SHANGHAÏ CORRESPONDANT
L’Internet chinois est le lieu d’une contre-offensive virulente des « Jeunes en colère » (Fen qing), sorte de faction nationaliste des internautes chinois, rassemblés autour de l’athlète handicapée malmenée lors du parcours de la flamme olympique à Paris et devenue, depuis, le symbole de l’agression contre la Chine.
Une chasse à l’homme a été lancée, en ligne, contre l’un de ses agresseurs et une campagne de boycottage des produits français prend forme, relayée par l’Internet et des messages SMS. Lundi 14 avril, d’après un témoin chinois qui l’a reçu, circulait à Shanghaï le message suivant : « N’achetons rien à Carrefour : l’un de ses grands patrons a donné beaucoup d’argent au dalaï-lama ; donc, boycottons Carrefour, au moins pour les 130 jours qui restent avant la fin des JO. Montrons-leur le pouvoir de l’Internet ! Faites passer ce message à tous ceux qui aiment notre pays ! » D’autres SMS proposent de boycotter des marques du groupe LVMH ainsi que L’Oréal, mais bon nombre de ces appels, dont certains contenaient des invectives contre la France, ont été « nettoyés » depuis.
Une vidéo intitulée « Protestation contre Paris » circule également. on y voit, au milieu d’une foule de curieux, une jeune fille portant un tee-shirt rouge et une pancarte sur laquelle figurent des clichés de la jeune handicapée chinoise. On distingue, en anglais, les mots suivants : « ... les droits de l’homme en France ». La jeune fille discute avec un policier qui tente de la persuader poliment de ne pas manifester. « Vous regardez Internet ? », demande-t-elle, obstinée. Selon certains messages, difficiles à vérifier, l’action de la jeune femme aurait eu lieu à proximité du magasin Carrefour à Pékin. Dans la capitale chinoise ainsi qu’à Shanghaï, des responsables de la mission économique française, interrogés sur le boycottage, jugent qu’« il n’y a pas d’impact encore ; on regarde de très près, bien sûr, on est en train de rassembler le plus d’éléments possible, mais cela pourrait n’être qu’un feu de paille ». En 2005, de violentes manifestations antijaponaises avaient eu lieu dans plusieurs villes de Chine, ainsi qu’une campagne contre les produits nippons suite à ce que les Chinois avaient perçu comme une série d’« affronts » de la part des Japonais.
Parce qu’elle a stoïquement protégé la flamme et s’est fait malmener à Paris sur son fauteuil roulant, Jin Jing, escrimeuse de 28 ans amputée très jeune d’une jambe à cause d’un cancer, est désormais connue de tous les Chinois. Sur Internet et dans les médias, les photos la montrent lors du relais olympique à Paris, d’abord souriante, la flamme dans les mains, tandis que le petit cortège qui l’accompagne et pousse son fauteuil roulant se met en route.
Une personne apparaît avec un drapeau tibétain, et Jin Jing se crispe. Sur un autre cliché, un manifestant se fait menaçant. La jeune femme protège la flamme en la plaçant sur le côté, avant qu’un policier français n’intercepte le manifestant. Puis un jeune homme, en apparence tibétain, avec un bonnet aux couleurs du Tibet libre, s’agrippe à la flamme, soulevant Jin Jing de son fauteuil, coincé entre une voiture et un véhicule de gendarmerie. A chaque offensive, Jin Jing, les yeux pleins d’effroi, mais résolue, s’accroche à la flamme. Puis, en gros plan, une autre photo montre son visage les yeux fermés, la flamme contre sa poitrine, éteinte. Enfin, la jeune fille brandit le trophée, apaisée - à la fin de son parcours, probablement, si l’on en croit l’ordre des clichés.
Dans ce que les sites Internet reflètent de l’opinion publique, l’émotion est forte : on la compare à un « ange sur un fauteuil roulant », on la qualifie d’« héroïne ». Très vite, les internautes ont aussi montré une photo du principal agresseur de Jin Jing, puis son visage en gros plan, accompagné de la mention « Wanted ». En quelques jours, des internautes ont réussi à l’identifier : ils donnent son nom et son adresse, à Salt Lake City, dans l’Utah. Sur un autre message apparaît la photo de l’entrée de son domicile, sa localisation sur Google Earth, ainsi que la société américaine pour laquelle il travaillerait, et toutes ses adresses e-mail. Le jeune homme se serait déjà, auparavant, fait remarquer à Londres, où la police l’aurait détenu momentanément après qu’il s’en était pris à l’un des porteurs de la torche.
Vendredi 11 avril, l’agence Xinhua et nombre de médias ont repris l’une des photos de l’épreuve traversée par Jin Jing, dans un éditorial intitulé « Paris se donne une claque ». Les médias français qui ont titré sur le « fiasco » du passage de la flamme et la « claque donnée à la Chine » y sont tancés. « Certains médias français prétendent que Paris est une ville libre et que tout le monde a le droit de se rassembler et de manifester sans intervention du gouvernement... », explique un long éditorial de l’agence.
Et de poursuivre : « Les actions de certains extrémistes qui ont attaqué les porteurs de la flamme ne peuvent plus être considérées comme légales ou non violentes... Les Chinois ont été profondément perturbés et blessés par la scène chaotique durant laquelle un extrémiste a tenté d’arracher la torche à une jeune Chinoise handicapée et sans défense... Est-ce ça, le comportement civique du gouvernement français ? La gifle est-elle pour la Chine, ou pour la France ? »
En conclusion l’éditorial rappelle que la traduction en chinois de France, Faguo, signifie le « pays de la loi », mais que « reporters, journalistes et hommes de loi y ont perdu la capacité de séparer le bien du mal ».