Qu’elle démarche a abouti à cette pétition ?
Jean-Marie Harribey – À l’origine de cette pétition, il y a eu le contact que Frédéric Lordon (chargé de recherche au CNRS) et moi avons noué avec une cinquantaine d’économistes européens, pour prendre une initiative capable d’alerter l’opinion publique sur la gravité de la crise financière et l’urgence à mettre un terme à la débauche de spéculation et à la frénésie de profits de la part d’un capitalisme financier où l’arrogance des détenteurs de capital est proportionnelle à l’aggravation des inégalités dans le monde.
En effet, la crise n’est pas due à un manque de « transparence des marchés financiers », à une défaillance des « procédures de sécurisation » des transactions ou à un défaut de « moralité ». Elle est l’aboutissement de l’évolution du capitalisme vers sa logique la plus pure et la plus sauvage : rendre de la valeur aux actionnaires, finalité suprême de la libéralisation du mouvement des capitaux, de la déréglementation, de la prolifération des produits financiers, de la titrisation et de la dépolitisation des banques centrales pour qu’elles servent mieux les marchés financiers. Cette logique est insoutenable, car elle se nourrit d’un renforcement de l’exploitation de la force de travail : salaires déconnectés de la productivité, protection sociale et droit du travail amoindris, avec, au bout du compte, un asservissement des sociétés à la finance, du nord au sud de la planète.
Que revendique la pétition ?
J.-M. Harribey – La revendication immédiate est très simple. Puisque le nœud de la financiarisation est la totale liberté accordée aux capitaux de circuler, et que tous les traités européens interdisent d’y mettre le moindre obstacle, il est temps d’exiger l’abrogation des articles précis codifiant cette « interdiction d’interdire » et cette « liberté d’établissement » qui donne la possibilité au capital de s’installer là où les conditions lui sont le plus favorables.
Fondamentalement, il s’agit de saisir l’occasion de cette crise financière pour montrer la nécessité impérieuse d’établir un contrôle public sur le système bancaire, les banques centrales en premier lieu, pour le mettre au service de l’activité utile et de l’emploi. Après trois décennies de politiques néolibérales, c’est une condition nécessaire à un partage plus favorable des revenus en faveur du travail.
S’inscrit-elle dans les campagnes de refus d’une Europe libérale et est-elle en continuité avec la revendication d’une taxe Tobin qui a été à l’origine d’Attac ?
J.-M. Harribey – Le point commun avec la taxe Tobin est que nous devons nous attaquer à la circulation des capitaux. Mais, ici, la démarche d’ensemble, européenne mais dont la vocation est de s’étendre au monde, dépasse l’objectif de simple régulation des marchés. L’enjeu est de remettre en cause la marchandisation généralisée des activités humaines et des biens communs, dont la finalité est l’accumulation de richesses entre les mains d’une classe minoritaire qui s’arroge le droit de décider du sort de l’humanité et de la planète en prétendant que la rentabilité financière est le bon guide pour parvenir au bien-être général.