mais est de plus une contrainte imposée par l’organisation de l’espace. L’achat d’une voiture de neuve est devenu en Europe une affaire de « vieux » aisé. En France, par exemple, l’âge moyen des acheteurs de voitures neuves dépasse cinquante ans. Pour des raisons de revenu, bien sûr mais pas seulement. La contrainte Pour la majorité, c’est le recours imposé à des voitures d’occasion de plus en plus anciennes, et donc plus polluantes. A niveau des ventes de voitures neuves globalement constant, l’augmentation du parc de voitures en circulation est dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest le fait de l’accroissement de la durée de vie des voitures qui roulent.
La situation est aujourd’hui plus favorable qu’il y a trente ans pour énoncer une critique pertinente et comprise d’un « tout automobile » contraint. C’est pourquoi la dénonciation du tout automobile doit s’appuyer sur la revendication de développement et de redéploiement de transports collectifs gratuits pour tous les déplacements contraints par l’éloignement domicile – travail et domicile –zones de loisir. Nous devons être pour le dépérissement du tout automobile grâce de nouvelles offres de transport collectif et de nouvelles organisations de l’espace.
Mais il faut marcher sur deux jambes. On ne peut pas d’un côté revendiquer des transports collectifs gratuits en dehors de la rentabilité capitaliste, et de l’autre accepter que les capitalistes continuent d’imposer dans la sphère de la production leur loi du profit aux travailleurs. Si les deux batailles sont liées, cela veut dire inventer et réactualiser les exigences d’un contrôle ouvrier pour empiéter dans le domaine de la propriété privée des moyens de production.
9. L’une des questions devant nous est celle de savoir comment intégrer des revendications immédiates traduisant l’urgence écologique à nos autres propositions. L’articulation entre revendications immédiates et l’autre société que nous voulons a toujours été une question politique difficile pour le mouvement ouvrier.
La vieille social démocratie du début du 20 ème siècle se réfugiait dans le distinguo programme maximum et programme minimum, le maximum pour les lendemains qui chantent, le minimum pour la gestion des affaires avec la bourgeoisie. Dans les bagages du « marxisme révolutionnaire », il y a les revendications transitoires pour faire le pont entre d’un côté les revendications immédiates, mobilisatrices et unifiantes, et de l’autre le programme politique visant à s’affranchir de la domination du capital et de son état. Ce débat doit bien sûr être approfondi et concrétisé.
On peut discuter programme et revendications, mais sans sans oublier le moteur : la mobilisation consciente de celles et ceux qui supportent exploitation et oppression dans les entreprises, les quartiers, leurs lieux d’habitation, et leur vie quotidienne.