A 17h30, un cordon de police empêche l’accès à la rue Auguste-Vacquerie, dans le XVIe arrondissement. L’ambassade de Grèce, ainsi protégée, reste à l’abri d’éventuelles dégradations.
Les 400 manifestants, venus apporter leur soutien aux étudiants et travailleurs grecs, stationnent à quelques mètres de là. Unef, Sud Etudiant, Parti de gauche, NPA, Attac, CNT... on brandit des drapeaux, on scande des slogans anti-Sarko et anti-police. Jean-Luc Mélenchon est dans les rangs. Le président de l’Unef, Jean-Baptiste Prévost évoque les similitudes entre la « génération 600 euros » de Grèce et la génération anti-CPE :
« Je ne sais pas comment va évoluer la situation en France mais la grande inconnue reste la capacité du gouvernement à apporter des réponses dans ce contexte difficile. La mobilisation va être forte en janvier si le gouvernement ignore les revendications des jeunes. »
Selon Jean-Baptiste Prévot, les étudiants français et grecs s’inquiètent de la précarité dans laquelle le gouvernement les abandonne :
« Fortement touchés par la crise et le chômage, les jeunes n’ont pas l’intention d’accepter ça comme une fatalité. »
Plusieurs dizaines de résidents grecs à Paris sont là avec des banderoles rendant hommage à Alexis, l’adolescent tué par la police à Athènes. Irini vit à Paris depuis plusieurs années et regrette de ne pas être dans son pays pour manifester auprès des « enfants qui subissent la violence de la police » :
« Je ne comprends pas comment une telle bavure a pu être commise au centre de la capitale, contre un enfant sans arme... »
La conversation est interrompue par un énorme brouhaha ; on passe d’un rassemblement à une marche. Le mouvement, spontané, est mené par les plus jeunes. Avenue d’Iéna, à quelques mètres de l’Arc de triomphe, la foule est arrêtée par les fourgonnettes de police.
En chiens de faïence, manifestants et policiers s’observent... En première ligne, des manifestants, très provocateurs, qui semblent n’attendre qu’une chose : que ça dégénère. Evidemment, ça dégénère un peu. Les premiers projectiles -une barrière et quelques bouteilles- sont lancés contre les forces de l’ordre. Planqués derrière leurs rideaux, les riverains observent la déferlante bruyante et finalement assez peu vandale. Exceptés quelques tags, seules les vitres de deux voitures font les frais de ce passage, un véhicule diplomatique et une Jaguar.
Julien, militant du NPA (Nouveau parti anticapitaliste), observe ces mouvements de colère de loin :
« Ce qui se passe en Grèce doit nous servir de modèle. Les travailleurs, partout en Europe, doivent se mobiliser parce qu’on se bat tous pour la même chose. On est solidaires contre un Etat assassin. Ce n’est pas seulement parce que les policiers répriment dans le sang mais parce que les réformes ne servent que quelques-uns. »
Les quelques manifestants les plus déterminés à semer la pagaille courent pour arriver sur les Champs-Elysées avant la police. Avec un certain succès puisqu’en quelques minutes la circulation est bloquée par moins d’une centaine de personnes, rassemblées derrière des barrières. Ils hurlent « la rue nous appartient ».
La police débarque en sureffectif et affiche sa mission bruyamment : « Toi ! Ta mission, c’est d’en attraper un ! T’entends ? » Quelques mètres plus loin, deux jeunes, par terre, se font passer les menottes. Un livreur, porteur de bonnet, se voit conseiller par un policier d’enlever sa cagoule parce que ça interpelle de partout.
Devant le Fouquet’s, la confusion augmente. Passants et commerçants assistent à un spectacle inhabituel et tentent de comprendre ce qui se joue sous leurs yeux. Aux touristes médusés qui interrogent, un policier réplique : « C’est rien, c’est un film ! »
A gros budget le film ; l’avenue, quadrillée par la police est vidée de ses voitures sur un tronçon entier.
Assise sur un banc, Sophie a échappé à la police. Elle roule une cigarette en expliquant qu’elle n’avait pas du tout l’intention de « taper du flic ». Juste de casser des vitres :
« Pourquoi pas ? Les Champs-Elysées, ce ne sont pas des petits commerçants. C’est un lieu symbolique, un bel endroit pour dénoncer le pouvoir politico-financier. »
Il est 19h30. Le calme revient sur l’avenue la plus éclairée de Paris et Sophie n’a plus rien de la furie qui tapait si fort contre les barrières qu’elle s’est écroulée dessus.
Qu’est-ce qui pousse une jeune fille à jouer à la casseuse ? Très posément, elle s’explique :
« Je ne crois pas que le violence soit une fin. Mais c’est un moyen d’expression contre des réformes qui vont dans le mauvais sens. Et je ne veux pas en découdre avec la police, ce sont des pions qui se font aussi manipuler par le pouvoir qui a peur des consciences éveillées. Alors ils nous empêchent de nous exprimer. »
Elle espère d’autres manifestations, ayant plus d’ampleur :
« Comme en Grèce ! Comme en Italie ! Ca pète partout. Le mouvement est international et doit prendre de l’ampleur. »
20h00. L’avenue des Champs-Elysées a retrouvé son calme. Plusieurs cars des forces de l’ordre sont sur place. Un kiosquier ne s’en remet pas : « Je n’ai jamais vu ça ! C’est interdit les manifs ici ! »